Le Commissariat Général au Développement Durable – Direction de la Recherche et de l’Innovation a sollicité les spécialistes du Cerema pour coordonner la rédaction d'un numéro Théma consacré aux initiatives citoyennes: "L'action citoyenne, accélératrice de transitions vers des modes de vie plus durables".
Le Cerema a été missionné par le ministère en charge de l'environnement pour réaliser une étude exploratoire, "Deqlic: définir et questionner les initiatives citoyennes", lancée en 2016 afin d'identifier les conditions d'émergence de ces initiatives, leurs caractéristiques, leurs trajectoires, ainsi que les facteurs de réussite, les besoins et les difficultés qu'elles peuvent rencontrer.
En plus d'un travail bibliographique et de recensement, une quinzaine d'initiatives citoyennes ont été analysées, puis complétées par des entretiens avec des chercheurs et personnes ressources et par des ateliers participatifs.
Ce rapport reprend les éléments de l'étude, afin de restituer les enjeux et les propositions capitalisées tout au long des échanges.
L'émergence des initiatives citoyennes
L'analyse des expériences d'une Ressourcerie Verte à Romans-sur-Isère et de la démarche des Incroyables Comestibles lancée autour de l'agriculture urbaine en Grande-Bretagne dans la ville de Todmorden qui était très touchée par la crise, montre que le besoin d'innovation, d'inventer de nouvelles solutions en dehors du cadre institutionnel prédominent. Ces initiatives constituent des formes d'innovation sociale et territoriale.
Les initiatives liées à la transition sont nées au début du XXe siècle, et se sont accélérées après 2008, quand le Manuel de la Transition a été publié par Rob Hopkins. le Mouvement des villes en Transition a été créé en 2009, de premières monnaies locales ont suivi.
Selon plusieurs experts, les initiatives citoyennes naissent et se nourrissent d'un contexte paradoxal qui voit grandir un rejet des institutions, qui engendrent, dans le même temps, le développement de l'auto-organisation des citoyens et un regain d'initiatives citoyennes. Certaines initiatives peuvent émerger dans le but de répondre à des enjeux qui semblent non pris en compte par les institutions.
Ces initiatives correspondent à une prise de conscience éco-citoyenne, au développement d'une société plus collaborative, accélérée par le numérique et à une volonté d'agir autrement face à la crise.
Selon un sondage de mars 2016 (Sondage réalisé par Harris Interactive pour le mouvement citoyen "Le Réveil de la France"), deux Français sur trois considèrent que les politiques sont "incapables d’apporter des solutions efficaces" et pour y remédier plus de huit sondés sur dix se disent en outre favorables à une démocratie "collaborative".
Ecolocal et la transition à Narbonne
L’association d’habitants ECOLOCAL dans l'Aude, territoire en prise à des transitions multiples (risques inondations, submersions marines, sécheresses, grands projets comme la LGV Montpellier-Barcelone ou les parcs éoliens...), a décidé de s’emparer de ces questions à partir de la problématique suivante : "et si le changement climatique était l’opportunité de repenser nos lieux de vie ensemble ?".
Elle a initié le projet Futur Narbonna pour répondre à ces problématiques.
Pension de famille Les Thermopyles
La prise en charge de la construction d'une pension de famille par une association de citoyens d’un quartier de Paris créée des difficultés de compréhension et de dialogue avec les institutions (notamment l’OPAC).
Le projet qui propose un habitat participatif et durable pour des personnes à faible niveau de ressources et isolées socialement, a développé a plusieurs aspects "décalés": travail avec un café associatif, bénévolat des habitants du quartier qui le souhaitent, activités associatives ouvertes aux pensionnaires...
Terres de Liens pour le foncier agricole
Accès au foncier agricole pour les petites exploitations, promotion de l’agriculture bio : Terres de Liens s'inscrit dans les politiques publiques de l’État et des collectivités.
L’association intervient dans toute la France et a 3 moyens d’action (une foncière dans laquelle les citoyens peuvent épargner, la fondation ouverte aux dons, et l’association) ce qui lui permet de racheter des fermes pour permettre l’installation d’agriculteurs, en maintenant l’activité agricole.
