Cet article fait partie du dossier : Artificialisation et sobriété foncière : les outils du Cerema
Voir les 23 actualités liées à ce dossierIl s'agit de concevoir des pratiques d’urbanisme plus sobres et de freiner durablement l’artificialisation des sols. Cet article du Cerema fait le point sur les outils disponibles et les expériences mises en œuvre, en différenciant le diagnostic, la stratégie foncière et les outils opérationnels de requalification foncière.
Cet article rédigé par Manon Chategnier-Mizzi, cheffe de projet enjeux foncier et territoires au Cerema et Martin Bocquet, directeur d’études foncier au Cerema, a été publié initialement par notre partenaire TechniCité.
Faire le diagnostic de son territoire et définir ses objectifs
La première question, lorsqu’il s’agit de l’application du zéro artificialisation nette (ZAN), est celle du "combien".
L’objectif est de mieux connaître les dynamiques de son territoire pour mieux intervenir. Il s’agit d’une première étape de diagnostic indispensable pour prévoir les étapes suivantes.
Dans ce cadre, plusieurs outils existent à une échelle nationale. En premier lieu, l’Observatoire national de l’artificialisation fournit des chiffres à une maille communale et avec un pas de temps annuel. Ces données sont disponibles en plusieurs formats : les données brutes pour les techniciens plus expérimentés, mais aussi des formats plus accessibles, à travers une cartographie dynamique et un tableau de bord adapté aux territoires.
Cette donnée nationale n’est cependant pas disponible à une échelle parcellaire. À partir de 2024, l’occupation des sols grande échelle de l’IGN, l’Institut national de l’information géographique et forestière, permettra de visualiser ces changements à une échelle fine. De plus, ce nouvel outil favorisera la diffusion d’autres analyses, notamment liées aux changements entre différents types d’espaces.
De nombreux outils nationaux permettent ainsi de fournir des données statistiques comparables entre territoires. Cependant, la donnée chiffrée n’est que la première étape permettant de mieux comprendre les dynamiques en cours. En effet, cette donnée doit ensuite être analysée en fonction du contexte local.
À titre d’exemple, le passage d’une ligne à grande vitesse sur un territoire va afficher, dans les données nationales, une consommation d’espaces importante et une efficacité "faible" (aucun ménage et emploi accueillis). Cependant, cet aménagement exceptionnel n’aura pas forcément d’incidence sur l’aménagement futur de la commune, et bénéficie à un territoire bien au-delà de l’espace communal.
À l’inverse, une efficacité dans la moyenne nationale, pour une commune très urbaine, peut être signe d’un aménagement peu vertueux, qu’il s’agira de réinterroger dans le futur projet de territoire.
Une fois le diagnostic réalisé, les collectivités sont amenées à prévoir leurs objectifs de sobriété foncière.
Ces objectifs sont eux aussi la résultante d’une volonté de construction et d’une manière d’y répondre. À un stade programmatique, l’outil "Otelo" (2) permet de calculer un besoin en logements à un niveau local. Cet outil, accessible aux collectivités, est alimenté par des données nationales. Il revient cependant au niveau local de paramétrer l’outil en fonction de son projet politique (croissance forte ou modérée, objectif de résorption de la vacance…).
Une fois la programmation réalisée (et territorialisée),
trois éléments permettent de modérer la consommation d’espaces:
Traduire une stratégie foncière dans un projet d’aménagement
Comme l’énonce le code de l’urbanisme, "le territoire français est le patrimoine commun de la nation". Il est ancré sur une ressource limitée et qui cumule plusieurs fonctions et utilités : les sols. Afin de préserver la multifonctionnalité des sols et les services qu’elle rend à l’homme, les projets d’aménagement opérationnels doivent de plus en plus intégrer les enjeux de gestion économe de l’espace et de lutte contre leur artificialisation des sols. Ces enjeux concernent autant les espaces naturels, agricoles et forestiers que les espaces déjà urbanisés et/ou artificialisés.
