22 décembre 2021
deux personnes avec un canoe, les pieds dans l'eau dans une rue de Nemours lors de l'inondation en juin 2016
Arnaud Bouissou - TERRA
Le Cerema tire parti de plusieurs années d’expérience terrain pour identifier un "mode d’emploi" de la résilience dans les territoires. Il s’agit de combiner des conditions favorables avec des outils pour mobiliser l’ensemble des acteurs locaux.
Dans cet article publié par Techni Cités en juin 2020, Nicolas Beaurez, directeur de projets résilience au Cerema, présente les clés pour favoriser la résilience des territoires.

logo techni citésCombien d’entre nous ont réellement conscience des conséquences de la modification des grands équilibres planétaires générées par nos activités, ce que certains appellent l’Anthropocène ou la "grande accélération" ? Des scientifiques ont défini neuf limites planétaires (changement climatique, perte de biodiversité, dégradation des sols, etc.) qui rendent compte de ces grands équilibres.

En France, six limites dont ces trois dernières sont déjà dépassées. Il convient aussi d’ajouter les contraintes des ressources naturelles non renouvelables (fossiles, terres rares, sable…). Dans un monde fini et interconnecté, ces dépassements potentiellement doublés de chocs (naturels, sanitaires, financiers, etc.) peuvent mener certains territoires vers des dysfonctionnements graves comme des conflits d’usage, par exemple au sujet de la ressource en eau.

 

C’est cette "menace globale" qui nécessite une transition vers un autre modèle : celui de la résilience, qui peut se définir comme la capacité à anticiper toutes formes de perturbations, à réagir, rebondir, s’adapter en préservant ses fonctions essentielles, en intégrant l’idée d’un monde fini et soutenable. 

 

Plusieurs années d’expérience de terrain ont permis au Cerema d’identifier quelques conditions de réussites pour cette transition vers la résilience.


1/ Adopter une vision stratégique, globale, multi-acteurs et inclusive

Vue d'un village du vercors, avec une rivière en bas au lit très large et des maisons en hauteurLa notion d’échelle est ici fondamentale. Les questions alimentaires ou énergétiques se traitent aussi bien localement
que dans des chaînes logistiques mondialisées, alors que la préservation de la ressource en eau ou la prévention des
inondations relèvent généralement du bassin-versant.

En tout cas, qu’il s’agisse d’une échelle internationale ou très
locale, il ne s’agit que très rarement d’une échelle administrative ou de la responsabilité d’un seul acteur. Or, sortir des
limites administratives
nécessite de parler le langage de la coopération et de la solidarité, et donc des gouvernances
renouvelées.

Cette nécessité est aussi une possibilité offerte aux acteurs locaux (citoyens, élus, techniciens, associations ou entrepreneurs) de dialoguer, d’apprendre les uns des autres, de tisser des liens de confiance et d’élaborer ensemble des réponses adaptées aux réalités de terrain et aux chocs à venir.

La crise actuelle a bien montré à quel point la
solidarité et la coopération sont essentielles
, par exemple en respectant les gestes barrières ou en adaptant ses horaires domicile-travail. Ce doit être aussi l’occasion d’agir en faveur des plus vulnérables et des plus précaires, qui souffrent
d’autant plus lors d’événements critiques.

 

2/ Apprendre, anticiper et s’adapter

Plus on est préparé, plus on a de temps à consacrer aux caractéristiques nouvelles d’une crise quand elle arrive. L’anticipation est un mot-clé. Un territoire doit comprendre et anticiper les perturbations qui peuvent l’affecter, ce qui permet de mieux s’organiser pour franchir les périodes de turbulences et de choisir des trajectoires optimales face à des changements majeurs à cinétique plus lente, comme celui du changement climatique.

Par ailleurs, l’histoire est souvent riche d’enseignements et a tendance à se répéter. Il y a aussi des initiatives intéressantes partout dont les retours d’expérience sont utiles pour progresser. Chaque perturbation porte évidemment son lot d’incertitudes. Pour autant, leur récurrence doit permettre tout de même de se préparer au mieux.

 

Ceci dit, tout ne peut pas s’anticiper, les acteurs devront aussi imaginer des réponses souples, innovantes, flexibles qui permettent de mieux absorber les chocs les plus inattendus et d’évoluer de manière graduée face à des stress chroniques.

 

La généralisation du télétravail ou encore l’enseignement à distance dans cette période de crise sont une illustration de
cette capacité d’adaptation et de flexibilité collective.


3/ Réduire les vulnérabilités pour préserver et garantir l’essentiel

Barrière brise lames sur une plage de sable en PACA (cap Lardier dans le Var)
Cap Lardier dans le Vat - Laurent Mignaux TERRA

Les collectivités et les entreprises utilisent déjà les plans communaux de sauvegarde (PCS) ou des plans de continuité
d’activité (PCA) pour anticiper les crises ou les situations délicates. Mais pour les crises de long terme, comme celle du
changement climatique où il n’y a pas de retour à la "normale", la démarche de résilience doit aller plus loin.

Il s’agit de questionner et de décider collectivement ce qui "est important", essentiel au bien-être des habitats (alimentation,
soins médicaux, approvisionnement en eau, logement, énergie, communication, biens communs, etc.), pour le garantir
sur le long terme.

Si un "socle" commun peut exister, chaque territoire a ses spécificités, sa culture, son économie et trouvera ses propres "voies" de résilience. En contrepartie, il faut être en capacité d’abandonner un projet, de revoir en profondeur des politiques établies par "habitude" afin de cesser d’alimenter des vulnérabilités de long terme par nos modes de vie actuels.