Un processus d'empowerment en plusieurs étapes
Les initiatives citoyennes sont portées par des individus très impliqués, militants, bénévoles, éducateurs, animateurs … qui cherchent un nouveau sens à leur action et souhaitent contribuer personnellement, par leur implication, à un projet collectif de transformation.
Dans la majorité des initiatives rencontrées, équivalence des acteurs et points de vue, écoute et bienveillance, intelligence collective et travail collaboratif fondent les règles du jeu collectif : chaque personne est considérée avec respect, pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle fait.
Plusieurs facteurs expliquent ainsi cette dynamique d'émergence d'initiatives citoyennes qui semble fonder un nouveau rapport entre l’individu et la société :
- la perte de confiance entre le citoyen et les politiques, la défiance envers les institutions,
- le développement du partage et de la société collaborative comme alternative et complément à la consommation individuelle,
- une revendication grandissante de citoyenneté plus active et de démocratie plus participative,
- les opportunités offertes par le numérique : réseaux sociaux, espaces collaboratifs, open source, big data, open data, MOOC…
Ancrées au territoire (quartier, hameau, village …), les initiatives citoyennes mobilisent l'expertise d'usage des habitants, et répondent ainsi à des enjeux qui sont bien identifiés par les personnes qui s’intéressent à la vie de leur quartier ou territoire : enjeux d'animation, de développement du lien social, de promotion de la capacité des habitants à s’impliquer.
Elles revendiquent une vision positive de la participation des habitants et défendent l'intérêt du renforcement du pouvoir d'agir citoyen, qui devient acteur de son quartier, de sa ville.
L'initiative citoyenne, comme la capacité d'agir individuelle, constituent en effet un processus d'apprentissage en plusieurs étapes touchant à différentes dimensions.
La Fabrik à Déclik
Un événement sur 3 jours en été à Bordeaux et à Lyon, qui vise à donner des perspectives d'actions aux jeunes -et moins jeunes- de 16 à 35 ans.
Elle utilise aussi fortement les outils de l'intelligence collective : ateliers d'inspiration et d'introspection, méthode SPIRAL, ateliers dynamiques etc. L'objectif est de renforcer les liens entre les jeunes, et avec le territoire.
Association Anciela
Une association lyonnaise indépendante qui accompagne les engagements et les initiatives des citoyens en faveur d'une société écologique et solidaire.
Elle donne des formations sur les outils pour les porteurs d’initiatives citoyennes et accompagne les personnes qui souhaitent monter une initiative (une association, une entreprise sociale et solidaire ou une action entre amis, entre voisins ou collègues).
La Cagette
Un supermarché coopératif et participatif à but non lucratif à Montpellier, dont les membres participent trois heures toutes les quatre semaines et sont les seul·e·s propriétaires, les seul·e·s décisionnaires et les seul·e·s client·e·s.
Il y a aujourd'hui plus de 2.700 membres, dont le panier moyen se situe autour de 140 euros, et le fréquentation augmente de mois en mois depuis la création en 2017.
Les initiatives citoyennes telles que traitées dans cette étude contribuent toutes à améliorer la vie quotidienne et le bien être individuel et collectif des habitants en répondant à des besoins sociaux non ou mal satisfaits : accès adapté à des modes de garde correspondants à des besoins spécifiques, réparation ou recyclage, partage de biens ou services, amélioration du cadre de vie, accès à une alimentation locale et de qualité ...
Leur point commun est la place centrale donnée aux habitants, acteurs et créateurs de l'initiative et leur capacité à re-définir, inventer et promouvoir de nouveaux "biens communs".
Portées par des individus ou des collectifs, les initiatives citoyennes démarrent souvent aux limites des interventions de la puissance publique ou de l'économie de marché : elles sont à la frontière entre services publics et services marchands et s'inscrivent majoritairement dans la promotion d'autres modes de développement plus solidaires et durables.
Les initiatives citoyennes, laboratoires de nouveaux modèles ?
Les initiatives citoyennes proposent souvent de réinventer des services existants en les transformant ou les adaptant et constituent ainsi des alternatives en proposant une offre "sur mesure" qui répond à une problématique particulière peu ou mal traitée.
Elles innovent aussi dans la forme choisie pour développer le projet : coopérative d'activité, Société Coopérative de Production (SCoP), Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC), auto-entreprenariat, association, collectif informel, etc. et constituent désormais un laboratoire de nouvelles formes d’organisation, voire de nouvelles formes de travail.
