2 mai 2022
Vue d'une rue à trafic limité en Italie, bloquée et piétonnisée, avec un terrasse
Cerema
Fin avril, le Cerema a participé, aux côtés de plusieurs collectivités françaises à un voyage d’études international concernant les zones à trafic limité italiennes et la requalification d’espaces publics, dans les villes de Turin, Cuneo et Milan. Au programme: trois jours d’échanges avec les collectivités et aménageurs italiens ponctués de visites terrains, coordonnés par les équipes du Laboratorio Qualità Urbana e Partecipazione (LAQUP –Turin) et co-organisés avec Rue de l’Avenir France et Rue de l’Avenir Suisse.

Qu’est-ce qu’une zone à trafic limité (ZTL) ? Où en est-on en France ?

Vue d'un carrefour à Cuneo où les piétons traversent partout dans la ZTL
Zone à trafic limité "transports publics" à Turin - Cerema

La zone à trafic limité (ZTL) n’a pas de statut officiel en France, contrairement au code de la route et aux pratiques italiennes. Physiquement et concrètement, ces "zones" représentent un secteur, voire un quartier.
Le principe d’une ZTL consiste à ne rendre accessible un ensemble de rues qu’aux autobus, vélos, taxis et véhicules autorisés (riverains, commerçants…). L’objectif est de réduire le trafic de transit tout en gardant les règles de partage d’une rue classique (pas de priorité absolue des piétons comme le propose le statut d’une aire piétonne). L’ambiance sonore et visuelle, la qualité environnementale sont ainsi modifiées au profit du cadre de vie. Le plan de circulation est adapté pour une réappropriation des rues par les modes de déplacement admis.

En France, le fondement réglementaire pour permettre la réservation de l’accès à une rue est inscrit dans le code général des collectivités territoriales. Cependant, il n’existe pas de définition de la ZTL dans le code de la route, ni de signalisation dédiée, ni de verbalisation au titre de la zone à trafic limité (ponctuelle ou automatisée). Cette absence ne permet pas d’avoir une pédagogie sur cette thématique auprès de l’ensemble des habitants du pays contrairement à l’Italie où le concept est connu sur tout le territoire.

Partant du principe de la ZTL, Nantes puis Grenoble ont créé leur propre ZTL limitée à un axe plutôt qu’une zone en adaptant des dispositifs réglementaires existants. Elles ont ainsi démontré l’efficacité que pouvait offrir ce type d’approche. Ainsi, un boulevard auparavant assez circulé a vu son trafic limité aux cyclistes et transports public, sur les 10 000 véhicules motorisés présents auparavant, 5 000 véhicules se sont "évaporés", 3 500 reportés sur d’autres modes, et 1 500 sur d’autres itinéraires.

Localement l’ambiance a pu être complètement modifiée assurant une reconquête de l’espace public. Toutefois, l’absence de réglementation dédiée complique la communication et la pédagogie relativement à la ZTL, et les possibilités d’extension à des zones de surface plus importantes.

Contrairement à la zone à faibles émissions (ZFE) qui se contente de limiter l’accès aux véhicules en fonction de leurs émissions de polluant, la ZTL vise à réduire l’occupation de l’espace public par les véhicules en stationnement et en déplacement hors transport public et modes actifs.

 

Cuneo : la ZTL, un outil pour améliorer l’attractivité du centre-ville d’une ville moyenne

Il y a une dizaine d’années, le centre-ville historique de cette ville de 60 000 habitants était marqué par la présence d’immeubles dégradés et était envahi par la circulation et le stationnement.
En 2012, l’équipe municipale a démarré la requalification de la Via Roma (qui est l’artère principale de la ville, axe structurant déjà présent au Moyen-Age) en magistrale piétonne : 

  • les travaux de réaménagement de cette rue très large (12 à 19 m de façade à façade, avec de larges espaces sous arcades de part et d’autre) ont consisté en des ravalements de façades et l’amélioration des accès aux commerces, l’enfouissement des réseaux, le renouvellement des revêtements sur un linéaire de près de 700 mètres
  • la révision du plan de circulation avec l’aménagement de parcs de stationnement périphériques et la mise en place de l’aire piétonne et de la ZTL. 