Le projet Muse ("Intégrer la multifonctionnalité des sols dans les documents d’urbanisme") élabore une méthodologie permettant de caractériser la qualité des sols d’un territoire et de la cartographier. Ceci permet aux collectivités en charge de l’élaboration des documents d’urbanisme, et en particulier celles en charge de plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi), d’intégrer la qualité des sols dans leur réflexion et d’adapter leur projet de territoire à l’usage qui peut être fait de ces derniers. Une des finalités du projet est de connaître, puis protéger de l’urbanisation, les sols en capacité de rendre le plus grand nombre de services.
La méthodologie produite permet d’accompagner les collectivités dans les phases :
- de diagnostic de territoire,
- de construction du projet d’aménagement (incluant éventuellement la mise en place de mesures d’évitement, de réduction et/ou compensatoires)
- et, si le document d’urbanisme y est soumis, tout au long de la démarche d’évaluation environnementale du projet.
- de suivre les effets d’un aménagement, à travers une batterie d’indicateurs.
Une fois l’existant mieux connu, il est nécessaire de bâtir un plan d’action. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’une connaissance des gisements fonciers. Ces gisements peuvent être constitués de terrains déjà urbanisés mais inutilisés (friches), ou sous-exploités (espaces à densifier), de bâtiments ou logements vacants (logements sans maître, insalubres, vacants et inadaptés).
En croisant la connaissance des gisements fonciers et immobiliers dans le temps et les leviers d’actions possibles, la stratégie foncière permettra de définir un cap, un calendrier et un plan d’action. Dans un contexte de sobriété foncière et de préservation des sols, il s’agira de déterminer quelles actions réaliser prioritairement pour limiter le recours aux extensions urbaines, privilégier les projets dans la trame urbaine existante, et réaliser des opérations d’aménagement plus vertueuses. Par la suite, la mise en place d’une veille foncière permettra de réajuster la stratégie en fonction des évolutions du territoire et de saisir les opportunités nouvelles.
La connaissance du foncier et de ses gisements nécessite le croisement de nombreuses bases de données : pour faciliter cette appropriation, le Cerema met à disposition des collectivités l’outil Urbansimul, qui centralise les informations disponibles sur un territoire.
Sa capacité à reconstituer des dynamiques foncières dans le temps, à croiser de nombreuses données, à couvrir un large spectre d’analyse, de la parcelle au territoire ou encore à intégrer des mises à jour adaptées aux priorités des utilisateurs font d'UrbanSIMUL National un outil unique.
Au quotidien, Urbansimul facilite le travail des techniciens et des élus dans de nombreux domaines (habitat, développement économique mais aussi environnement ou encore mobilité) en permettant notamment :
- de faciliter l’accès aux données foncières, construire des scénarios d'aménagement et alimenter les diagnostics fonciers,
- de suivre les dynamiques de construction
- de repérer les terrains constructibles,
- d’identifier les logements vacants et les opportunités de renouvellement urbain,
- de mieux connaître le prix de l’immobilier,
- de comparer avec d'autres territoires.
Cet outil aide donc les collectivités à construire et analyser les scénarios d’urbanisation, à sécuriser la réalisation des opérations d’aménagement et à maîtriser les coûts d’acquisition des terrains.
L’application a été déployée sur la France entière depuis l’été 2022. Plus de 4000 utilisateurs réguliers utilisaient UrbanSIMUL en janvier 2024. Parmi eux, citons la communauté de communes du pays d’Apt Lubéron et l’agence d’urbanisme Rhône Avignon Vaucluse (prestataire du schéma de cohérence territoriale, Scot) qui ont utilisé l’outil pour analyser les capacités de densification et de mutation en préfiguration d’une étude de stratégie foncière et d’un programme local de l’habitat (PLH). Dans le cadre de leurs missions, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Provence-Alpes-Côte d’Azur et plusieurs directions départementales des territoires (DDT) utilisent quotidiennement cet outil pour analyser le développement de l’offre de logements et construire les objectifs de rattrapage en matière de production de logements sociaux.
