Cet article fait partie du dossier : Covoiturage : le dossier du Cerema
Voir les 33 actualités liées à ce dossierLe Cerema a publié cet article qui fait le point sur les leviers d'action en juin 2021 dans la revue Techni Cités.
Le développement du covoiturage s’appuie sur une dynamique enclenchée par le succès du covoiturage longue distance, relayée au niveau des trajets du quotidien par des plateformes mises en œuvre par les collectivités puis des opérateurs privés. Cet article du Cerema paru dans Techni Cités fait le point sur les leviers d'action.
Si l’organisation du covoiturage repose fondamentalement sur la mise en relation de conducteurs et passagers, il existe plusieurs moyens de l’effectuer :
- par la mise en place d’une communauté (sphère privée, voisinage ou salariés d’une même zone d’activité),
- par des rendez-vous entre personnes effectuant une partie de leur trajet en commun (via des plateformes numériques, par téléphone, de manière anticipée ou en temps réel),
- par l’utilisation de flux routiers pour permettre la covisualisation des conducteurs et passagers et la massification des possibilités d’appariement sur une partie du trajet.
Chacune de ces formes de covoiturage a son domaine de pertinence, selon les types de territoires, de motifs de déplacement ou encore d’objectifs de politiques publiques.
Les lignes de covoiturage : des flux routiers qui permettent un appariement conducteurs-passagers
Les lignes de covoiturage se basent sur des flux routiers. Il s’agit d’une hybridation de deux types de services de déplacement : l’auto-stop et les lignes de transport en commun (TC). En effet, une ligne de covoiturage se définit par un itinéraire qui permet la massification des rencontres potentielles entre conducteurs et passagers. Des arrêts permettant la prise en charge et la dépose sont créés sur cet itinéraire. Ce type de mise en relation nécessite d’avoir une vision systémique du covoiturage qui prend en compte le service à l’usager (adaptation aux besoins, tarification, application de mise en relation, intermodalité), l’animation et la communication autour de l’offre et la création d’infrastructures spécifiques. Les lignes de covoiturage doivent prendre en compte la hiérarchie des infrastructures routières dans leur définition, puis les caractéristiques physiques de ces voiries dans leur conception.
L’animation autour de ces services est spécifique, ciblée à la fois sur les personnes se déplaçant sur l’axe identifié et sur celles susceptibles de passer à l’acte. Ainsi, le flux routier d’un axe permet de massifier la rencontre d’offres et de demandes identiques en termes d’itinéraires et d’horaires, mais il segmente le potentiel global de covoiturage d’un territoire en corridors. Les lignes de covoiturage concourent à répondre à un type de demande sur le territoire et sont complémentaires des autres types de services.
Du point de vue des usagers, les lignes de covoiturage offrent plusieurs avantages. Pour les conducteurs, c’est l’assurance de ne pas avoir à faire un détour ou à attendre. Pour les passagers, c’est l’opportunité de trouver un conducteur sur un itinéraire précis au même horaire.
Du point de vue de la collectivité, c’est un service qui s’intègre dans une vision de réseau d’offres de déplacements. L’organisation en lignes permet d’être cohérent avec un réseau TC, en complément spatial ou temporel, mais aussi en termes d’intermodalité. Le niveau de service de la ligne – temps d’attente moyen, assurance de réaliser le trajet, amplitude horaire – est alors très important, car il doit être comparable à celui d’une ligne TC afin de fiabiliser les ruptures de charge.
Lever les freins à la pratique
Les coûts de la ligne de covoiturage sont portés par les investissements en termes d’infrastructures, de services complémentaires comme la garantie retour et les applications, ainsi que les moyens nécessaires à l’animation. Ils doivent être évalués afin d’être comparés à d’autres types de services ou de liaisons similaires.
Il convient toutefois de noter que ces coûts sont susceptibles d’évoluer à la baisse, grâce à des gains de productivité dans l’exploitation du service ou du fait de fréquentations plus élevées qui réduisent certains postes de dépense (garantie de retour par exemple).
Plusieurs variations permettent au service de ligne de covoiturage d’augmenter son efficacité dans la mise en relation en augmentant le potentiel d’usagers. Il s’agit notamment de lever les freins à la pratique – notamment psychologiques – et d’augmenter le niveau de service rendu au passager, en augmentant l’offre, en la fiabilisant ou en rendant son prix très attractif.
La loi d’orientation des mobilités (LOM) a ainsi autorisé les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à accorder des gratifications – en particulier financières – aux conducteurs s’engageant à prendre en charge des passagers sur l’itinéraire et sur une plage horaire donnée. Les applications rassurent les passagers : si leur demande trouve une offre compatible, un temps d’attente est communiqué. Les garanties de trajets, dans lesquelles un conducteur professionnel vient assurer le trajet d’un passager n’ayant pas trouvé de conducteur au-delà d’un certain laps de temps, apportent l’assurance de réaliser le trajet.
Enfin, les contributions financières de la part des AOM, également autorisées par la LOM, permettent aux passagers de ne payer qu’une part réduite du prix normal (qui est déjà basé sur un partage des frais avec le conducteur) voire d’obtenir la gratuité.
