Cet article fait partie du dossier : Foncier économique : les travaux du Cerema
Voir les 22 actualités liées à ce dossierNotre partenaire Construction 21 a interviewé Nicolas Gillio, Chargé de mission Appui socio-économique aux territoires au Cerema, sur le contexte et les outils pour agir.
Cette interview est parue sur le site de notre partenaire Construction 21 le 8 décembre 2022.
Quelle est aujourd'hui la situation du foncier économique en France ?
Nicolas Gillio : Le foncier économique désigne les zones d’activités industrielles, artisanales, logistiques et commerciales. Il existe aujourd’hui entre 24 000 et 32 000 zones d’activités sur le territoire français, soit un total d’environ 450 000 hectares. Cela représente entre 25% et 30% des surfaces urbanisées.
Le foncier économique se caractérise principalement par l’urbanisation qu’il draine avec lui, liées aux infrastructures de communication qui accompagnent l’aménagement de zones d’activités : routes, embranchement ferré, aménagement sur ports et aéroports, etc., en complément des terrains eux-mêmes. Il y a ainsi des enjeux importants de gestion des flux autour de ces zones.
Aujourd’hui, nous assistons à une double dynamique du foncier économique. D’un côté, tous type d’activités confondues, sa part dans les surfaces urbanisées est en baisse sur ces dix dernières années. De l’autre, depuis deux ou trois ans, nous observons une hausse de la demande foncière pour les activités industrielles et logistiques. C’est la marque d’une reprise en France, notamment sous l’effet du développement du e-commerce et de la réindustrialisation. Ces activités nécessitent des espaces de stockage importants pour entreposer les biens et matériaux.
Pourquoi le Cerema s'empare-t-il de ce sujet ?
Nicolas Gillio : Les collectivités font face à un paradoxe : le foncier disponible se raréfie sur les territoires alors même que la demande foncière des entreprises progresse depuis 2018. Il y a donc une situation de tension sur le foncier, avec des prix qui ont augmenté. Les territoires sont sous pression foncière et sont confrontés à des concurrences d’usage entre implantations d’activités et production de logements. Il y a également un enjeu de recyclage des friches industrielles, dont les collectivités ne savent pas toujours quoi faire et n’ont pas forcément non plus les moyens de dépolluer et de démolir.
Le sujet du foncier économique est présent dans le débat public depuis quelques années. Il a été traité par exemple par la Convention citoyenne sur le climat, qui avait demandé l’interdiction de l’implantation de nouvelles surfaces commerciales. Ou encore dans la loi ELAN, qui lutte contre la dévalorisation commerciale des centres-villes.
En tant qu’interlocuteur privilégié des territoires sur les questions d’aménagement et de stratégie foncière, le Cerema ne pouvait pas ne pas s’emparer du sujet. Nous avons ainsi développé des travaux sur la gestion du foncier économique, compte tenu de ses effets négatifs sur l’environnement, ainsi que sur la requalification des zones économiques sur les territoires. Nous avons organisé des séminaires, des échanges de bonnes pratiques entre collectivités, des études sur la situation du foncier économique, etc. Plus récemment, nous avons été mobilisés sur la mise en œuvre du fonds friches pour apporter notre expertise sur les questions de requalification des friches économiques.
Enfin, nous avons produit une enquête avec l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT) et Intercommunalités de France sur l’état des zones d’activités dans les intercommunalités, pour les aider à réaliser un inventaire de leur foncier économique et pour identifier les principales difficultés qu’elles rencontrent dans la gestion de leur offre foncière six ans après la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République).
Quels sont les impacts de l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) sur la gestion du foncier économique ?
Nicolas Gillio : Les impacts du ZAN se font déjà ressentir dans les collectivités. Le premier est psychologique : le ZAN induit un état de tension sur les territoires, qui s’interrogent sur la bonne manière pour atteindre cet objectif de réduction de l’artificialisation nette de 50% à horizon 2030 et de 100% en 2050. La marche semble assez haute.
Cependant, en regardant les chiffres de l’Observatoire de l’artificialisation qui est alimenté par le Cerema, nous constatons qu'elle est en baisse au niveau national. C’est un bon signal pour les collectivités. De plus, il pourrait y avoir un ralentissement supplémentaire de la demande foncière immobilière lié à la hausse actuelle des taux d’intérêts. Après, il faut se pencher sur le niveau local au cas par cas. Certains territoires, qui ont été gourmands, vont devoir réduire leur offre foncière plus fortement que d’autres.
Quels leviers peuvent activer les collectivités pour développer une gestion plus sobre de leur foncier économique?
Nicolas Gillio : Il n’y a pas de recette unique, les leviers vont être différents selon les territoires. D’autant plus qu’il existe de grands écarts de moyens (financiers et humains) d’une collectivité à une autre pour mettre en place une stratégie de gestion sobre du foncier économique.