La ZTL est plus large que l’aire piétonne et concerne un périmètre de 100 ha. Elle est active tous les jours de 20h30 à 7h00 du matin.


Turin : une politique ancienne, qui est le support de la requalification d’espaces publics

Carrefour à Turin , sans véhicules, avec des terrasses
Zone à trafic limité à Turin - Cerema

La problématique de restriction de la circulation est ancienne dans cette ville de 850 000 habitants, en lien avec la congestion d’une part, et la mauvaise qualité de l’air d’autre part (situation géographique dans la plaine du Pô, dont la qualité de l’air est l’une des plus dégradées d’Europe : aux problèmes d’émission des polluants se superposent les difficultés liées à la concentration des polluants). La volonté est double, qualité de l’air mais également moins de véhicules motorisés qui encombrent les espaces publics pour pouvoir les redistribuer.

Les premières mesures datent des années 90 : définition du périmètre (1994), mise en place de portes électroniques (1999) puis extension de la ZTL en 2010.

L’une des particularités des ZTL de Turin est leur différenciation d’horaires selon leur périmètre :

  • la ZTL du centre couvre 260 ha avec 36 accès électroniques. L’accès est restreint à l’heure de pointe du matin entre 7h30 et 10h00 ;
  • la ZTL nocturne (restrictions de 19h30 à 7h30) ;
  • la ZTL transports publics (restrictions de 7h00 à 20h00).

Comme à Cuneo, une bonne partie de la ZTL du centre est en aire piétonne (environ ¼). L’acceptabilité de ces mesures a été difficile pour les commerçants au début du projet, même s’ils n’envisageraient pas un "retour en arrière" aujourd’hui.

Les personnes qui résident dans la ZTL du centre (31 000 habitants) disposent d’autorisations spéciales, qui leur donnent aussi un abonnement au stationnement résidentiel. Le stationnement en sous-sol est très peu développé dans le centre-ville, et la réglementation imposant du stationnement dans les immeubles est venue plus tardivement qu’en France.

Les résultats de ces ZTL sont une part modale des véhicules individuels motorisés qui est passée de 78% à 48% en une dizaine d’années.

Ces mesures de restriction de la circulation et l’évolution des parts modales ont permis d’engager des projets de requalification au profit des modes actifs et des transports collectifs. Certains d’entre eux font l’objet du document ci-après.

 

Milan : une superposition de zones aux objectifs différents (faibles émissions et ZTL) et des enjeux forts liés à la logistique urbaine

Dans cette ville dont la population s’élève à 1,4 millions d’habitants (2ème ville d’Italie) avec une aire urbaine très développée, concilier mobilité durable, maîtrise du développement urbain et prise en compte des enjeux environnementaux s’avère particulièrement complexe.

L’urbanisation et le réseau de transport se sont développés de manière concentrique, avec plusieurs "rings" bien marqués. Pour tenir compte de ces différentes "strates", plusieurs ZTL ont été mises en place, à différentes échelles.

 

La ZTL la plus resserrée et centrale : ZTL des remparts, "area C"

urbanisme tactique dans la ZTL de Milan (couleurs au sol pour inciter à la circulation piétonne)
Urbanisme tactique dans la ZTL de Milan - Cerema

Initialement, l’objectif de la ZTL était plutôt en lien avec la qualité de l’air qu’avec la diminution de trafic. En 2008 jusqu’en 2012, un système Ecopass était mis en place et les usagers payaient en fonction du niveau polluant de leur véhicule. Ce système a donné de bons résultats sur la congestion et l’environnement. Mais de nombreuses personnes avaient changé de véhicules et pouvaient finalement rentrer sans payer. En 2011, la ville se retrouve avec le même niveau de congestion qu’en 2007. Après un référendum auprès des citoyens de Milan, la ville a choisi de faire évoluer la zone à trafic limité pour non seulement traiter la qualité de l’air mais aussi le volume de véhicules motorisés qui se déplacent.