Cet outil compile également les informations récoltées par le site Cartofriches. Mis en ligne par le Cerema à la demande du ministère chargé de l’écologie, ce dernier permet à la fois de rechercher une friche, de contribuer à enrichir cet inventaire par l’apport de données locales (recensements locaux, données d’observatoires locaux…), de repérer certains observatoires locaux sur le territoire, de récupérer des données sur les friches repérées ou encore de se renseigner sur le niveau de précision et de vérification des données en ligne.
Cet observatoire national repose en grande partie sur les remontées et observatoires menés par les collectivités, qui restent maîtresses de leurs inventaires.
UrbanSIMUL, croise de nombreuses sources de données foncières
pour les rendre facilement interprétables
sous une forme de cartographie.
UrbanSIMUL et la sobriété foncière
Agir sur les fonciers mobilisables
Une observation et une préparation en amont sont nécessaires pour agir sur les fonciers mobilisables. Cependant, l’intervention opérationnelle doit être réalisée à l’échelle des communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Il faut toutefois noter que le ZAN conduit des aménagements plus délicats à mener : chaque opération doit être réalisée au cas par cas, et nécessite des compétences plus pointues. À titre d’illustration, il est plus long et plus complexe de requalifier une friche ou de démolir/reconstruire un immeuble que d’aménager un terrain agricole. De plus, le recensement des terrains densifiables ou d’achat de logements vacants va nécessiter de longs et complexes dialogues avec des propriétaires.
Dans ce contexte, des fiches-méthodes ou des aides juridiques peuvent permettre de lister les outils à disposition. À titre d’exemple, le site "outils de l’aménagement" du Cerema liste les process juridiques mobilisables par les collectivités.
Cependant, la complexité des solutions et l’ancrage fort au niveau local nécessitent surtout un partage d’expérience entre collectivités. À ce titre, de multiples retours d’expérience existent déjà. Cependant, deux expériences pilotes sont à noter.
En premier lieu, la démarche "Territoires pilotes de sobriété foncière" a pour but "d’accompagner les territoires dans un processus de développement privilégiant la sobriété foncière à l’étalement urbain".
Lancée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) à l’automne 2020, sept territoires ont été retenus, et vingt-cinq territoires engagés dans la démarche. Un des lauréats, Dreux (Eure-et-Loir), a par exemple identifié, avec cette étude approfondie et globale, son potentiel foncier et notamment celui que l’on qualifie "d’invisible" qui permet d’en retirer des secteurs de projets prioritaires répondant aux enjeux de gestion raisonnée de l’aménagement. Une nouvelle vague d’accompagnement par le Cerema a été relancée en fin d’année 2022, avec cinq nouveaux territoires : Tarare (Rhône), Autun (Saône-et-Loire), Lorient (Morbihan), Laval (Mayenne) et Le Lamentin (Martinique).
De son côté, l’Ademe finance vingt-deux projets dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt ("Vers des territoires zéro artificialisation nette"). Ces financements interviennent pour enclencher des études permettant d’élaborer une trajectoire "ZAN", mais aussi des études préalables à la mise en œuvre de projets d’aménagement opérationnels.
Ces deux démarches, complémentaires, ont ainsi un rôle d’incubateur, permettant de repérer, encourager et capitaliser des expériences locales de sobriété foncière. L’idée sous-jacente est que l’accompagnement financier et technique permette de dégager des bonnes expériences généralisables à un niveau national.
En parallèle, l’outil Urbanvitaliz intervient pour proposer des conseils personnalisés aux collectivités, permettant la revitalisation des friches. Il s’agit ici d’aider à surmonter les blocages opérationnels sur le sujet, et d’accompagner les petites collectivités en manque d’ingénierie.
En conclusion, ces outils permettent de mettre en commun les éléments juridiques, statistiques et de cadrage qui sont réalisables à une échelle nationale, et de décharger les collectivités locales du coûteux temps de collecte et d’information. Cette mise en commun, encore en construction, permettra en outre aux collectivités de se concentrer sur les actions qu’elles seules peuvent réaliser, c’est-à-dire le dialogue local ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de leur projet de territoire.
Dans le dossier Artificialisation et sobriété foncière : les outils du Cerema