20 mars 2018
Le Chambon- Feugerolles
Le Chambon- Feugerolles - Crédit :Fabienamnet - CCO
Le Cerema, de manière à questionner la notion de « résilience », s’est intéressé à la pollution des sols, et plus particulièrement le rapport des populations locales avec ces sols pollués. Cette recherche, nommée EMIR (Élision mais inexorabilité du risque : quelle résilience face à la pollution des sols dans les territoires industriels ?), a été réalisée en partenariat avec l’Université Jean Monnet Saint-Etienne [1], dans le cadre du programme « Risque, Décision, Territoire » du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD).

Interroger le concept de « résilience »

À travers un questionnement de la notion de « résilience » basé sur la problématique de la pollution des sols sur des territoires touchés par des désindustrialisations importantes, EMIR poursuivait les objectifs principaux suivants :

  • mieux comprendre le rapport qu’entretiennent les sociétés locales touchées par la désindustrialisation avec leurs sols et leurs pollutions ;

  • mieux comprendre la complexité des héritages industriels et la part de l’action publique dans la gestion de ceux-ci ;

  • développer une approche permettant de rendre compte des tentatives et des capacités d’adaptation « fines » au cours du (long) processus de désindustrialisation ;

  • penser la résilience à partir de la réalité des territoires et des habitants « déjà-là », et non des habitants ou entreprises que l’on souhaiterait attirer sur place.

Pour cela, le terrain d’étude principal a été le secteur de Saint-Etienne, fortement touché par la fermeture de ses grands sites industriels (miniers, métallurgiques) entre les années 1960 et 1980, et plus particulièrement trois sites témoins de ces dynamiques : Chambon-Feugerolles, Rive-de-Giers, et le secteur de Terrenoire, commune rattachée à Saint-Etienne en 1969.

En contrepoint à ce terrain stéphanois, une étude a également été menée sur le territoire de Swansea au Pays de Galles, qui a connu une dynamique de désindustrialisation similaire au cours de la première moitié du 20ème siècle. Suite à cela et dès les années 1960, ce territoire a mis en place un programme innovant de reconquête des friches industrielles au sein duquel la pollution des sols et leur gestion occupe une place à part entière.

Vue panoramique de Swansea
Vue panoramique de Swansea - Crédit: Sloman - CCO

Comment évolue la prise en compte de la pollution des sols?

A partir de ces enquêtes de terrain, la recherche EMIR vise à analyser comment pour les acteurs locaux, les autorités mais aussi les aménageurs ou les habitants, la question de la pollution des sols émerge progressivement et est prise en charge et comment s’opère la prise de conscience de cette problématique au niveau local. À partir des expériences de ces territoires anciennement industrialisés et de leurs rapports à leurs sols, EMIR questionne donc la notion de « résilience » de trois points de vue :

  • en prenant en compte les perturbations de temporalité lente qui affectent une société localisée et les réponses qui sont apportées (ou non) à ces perturbations ;

  • en s’intéressant à des perturbations « discrètes » qui ne font l’objet d’aucune mobilisation – le caractère résilient d’un territoire étant souvent déduit de modifications, de signes visibles d’adaptation à des phénomènes de crise tout aussi visibles – ou qui sont parfois laissées de côté dans les analyses

  • en envisageant des formes de résilience passive qui conduisent à des situations territoriales dégradées et amènent à interroger un référentiel implicite de la « bonne » réaction et/ou capacité d’action territoriale.

Quelle réponse des territoires face à la désindustrialisation ? Cette analyse de la lente prise en compte de la pollution des sols dans la région de Saint-Etienne, en lien avec sa mise à l’agenda des réglementations nationales, montre que les sociétés locales ne sont pas restées passives face aux processus de désindustrialisation et que, bien que privilégiant les logiques d’accommodement, quelques initiatives cherchent aujourd’hui à transformer ce legs négatif en atout.

 

Méthodologie et éléments de conclusion

Photo ancienne de Rive-de-GierPour mener à bien cette recherche sur l’ensemble des terrains d’enquête, les membres de l’équipe EMIR (Université Jean Monnet Saint-Etienne et Cerema) se sont appuyés sur un important travail d’archives (municipales, départementales) et d’analyse de documents divers (presse, journaux municipaux, études sur les sols, projets d’aménagement et de reconversion de friches industrielles).

Par ailleurs, de nombreux entretiens ont été menés auprès des acteurs locaux intéressés par la question de la pollution des sols et leur gestion : élus, techniciens, aménageurs, bureau d’études, chercheurs, etc.

Enfin, une enquête reposant sur des entretiens basés sur des supports visuels (méthode dite de « photoélicitation ») a également été conduite auprès d‘habitants de Terrenoire et Rive-de-Gier pour analyser leurs appréhensions du « changement » et saisir leurs représentations des héritages industriels.

Les enquêtes menées sur les différents terrains d’études montrent que si la pollution des sols est une problématique prise en considération lors des opérations de réhabilitation de friches industrielles, elle ne fait pas l’objet (à l’inverse des pollutions de l’air ou de l’eau) de mobilisations importantes et reste encore aujourd’hui un objet complexe à prendre en charge, tant d’un point de vue scientifique que politique. Sur les terrains stéphanois, ce n’est ainsi qu’à partir des années 1980 que ces pollutions sont appréhendées localement comme un problème « en soi », alors qu’en parallèle se structure et se renforce le cadre réglementaire et législatif national.

D’un autre côté, le cas gallois de Swansea met en évidence une prise en compte plus précoce (années 1960) et pragmatique de ce même problème, symbolisée par des études scientifiques engagées par l’université locale – et qui améliorent sensiblement l’état des connaissances – dans le cadre d’un important programme de réhabilitation de friches industrielles, le Lower Swansea Valley Project.

En définitive, à l’issue de cette recherche, il apparaît que les friches industrielles et leurs sols représentent à la fois un enjeu et un défi pour les territoires concernés. Un enjeu, car ces espaces désindustrialisés sont une mémoire de ces territoires qui ne peut être effacée. Un défi, car malgré les difficultés techniques, économiques, voire politiques, ces mêmes territoires se doivent de convertir cet héritage industriel et leurs legs négatifs en nouveaux facteurs de développement.


[1] Christelle Morel Journel, Maitre de conférence à l’université Jean Monnet Saint-Etienne est la responsable scientifique et pilote du projet EMIR

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