Les habitants se sont montrés favorables à un système de "congestion charge" en plus du système de "pollution charge" : même les véhicules à faibles émissions sont donc soumis à des restrictions d’accès.
Les résidents dans le périmètre de la ZTL doivent payer un abonnement à l’année. Ils ont le droit de passer gratuitement 40 fois par an, et paient ensuite 2 euros chaque jour avec passage supplémentaire. 80 % d’entre eux n’utilisent pas les 40 passages dans l’année.

La ZTL comporte 43 portes électroniques.

 

La ZTL plus élargie : ZTL à faibles émissions, "area B"

Le périmètre de cette ZTL est plus large (il concentre 97 % de la population) et son fonctionnement s’apparente plus à celui d’une zone à faibles émissions. La ZTL comprend 188 portes électroniques.

A la différence de la ZTL "area C", l’usager ne paie pas pour rentrer mais doit respecter les règles environnementales prévues.


 

ZOOM sur les enjeux liés à la logistique urbaine

La ville est confrontée aux enjeux liés à l’augmentation du commerce en ligne et au maintien des circuits d’approvisionnement des marchés. La ville a beaucoup échangé avec les acteurs de la logistique urbaine car le cumul des restrictions étaient difficilement acceptables. Les véhicules de livraison sont en effet soumis à la fois à des horaires plus réduits (livraisons interdites dans la ZTL "area C" entre 8h et 10h excepté les véhicules électriques + exigences de classes environnementales pour la ZTL "area B".

Les vendeurs de marché avaient pour la plupart des véhicules assez anciens et polluants. Même s’ils peuvent disposer d’aides pour changer de véhicule, certains n’ont pas les moyens de le faire. Les solutions mises en place sont les suivantes : s’ils acceptent d’avoir un système d’enregistrement de leurs données de déplacement dans la ville (coût individuel 33 euros par an), ils ont droit de parcourir 500 km par an dans la ZTL "area B". Cela leur donne la permission de rentrer quand même mais en réduisant les km parcourus dans la ville.

Un des points positifs pour les livreurs est que la réduction de trafic dans la ville leur a donné la possibilité d’augmenter la vitesse commerciale des livraisons, et donc le nombre de courses.

 

Comme à Turin, la réduction de trafic liée à la mise en place des différentes ZTL de Milan (près de 40 % de trafic en moins dans la ZTL "area C") a été l’occasion de rééquilibrer le partage de la voirie au profit des modes actifs. La crise sanitaire a conforté cette dynamique, avec de nombreux projets d’urbanisme tactique, qu’il faut à présent pérenniser ou faire évoluer (voir document ci-après).

 

Quelle signalisation est mise en place en Italie ?

Panneaux d'indication d'entrée dans une ZTL avec les horaires et limitations
Panneaux d'indication d'entrée dans une ZTL - Cerema

L’entrée dans la ZTL est indiquée en général :

  • A droite, par un panneau réglementaire de signalisation statique qui indique les restrictions d’horaires et de véhicules. Il n’y a pas de marquage au sol.
  • A gauche, ce dispositif est complété d’un panneau à message variable dont le mât est souvent aussi le support des caméras de surveillance.

A Turin, les rues qui permettent d’entrer dans la ZTL sont majoritairement des rues à sens unique. Un autre panneau a été créé pour donner plus de visibilité à ces "portes d’entrée" : un panneau jaune et bleu avec un message plus synthétique et annonçant que la zone est surveillée par des caméras.

A Milan, sur les axes structurants comportant plusieurs voies de circulation, des portiques sont installés et supportent les caméras de surveillance des différentes files.

Le terme et l’abréviation ZTL est bien connus par les Italiens. Si la visite a concerné 3 villes d’Italie du Nord, les ZTL sont présentes sur tout le territoire italien pour toutes tailles de ville.