Il existe tout de même certains leviers ou démarches que toutes les collectivités peuvent suivre. Par exemple, il est essentiel de s’appuyer sur le triptyque Éviter, Réduire, Compenser (ERC), bien que la compensation soit loin d’être aisée puisque cela suppose de trouver des hectares urbanisés à renaturer. Les collectivités peuvent également mettre en place une stratégie de planification à travers des documents d’urbanisme comme le PLUi et le PLU.
Cela peut les aider à remettre du commerce dans les centres-villes plutôt qu’en périphérie, à favoriser la densité et la mixité des usages, à encadrer les nouvelles zones d’activité, à requalifier les zones existantes, à faire intervenir les établissements publics fonciers pour porter des terrains à vocation économique et autoriser des implantations d’entreprises.
Quels outils et dispositifs propose le Cerema pour accompagner les acteurs territoriaux dans leur gestion du foncier économique ?
Nicolas Gillio : Nous proposons différents outils et méthodologies à destination des collectivités. Nous avons développé des outils numériques assez puissants, comme UrbanSIMUL et Cartofriches, qui permettent de réaliser un diagnostic complet du foncier économique en croisant des données fiscales des entreprises et les PLU numérisés en France. Nous avons un ensemble de 15 000 communes numérisées aujourd’hui. Ces outils donnent l’occasion d’avoir un référentiel partagé par tous les territoires sur le foncier économique, ce qui est essentiel pour pouvoir avancer sur la question.
Nous avons également impulsé des démarches pédagogiques auprès des territoires. L’objectif est de favoriser le travail collectif entre les différents acteurs, afin de définir les leviers les mieux adaptés au territoire concerné, et d’apprendre aux collectivités à communiquer sur les pistes qu’elles vont suivre auprès des autres acteurs. Dans nos démarches, nous leur présentons cinq catégories de leviers : l’aménagement, les outils financiers, la planification, les outils réglementaires et la commercialisation des terrains. Nous proposons des outils et actions sur chaque levier auprès des territoires que nous accompagnons. Chacun pioche en fonction de ses besoins, l’essentiel est de créer des parcours personnalisés adaptés au contexte local.
Pouvez-vous nous donner des exemples vertueux de gestion du foncier économique ?
Nicolas Gillio : Il existe de nombreux cas de gestion vertueuse du foncier économique. Du côté des métropoles, qui ont des moyens plus importants que les autres territoires, Lyon ou Bordeaux font référence. Elles ont instauré depuis longtemps une gestion du foncier économique avec une démarche de veille et de dialogue avec les entreprises et les investisseurs.
Au-delà des métropoles, je conseille d’aller voir le travail de Chambéry Grand Lac Économie, qui a mis en place une gestion très qualitative de ses parcs d’activités économiques. En effet, la collectivité a structuré son foncier autour de grands pôles d’activité (Alpespace, Hexapôle et Savoie Technolac), concentrant les services et l’urbanisation. C’est une vision à la fois qualitative et quantitative : elle ne s’est pas contentée de mettre à disposition les terrains, elle a développé une véritable approche de ses parcs en les gérant comme des quartiers, c’est-à-dire en intégrant les enjeux de l’accès aux services, des espaces verts, de la mobilité.
Le travail de la Communauté de communes des Portes de Drôme Ardèche est également à saluer. La collectivité a utilisé un large éventail des outils et leviers à sa disposition pour assurer le développement de son territoire tout en assurant une gestion sobre du foncier. Par exemple, elle a mis en place des clauses dans les actes de vente de terrains qui précisent les délais de construction, la destination des terrains et l'engagement de l’acquéreur à maintenir la destination sur une période donnée (clause Propter Rem) cahiers des charges avec des conditions précises aux investisseurs.
Je prendrai pour dernier exemple l’Agglomération du Pays de Lorient et sa Cellule de Revitalisation économique, qui a catégorisé les besoins fonciers des entreprises sur son territoire et adapté l’offre foncière pour dégager un potentiel foncier sans créer des réserves foncières supplémentaires.
Plus généralement, les territoires qui, poussés par la crise ou par la pénurie de foncier, cherchent à innover, sont des territoires intéressants qui méritent d’être connus par tous. Je pense par exemple à Rochefort Océan, au travail de l’AgORAH à l'Île de la Réunion, à Sud Foncier Eco (partenariat CCI Agences), à quelques Établissements Publics Fonciers (Occitanie, EPF 74, EPORA, etc.) ou encore aux projets de Microvilles durables proposés par la SCIC Sens&Economie à proximité de Reims sur la commune de Courcy.
Propos recueillis par Manon Salé pour Construction21
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