Cet article fait partie du dossier : Nature en Ville : développer les solutions fondées sur la nature dans le milieu urbain
Voir les 53 actualités liées à ce dossierLes trois exemples développés dans l'ouvrage "Milieux humides et aménagement urbain" montrent les dynamiques qui ont mené des collectivités à mettre en oeuvre des actions de restauration des zones humides, visant la flore et la faune de ces espaces fragiles.
Un réseau de mares intégré à un corridor écologique à Strasbourg
La communauté urbaine de Strasbourg porte une attention particulière à la préservation d'une trame verte qui associe jardins, parcs, forêts et coulées vertes de long des cours d'eau, ainsi qu'à la préservation des espèces animales remarquables comme le crapaud vert dont la présence est menacée par l'assèchement des mares et la fragmentation de son habitat.
D'une mesure de compensation à une opération de restauration sur 3 sites
Une étude a été menée sur un secteur de 7 hectares au sud de la communauté urbaine, caractérisé par la diversité de l'utilisation des sols (agricole, urbaine, naturelle), traversé par deux cours d'eau et comportant des forêts alluviales, prairies humides et friches urbaines. Certaines parties du site sont en zone inondable, et il y a une forte pression foncière, avec notamment un projet d'Ecoquartier a proximité.
L'un des cours d'eau, l'Ostwaldergraben, a perdu progressivement son caractère naturel, ayant été en partie canalisé et fragmenté et subissant des pollutions. En 2003 l'arrivée d'un ligne de tramway a entraîné la perte d'une zone boisée de 2 ha, qui a dû être compensée en reconvertissant une zone agricole en milieu humide boisé permettant d'abriter le crapaud vert.
Très vite, la réflexion est devenue plus globale, et l'opération a porté sur la restauration des milieux humides de trois sites afin de créer des habitats à haute valeur écologique dans un milieu urbanisé.
Compte tenu du nombre d'acteurs impliqués dans la démarche, la gouvernance s'est avérée complexe et différente selon les sites. Trois projets ont été élaborés en concertation, et les travaux ont été effectués entre 2008 et 2014. La restauration de la zone humide du Bohrie a ainsi été complétée par la restauration de son annexe hydraulique et celle du corridor écologique.
Reconnecter les milieux à l'aide d'un corridor écologique
Pour la zone humide du Bohrie (2,4 ha), sur d'anciennes terres agricoles, trois mares ont été créées en enlevant 30.000 m² de terres agricoles contaminées afin de mettre à nu les horizons alluvionnaires favorables à la naissance d'une dynamique végétale. 7.000 boutures d'espèces locales (saules et peupliers noirs) ont également été plantées.
L'annexe hydraulique a été réalisée sur un ancien bras mort devenu une simple prairie inondable de 2 ha. 3.100 mètres cubes de terre ont été enlevés selon différentes profondeurs afin de former une île centrale et un merlon a été a été arasé, pour dynamiser les écoulements et diversifier les milieux.
Le corridor écologique a été imaginé suite à l'apparition du crapaud vert sur le site du Bohrie, pour créer un biotope favorable. Il a été conçu en tenant compte d'une forte pollution au chrome: à l'origine, les vases devaient être retirées et réutilisées mais leur forte contamination a amené à les confiner sur place.
La terre végétale a d'abord été décapée puis les vases polluées ont été confinées à 'laide d'un géotextile. Des unités de filtres plantés de roseaux ont ensuite été disposées par endroits sur la longueur du corridor. Des banquettes de terres végétales de part et d'autres du lit du cours d'eau ont été aménagées.
Sur le site du Borhie, l'apparition de 79 espèces animales et 125 espèces végétales a été observée après la fin de l'aménagement, et le crapaud vert est venu s'y reproduire dès le mois suivant la fin des travaux. Sur le site de l'annexe hydraulique, le crapaud vert et 42 espèces végétales sont apparus.
Les travaux de restauration ont permis d'augmenter la capacité du champ d'expansion des crues des milieux humides. Ainsi, le rabaissement de plus d'un mètre sur 3 ha du niveau du site du Bohrie permet son inondation de manière plus importante.
La qualité des eaux a été améliorée grâce à la création d'un réseau de mares en amont du cours d'eau avec une palette végétale variée, et l'installation de filtres plantés de roseaux et typhas. qui filtre en partie les rejets d'eaux pluviales polluées par le ruissellement.
La transition du milieu naturel vers l'EcoQuartier se fait progressivement à travers des prairies naturelles humides. Le milieu naturel humide est séparé des zones urbaines (des visites sont organisées au niveau des mares mais le public n'y a pas accès, l'annexe hydraulique est accessible aux piétons seulement et le corridor écologique est destiné à permettre la promenade).