Verbalisation automatique : un système qui semble efficace et nécessite de bien prendre en compte les questions de protection de données

En Italie, la verbalisation automatique est très développée. Le système de contrôle possède deux caméras et retient deux images automatiquement, l’une visant à identifier la plaque d’immatriculation du véhicule, l’autre le contexte. En comparant la plaque à une liste "blanche" de véhicules autorisés (qui est actualisée quotidiennement), les véhicules en infraction sont ainsi identifiés. Une validation est réalisée par des opérateurs pour les contraventions. 

A Turin, c’est la collectivité qui adresse les amendes et qui effectue le recouvrement. La sanction s’élève à 90 € et la collectivité en relève entre 400 et 500 par jour. A Milan, les amendes s’élèvent à 85 €. Une partie doit être réinjectée dans des mesures visant à améliorer la sécurité des déplacements.

Les échanges avec les partenaires suisses et français ont soulevé de nombreuses questions : quelle acceptabilité pour ce contrôle automatisé hors de l’Italie ? Le système italien n’est pas permanent, qu’en serait-il d’un contrôle permanent ? Peut-on prendre l’image d’un véhicule non contrevenant ? La ZTL peut fonctionner avec des contrôles ponctuels à condition de développer des actions de communication pour que son intérêt soit approprié par tous. Si cette possibilité permet d’avancer avec une certaine efficacité (Grenoble, Nantes), faut-il aller plus loin ?

 

Au vu de ses trois expériences, que retenir et quelles questions restent en suspens ?

trottoir large à l'entrée de la ZTL de Milan
Entrée dans la ZTL de Milan - Cerema

Les principaux enseignements de ces retours d’expérience italiens sont les suivants :

  • Les villes ayant mis en place ces zones ont également fortement avancé sur la piétonisation. Lorsque ces zones sont créées à l’échelle d’un quartier, une bonne partie du périmètre se trouve déjà en aire piétonne.
  • Les ZTL ne nécessitent pas de réaménagement du profil en travers ; elles peuvent être aménagées de manière "légère" sans interventions lourdes.
  • La logistique urbaine est une problématique à enjeux forts. Des solutions encourageant le changement de véhicule au profit de véhicules électriques, ainsi que des horaires ou "droits de passage spécifiques" peuvent être mis en place.
  • L’institution de ce type de zone nécessite de revoir le plan de circulation, notamment pour prévoir et signaler des "échappatoires" et de prévoir en parallèle des aménagements favorables aux modes actifs pour permettre les reports. 
  • Elles ont permis un report modal important sur les modes actifs, et une amélioration de la vitesse commerciale des transports collectifs.                  

Les points de vigilance :

  • Nécessité de clarté dans les objectifs par rapport aux zones à faibles émissions (ZFE).
  • Nécessité de lisibilité de ces règles, du périmètre (entrées de zones notamment) et des différents horaires.

Les points d’étonnement sur les trois cas présentés en Italie :

  • Malgré une concertation assez peu développée, une adhésion des habitants aux ZTL.
  • Des dispositifs de surveillance automatiques très présents, qui semblent acceptés par la population.
  • La mise "sur le même plan" des deux roues motorisés qui ont les mêmes droits que les cyclistes, du moins pour les villes visitées.
  • Des zones apaisées, qui favorisent les activités locales (commerces, bars, restaurants, abords des écoles animés…) et qui pourraient aussi être davantage végétalisées (les espaces publics des trois villes visitées ont un caractère plutôt "minéral").

Les trois visites ont permis de confirmer l’intérêt de cet outil pour apaiser centre-ville et quartiers, améliorer le cadre de vie, favoriser les activités locales et le développement touristique. Les retours d’expérience ont montré que, qu’elle que soit la taille de l’agglomération ou la ville concernée, la ZTL donne des résultats très satisfaisants, avec une réduction du trafic motorisé et un report modal conséquent en faveur des modes actifs et des transports collectifs.

 

 

Article rédigé par Marion AILLOUD (responsable du secteur Espace public et voirie urbaine) et Benoit HIRON (responsable du secteur Sécurité des déplacements)

Dans le dossier Dossier "Vers des rues apaisées"

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