4/ Une ingénierie territoriale renouvelée

Les chemins sont multiples et les incertitudes sont nombreuses. Face à des aléas complexes, l’approche ne doit plus être
exclusivement technique
et fondée sur des réflexes installés mais aussi inclure par exemple des questions de
diversification de l’économie du territoire face aux instabilités des marchés, de robustesse ou de redondance des
infrastructures critiques face à des phénomènes plus extrêmes, d’autonomie au regard de matières premières
stratégiques, etc.

Autre exemple : les solutions fondées sur la nature. Elles peuvent, dans de très nombreux cas de figure,
remplacer des techniques plus "dures" tout en procurant de multiples bénéfices en matière de biodiversité et en étant
naturellement plus résilientes.

Les approches techniques doivent aussi se combiner avec de nouvelles compétences pour vulgariser, faire de la pédagogie (infographies…), mettre en récit, inclure les citoyens, etc., et faire l’intermédiation d’une sphère à l’autre (par exemple fournir des outils d’aide à la décision pour que le politique puisse prendre des décisions sur des choix techniques).


5/ Changer de regard, se mettre en mouvement

post it en gros plan avec marqué "résilience"Ces leviers ne sont utiles que si des acteurs décident de les activer. Cette mise en mouvement est complexe et propre à chaque territoire. Pour autant, certains principes, intelligemment mis en oeuvre, semblent porter leurs fruits. Le Cerema s’y réfère régulièrement. Ils sont d’importance égale et complémentaires sans être hermétiques les uns aux autres.

À l’image d’un écosystème, ils se nourrissent, se répondent et se renforcent mutuellement, même si chacun peut être considéré séparément. Parcourir l’ensemble de ces principes donne ainsi de l’assise, de la solidité, de la force à la démarche de transition vers des territoires plus résilients.

 

Émouvoir, s’inspirer, mobiliser

À travers divers médias (vidéos, témoignages, expositions, etc.), il est possible de déclencher des émotions. Or, les émotions sont un levier pour l’action. Il s’agit de mobiliser les différentes parties prenantes pour un territoire où ils auraient envie de vivre.

Pour cela, on peut combiner des arguments rationnels et scientifiques (le niveau de la crue centennale, c’est 1 m d’eau dans la salle des fêtes), des bénéfices locaux que le territoire peut récolter d’une démarche de résilience (rassurant ménages et entreprises), et des menaces et vulnérabilités territoriales qu’il peut éviter.

On peut aussi mettre en avant des expériences réussies, car certains territoires et acteurs ouvrent la voie et ont déjà agi, ou encore un idéal faisant rêver, permettant de bâtir une vision autour de valeurs et d’un futur désirable.

 

Comprendre : d’où partons-nous ?

Ceci est essentiel pour que les actions soient à la hauteur des enjeux. Les défis évoqués en début d’article, en particulier celui concernant le climat, nécessitent des changements profonds.

  • Le territoire peut utiliser de nombreuses méthodes combinées (diagnostic de maturité en matière de résilience, analyse des vulnérabilités à partir de chaînes d’impacts, usages combinés de données objectives et de perceptions subjectives, etc.).
  • Dans une logique de transformation, il questionnera aussi les dépendances, par exemple celles nécessitant des ressources indispensables pour satisfaire les besoins essentiels, etc.
  • La complexité nécessite de multiplier les points de vue sur une problématique pour en saisir toutes les facettes, d’où l’importance d’associer une diversité d’acteurs.

 

Se projeter

Cette entrée consiste à imaginer ce que le territoire pourrait devenir demain. Plusieurs "changements de regard" peuvent être mobilisés : les futurs où l’on ne fait rien (scénarios pessimistes), les futurs viables possibles (assurant la satisfaction des besoins sociaux essentiels et respectant les limites planétaires) puis, parmi ces derniers, les futurs souhaitables où le bien-être est une notion centrale.

Ceci permet d’explorer diverses manières d’établir les rapports entre les humains et le reste du monde vivant. Plusieurs outils simples et concrets existent, comme réaliser des Une d’un journal en 2050, selon les scénarios avec et sans actions. Le contraste est alors saisissant et permet dans les deux cas d’identifier des pistes d’actions.

 

Agir et transformer

plan lors d'un atelier résilience, sur lequel des lieux sont pointésCette entrée consiste à concevoir le plan d’action permettant la transition vers la résilience, qui doit s’articuler avec les notions d’inclusivité et de sobriété. Beaucoup d’actions existent déjà dans les territoires. Il s’agira de les révéler et de les relier avec ce nouveau prisme.

Ce peut être des choses aussi simples que la fête des voisins (connaître son voisin est un facteur majeur de résilience collective) ou le renforcement du tissu associatif (qui crée aussi des liens).

La question de la sobriété est aussi essentielle car des projets très consommateurs de ressources naturelles non renouvelables ou fortement émetteurs de gaz à effet de serre par exemple ne peuvent que renforcer des vulnérabilités de long terme.


En conclusion, aborder le sujet de la résilience est une belle preuve de responsabilité, de courage mais aussi de bon sens. De nombreux territoires ont commencé à montrer la voie. C’est une occasion unique de redonner du sens aux projets quel qu’ils soient et de trouver de nouvelles opportunités pour bâtir un monde plus juste, plus sûr, plus humain.

 

Des offres de service et de formation pour les territoires

Le Cerema a mis au point une offre de service pour permettre aux responsables territoriaux d'anticiper collectivement toute forme de risques afin d'éviter les situations critiques et complexes.

Elle propose d'accompagner le territoire dans la réalisation d'un diagnostic participatif, l'identification des priorités d’action et élaborer un plan d'action. D'autres expertises peuvent être mobilisée en fonction des besoins.

Sur cette thématique, une offre de formation est aussi proposée aux acteurs locaux pour acquérir des méthodes et outils destinés à définir et mettre en œuvre une démarche de résilience, adaptée aux enjeux.