Afin de mieux faire accepter la présence d'un milieu exclusivement dédié à la faune au coeur d'un quartier urbain, les habitants ont été associés à des réunions publiques régulières.
Valoriser un milieu humide dégradé pour assurer sa restauration
La commune périurbaine de Le Mesnil-le-Roi à 15 km du quartier de La Défense a mené la restauration de deux zones humides abandonnées et dégradées, avec l'objectif de les rendre accessibles aux habitants.
Mobilisation des acteurs pour restaurer le milieu naturel
Bien que très urbanisée, la commune comporte encore une activité maraîchère et d'horticulture, et 50% de la commune est constituée d'espaces non construits en raison de sa situation dans une plaine alluviale en partie inondable. Celle-ci comprend des noues, des bis, des prairies humides, et une zone d'expansion des crues de la Seine.
Les espaces verts nombreux de la commune sont cependant soumis à de fortes pressions foncières et à des appropriations et activités qui les dégradent (pollutions chimiques, déchets lourds, déversement d'huiles de vidange...).
Au niveau du territoire, plusieurs enjeux ont été définis dans le Schéma Régional de cohérence écologique (SRCE):
- développer les continuités écologiques avec la trame verte et bleue,
- préserver le caractère naturel des berges de la Seine et de leurs abords, qui nécessite la réhabilitation des annexes hydrauliques et la réduction de l'artificialisation des berges,
- développer des habitats naturels diversifiés.
Le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux d'Ile-de-France impose quant à lui de ne pas urbaniser dans les zones d'expansion des crues aux limites de 1910.
Dans les années 90 une prise de conscience des menaces qui pèsent sur le site a mené à l'élaboration d'un projet fondé sur trois axes, pour rendre sa qualité au milieu humide en agissant aussi bien sur la biodiversité que sur la perception de ce milieu par les riverains. Ces trois axes étaient:
- Protéger réglementairement le milieu,
- Nettoyer, restaurer, diversifier les usages,
- Développer la gestion différenciée.
La commune a assuré le pilotage de l'opération et s'est entourée de partenaires scientifiques publics comme privés, et a mené une démarche de concertation. Ces acteurs scientifiques ont permis de mieux connaître le milieu et son fonctionnement et d'élaborer un diagnostic environnemental précis. Les services de l'Etat et acteurs publics locaux ont apporté le soutien technique, réglementaire et financier nécessaire. Les pêcheurs et associations de loisirs ont aussi contribué à la préservation du milieu.
La mise en oeuvre du projet
Dès 1994, la préservation des espaces naturels a été inscrite dans le Plan d'Occupation du Sol révisé, et la commune décide de préserver 50% du territoire de l'urbanisation.
Le site a ensuite été classé en réserve naturelle volontaire en 2002, ce qui a marqué le lancement de la concertation avec toutes les parties prenantes: associations de défense du site, habitants, pêcheurs, jardiniers, maraîchers, pour élaborer le plan de gestion de la zone. Le maire a utilisé son pouvoir de police pour limiter les activités nocturnes nuisibles et les dépôts sauvages sur le site.
La prairie alluviale a été récemment classé comme réserve naturelle régionale.
La sensibilisation des riverains a été menée à travers des opérations de nettoyage et de restauration du site, notamment la réhabilitation des berges en bordure de la zone humide. ces actions ont permis de sensibiliser à la qualité du milieu, à ses bénéfices, à sa fragilité. Les berges ont été rendues accessibles au public, qui peut désormais profiter de cet espace naturel et s'y attache.
Les inventaires montrent une augmentation progressive de la biodiversité animale et végétale. 230 espèces végétales étaient recensées en 2017, contre 150 en 1999, ce qui représente 15 à 20 % du patrimoine végétal d'Ile-de-France. De nouvelles espèces sont inventoriées, et la zone humide constitue un relais de passage pour 21 espèces d'oiseaux.
On observe également une diversification des usages de ce site en préservant son équilibre écologique, grâce à un réseau d'associations et de partenaires. Des journées d'animation autour de la nature, des manifestations, des actions pédagogiques sont organisées. Des jardins familiaux ont été créés, et les activités de pâturage et maraîchage se poursuivent à travers une gestion différenciée.
La gestion du site est organisée pour tenir compte des conditions climatiques, de l'hydraulique, du cycle de vie des espèces, en combinant le pâturage extensif et le fauchage tardif. Les ovins et équidés (deux poneys par hectare, dirigés loin des espèces remarquables), qui ne se nourrissent pas des mêmes espèces, sont complémentaires. Sur les 10 ha de prairie humide, les deux tiers sont gérés par pâturage extensif, le reste par fauche tardive.