L'important, pour les porteurs, est de conserver une structure souple, adaptable au contexte et à l’environnement ; il n'est d'ailleurs pas rare que l'initiative, en se développant, multiplie les statuts (association et SCOP par exemple) ou se transforme au fur et à mesure du développement du projet (association puis auto-entrepreneuriat puis SCOP).
Afin de conserver leur indépendance et leur autonomie par rapport aux institutions ou aux entreprises, les initiatives citoyennes cherchent à multiplier et à diversifier leurs sources de financement : vente de prestations, adhésions, participation libre et consentie, financement participatif, etc. Recherchant un modèle autonome, les initiatives représentent un modèle hybride, ni privé ni public, et souffrent d'une certaine fragilité structurelle
Mise en réseau et convergence des initiatives citoyennes
On observe une mutualisation et une valorisation des alternatives citoyennes, qui s'organisent sous plusieurs formes.
Le recensement et la mise à disposition d’informations sur les initiatives citoyennes est assez répandu. Le numérique accélère cette diffusion, et l’on recense plus d'une cinquantaine de bases de données sur les initiatives citoyennes et innovations sociales, comme le site Efficycle, les Reporters d’Espoir, le Collectif pour une transition citoyenne, l’association 4D, le Mouvement des colibris et sa carte Près de chez nous, le Transiscope …
La multiplication de structures d’accompagnement témoigne aussi de l’envergure grandissante des initiatives citoyennes. Les exemples cités précédemment d’Anciela, de la Marmite du pays de Questembert et de Rues du développement durable illustrent cela.
Il en est de même du développement des appels à projet nationaux ou régionaux, ou des fondations, qui soutiennent les initiatives citoyennes de solidarité, de transition énergétique, d’environnement, tel celui de la Fondation de France.
La mise en réseau permet aussi à ces initiatives de prendre de l'ampleur, comme c'est le cas pour les mouvements des Villes en transition, des Incroyables Comestibles, des Colibris, d'Alternatiba...
Plusieurs organismes travaillent sur l’essaimage et le "changement d'échelle des initiatives", notamment dans le domaine de l'économie sociale et solidaire, par exemple:
- Movilab qui vise la mise en place d'un espace wiki collaboratif des initiatives, qui se focalise sur les Tiers Lieux,
- L'AVISE, portail du développement de l'économie sociale et solidaire
- Le Rameau, laboratoire de recherche et d'innovation partenariale qui expérimente de nouveaux modèles et mène de nombreux travaux de recherche appliquée pour accompagner le déploiement de solutions innovantes à grande échelle,
- L'ADASI, Association pour le Développement de l'accompagnement à la stratégie et à l'innovation de l'intérêt général,
- Pro Bono Lab : laboratoire d’innovation citoyenne spécialisé en bénévolat et mécénat de compétences.
Les initiatives citoyennes, accélérateur d'innovation publique ?
Les initiatives citoyennes entretiennent des rapports très différents d'un cas à l'autre avec les pouvoirs publics. Un typologie peut être proposée, selon un entretien réalisé auprès de Dominique Bourg, président du conseil scientifique de Movida:
- Les initiatives qui s’appuient sur les institutions et font le lien entre institutions et citoyen (Rezopouce, Covoiturons sur le pouce, "Faire ensemble 2030", "les ODD et nous" …)
- Celles dont l’objectif est d’être en marge, voire en opposition par rapport aux institutions, et qui portent un modèle de "contre-société",
- Celles qui cherchent à influer et peser sur les élus et les institutions,
- Celles qui veulent changer le système politique et proposent un nouveau projet politique centré sur les citoyens.
Difficultés rencontrées par les porteurs d'initiatives:
Pour les porteurs d'initiatives, les relations aux institutions restent difficiles et à inventer. Lors de l'atelier organisé le 30 juin 2016 avec les porteurs d'initiatives, ceux-ci ont pointé plusieurs difficultés partagées :
- le manque de lisibilité des attentes et du fonctionnement des institutions,
- la crainte d'une instrumentalisation ou récupération de leurs projets,
- la complexité des procédures et dossiers de financement qui requièrent beaucoup de temps et une forte technicité et ne correspondent pas toujours au caractère souple et évolutif des projets ; l'absence de transparence dans les critères d'attribution de subvention, des procédures qui entravent les moyens d'action ; certains porteurs de projet, manquant d'ingénierie administrative et de temps, préfèrent abandonner un soutien financier public même important et consacrer leur temps à l'action plutôt qu'aux dossiers.