Redécouverte et gestion des marais à l'orée de ville à Rochefort
Ancrée dans un territoire de marais, la commune a entrepris dans les années 80 de les valoriser.
D'un projet de station de lagunage à la restauration écologique
La ville de Rochefort s'est construite autour du fleuve de la Charente et des marais associés (en partie asséchés) alimentés par un bassin-versant peu important. Ces milieux humides couvrent 500 hectares de la commune au cœur du dernier méandre du fleuve. Les marais quand à eux couvrent 23% du territoire communal et s'inscrivent dans le vaste ensemble des marais du littoral atlantique de 15.000 hectares.
La ville est aussi marquée par le risque d'inondation et fait l'objet d'un Plan de Prévention du Risque Inondation prenant en compte le risque de submersion marine (la tempête Xynthia a inondé plusieurs centaines de maisons).
Suite à la loi sur l'eau de 1992, le territoire a été intégré au SDAGE Adour Garonne et reconnu comme "milieu aquatique remarquable" à préserver.
Dans les années 80, une réflexion sur l'agrandissement du système de traitement des eaux usées a été lancée, et s'orientait vers des procédés extensifs de type lagunage sur le site des marais avec une station de lagunage de 35 ha.
La Ligue de Protection des Oiseaux a été associée et a proposé d'élargir la vocation du site, de la fonction de traitement des eaux à celle de réserve ornithologique avec accueil du public.
Dans un second temps, les travaux de restauration hydraulique et de valorisation ont été réalisés. la mairie a engagé une politique d'acquisition foncière des marais en utilisant son droit de préemption.
Le projet porté par la mairie avec la LPO, les agriculteurs et le gestionnaire hydraulique du site, comprenait 4 axes:
- Restaurer les milieux humides à forte valeur écologique,
- Permettre la réappropriation des marais par le Rochefortais,
- Aménager des espaces naturels associant un développement socio-économique respectueux de l'environnement,
- Développer le tourisme nature et la sensibilisation à ces espaces naturels fragiles.
Les marais au cœur de la politique écologique et culturelle de la ville
Longtemps délaissés et perçus comme une contrainte, les marais sont aujourd'hui un élément important du développement touristique et de l'attractivité de Rochefort. Ils sont aussi considérés comme un corridor écologique.
La station de lagunage s'étend sur 70 hectares et traite l'équivalent des besoins de 35.000 habitants. Après un premier traitement physique en quatre phases, l'eau décantée est traitée biologiquement par circulation dans plusieurs lagunes réoxygénées par le vent et le soleil.
La station est conçue pour accueillir les oiseaux lors de leur halte migratoire. Les marais sont intégrés à un site Natura 2000.
La restauration hydraulique des marais visait notamment à réduire le risque d'inondation de la ville. La démarche a permis de redynamiser le rôle du marais en tant qu'espace tampon tout en favorisant la biodiversité. Deux programmes de curage des fossés ont permis d'améliorer les prairies humides, amélioré la qualité de l'eau et augmenté la richesse écologique du site. Des ouvrages de régulation du niveau d'eau ont été créés et des bourrelets permettent de répartir les eaux pluviales ainsi que d'en améliorer retenue et leur étendue. 80% des parcelles sont inondées entre novembre et mars.
Accessible au public aussi bien au niveau des marais que de la station, le site permet de développer des actions de sensibilisation telles que des visites découverte de la station de lagunage pour les écoliers et le public ou des balades guidées à pied ou à vélo. Tout un réseau de chemins a été dessiné autour et même dans la zone humide. Plus de 60.000 personnes profitent de ces aménagements chaque année.
La gestion du site (340 ha) est en partie confiée à LPO, afin de gérer :
- Le niveau et la qualité des eaux (mission réalisée sous l'égide du syndicat des marais) en inondant en partie les prairies l'hiver et en conservant un certain niveau d'eau notamment au niveau des fossés. Le lagunage peut intervenir en appoint. Le taux de salinité est contrôlé lors des écoulements vers la Charente.
- Le pâturage qui permet d'éviter l'évolution vers l'état de friche, est géré avec la chambre d'agriculture. Trois agriculteurs et un haras sont installés sur le site pour une activité de pâturage qui assure l'entretien de la prairie et des berges.
- La régulation des espèces invasives (tels que le ragondin ou les moustiques) et le suivi scientifique de la flore et de la faune.
Article reprenant les exemples de la 1ère partie du guide:
Dans le dossier Nature en Ville : développer les solutions fondées sur la nature dans le milieu urbain