- "le fonctionnement en silos des pouvoirs publics" et le fait de "devoir rentrer dans des cases".
- la difficulté d’identifier les acteurs pertinents et compétents en fonction du contexte, des objectifs du projet, difficulté accentuée par la réforme des collectivités territoriales et l'absence de vision claire des compétences de chaque niveau territorial,
- un État Central perçu "comme lointain, et peu à même de soutenir et d’accompagner l’engagement des citoyens",
- la lourdeur de la bureaucratie, des administrations et institutions qui manquent de souplesse et d'agilité
- l'impression d'un contrôle renforcé et d'un traitement contraignant.
Le dialogue, la rencontre, la confiance institutions-porteurs d'initiatives sont à développer pour plus de mutualisation et de partage des réponses aux problématiques et défis actuels.
L’initiative citoyenne, comme l'action publique, porte en elle des valeurs éthiques, de coopération, de partage d'utilité sociale et de non lucrativité : l’objectif n’est pas de générer une plus-value financière, mais de contribuer à améliorer la vie quotidienne et le bien-être individuel et collectif des habitants, en proposant une nouvelle forme de "services d’intérêt général".
La pensée disruptive des initiatives citoyennes analysées a pour finalité l’émergence d’un nouveau modèle de société basé sur la défense des "biens communs", la réponse à des besoins peu ou mal satisfaits, dans le respect de la personne et de la nature.
Face aux urgences climatiques, écologiques et sociales, une gouvernance plus partagée, plus ouverte et plus collaborative de l'action publique et de l'innovation est nécessaire. De nouveaux modèles restent à expérimenter et à inventer pour initier, incuber et déployer des dispositifs d’innovation sociale qui fédèrent et articulent action publique, action privée et action citoyenne au service des transitions écologique et solidaire.
Des partenariats qui se multiplient
Etat, collectivités et initiatives citoyennes travaillent de plus en plus en collaboration. Il y a eu en 2015 l'expérimentation "Fabriques d'initiatives citoyennes" lancée lors du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté avec l'objectif de "transformer des structures associatives recevant du public en "fabriques" d’initiatives citoyennes impliquant plus largement les habitants et développant l’engagement bénévole".
Le département de la Gironde a mis en place des "labos mobiles" pour soutenir et accompagner l'innovation citoyenne dans les territoires, et organise depuis plusieurs années les "trophées Agenda 21" qui donnent à voir et valorisent les initiatives positives mis en place par des associations, collectifs citoyens, ou entreprises girondines.
Dans le cadre de son programme TEPCV, le Pôle Territorial de l'Albigeois et des Bastides a mis en place un appel à initiatives citoyennes. Ouvert à "tout porteur de projet se situant sur le territoire (habitant, un acteur économique, association, élu ...)" qui souhaite développer une action qui permet de faire des économies d'énergie, de diminuer les déchets, les déplacements, les gaz à effet de serre, cet appel à initiatives citoyennes vise à impulser de nouveaux projets sur le territoire et propose un accompagnement à la carte aux porteurs de projets.
Recommandations pour soutenir les initiatives citoyennes
Le soutien aux initiatives citoyennes passe par plusieurs leviers et doit accompagner l'ensemble du processus d'émergence, de mise en œuvre, de développement, de pérennisation et d'essaimage de ces initiatives. Il doit être imaginé dans une logique d'accompagnement continu et évolutif, adapté aux différentes étapes du parcours du porteur d'initiative et aux différentes phases de l'initiative, mais aussi au contexte territorial et à l'écosystème d'acteurs locaux existants, dans une logique de coopération et complémentarité recherchée par les porteurs d'initiative.
- Accompagner l'émergence, développer les envies d'agir,
- Permettre la créativité des citoyens,
- Soutenir l'innovation à chaque étape,
- Accompagner la structuration et la pérennité, faciliter la mise en réseau, la valorisation et la diffusion.