Compétences des collectivités
La mise en oeuvre d’une ligne de covoiturage répond à une stratégie phasée, débutant par la réflexion autour de l’itinéraire et des points de prise en charge/dépose à retenir, se poursuivant avec la création de l’offre de covoiturage à partir de conducteurs afin d’aboutir à un usage le plus important possible.
Cette mise en oeuvre repose grandement sur les collectivités et leurs compétences. Afin de pouvoir conventionner avec un opérateur de mise en relation ou de subventionner les usagers, une collectivité doit détenir la compétence d’organisation de la mobilité. Mais, afin de réaliser les lieux de prise en charge/dépose ainsi que la signalisation inhérente, la collectivité ou un de ses partenaires doit avoir la compétence d’action sur la voirie.
Cette dernière peut également être répartie entre différentes collectivités sur l’itinéraire selon les domanialités de l’infrastructure routière, nécessitant alors des partenariats en amont de la création de la ligne afin de pouvoir assurer une homogénéité de traitement. Enfin, la partie animation autour du service de covoiturage peut être menée par les collectivités au titre, par exemple, de la compétence mobilité ou environnement.
Le diagnostic préalable est focalisé sur l’analyse territorialisée des besoins en déplacements actuels de la population. Des éléments statistiques – par exemple déplacements domicile-travail, origine et destination des flux routiers – permettent de quantifier les niveaux d’offre et de demande sur le réseau routier du territoire. Les besoins des habitants et des futurs usagers peuvent également être qualifiés au moyen de démarches de participation citoyenne, d’enquêtes ou encore de groupes de travail réunissant élus et acteurs locaux.
Cette analyse territorialisée des besoins permet d’imaginer une ligne de covoiturage dont l’offre sera cohérente avec la demande, en matière d’itinéraire ou de positionnement des arrêts. Cependant, des analyses supplémentaires doivent intervenir concernant ce positionnement : possibilité d’accès tous modes, bonne visibilité depuis l’infrastructure routière, bonnes conditions de sécurité routière (notamment covisibilité conducteurs/passagers).
La personne qui a le plus d’incertitude dans le covoiturage est le passager, qui risque de ne pas pouvoir réaliser son déplacement. Afin de limiter cet aléa, il convient tout d’abord de créer une offre fiable et attractive de conducteurs. Le premier pas sera donc une communication importante sur le corridor du territoire considéré afin de faire connaître le service et d’augmenter le nombre de personnes intéressées. La mise en oeuvre de gratifications n’est pas forcément financière – points cadeaux, autorisations d’accès à des zones de stationnement, etc. – et peut permettre de faire passer à l’acte un nombre suffisant de conducteurs pour obtenir le niveau de service désiré. Une application qui gère les échanges financiers peut aussi être mise en oeuvre afin de lever les freins relatifs aux risques de non-paiement du passager au conducteur.
Une fois l’assurance que l’offre conducteurs – sur une plage horaire donnée notamment – est suffisante, l’objectif suivant est de créer un usage. Une deuxième phase de forte communication auprès de la population est ensuite nécessaire pour favoriser l’usage du service. La mise en oeuvre de services supplémentaires, dont l’efficacité, la qualité et les coûts associés doivent être identifiés et encadrés, peut être envisagée : signalisation des arrêts, informations complémentaires fournies aux arrêts, garanties retours, applications de mise en relation voire d’échanges financiers entre conducteurs et passagers, intégration dans un système billettique local comprenant les autres modes de déplacements…
Économie collaborative
De manière analogue aux conducteurs, des gratifications permettent de faire passer à l’acte des passagers. La mise en oeuvre d’un service basé sur l’économie collaborative prend toujours le risque de ne pas rencontrer pleinement le public recherché ou, au contraire, d’être victime de son succès, notamment car la collectivité et l’opérateur ne maîtrisent pas la quantité et la répartition horaire de l’offre de déplacement (les conducteurs).
Il est donc toujours utile d’évaluer en continu le service afin d’observer sa montée en charge et sa réponse aux enjeux identifiés en amont de la mise en oeuvre : report modal, participation à la démotorisation des ménages, droit à la mobilité… Plusieurs aspects doivent être monitorés : fréquentation (quotidienne, annuelle, géographique…), distances parcourues (moyenne, total annuel…), assurance de réaliser les trajets pour un passager, temps d’attente, satisfaction des covoitureurs, niveau de réussite d’un événement de communication (nombre d’abonnés supplémentaires à l’application, évolution du nombre de trajets), etc.
De manière analogue à tous les travaux qui ont pu être menés durant les années 2000 sur les domaines de pertinence des diverses offres de transports en commun (de la ligne de bus classique au métro en passant par le BHNS et le tramway), le Cerema promeut une vision complémentaire des différentes offres de covoiturage, entre elles et avec les autres modes de déplacement. À ce jour, les difficultés engendrées par la crise sanitaire et l’état encore relativement expérimental des services en fonctionnement ne permettent pas d’obtenir une vision stable de ces domaines de pertinence.
Cependant, grâce à des investissements publics permettant la concrétisation de nouveaux projets et la diffusion des données d’évaluation, la connaissance des modalités de succès de chacun des services augmente, que ce soit dans la communication auprès du public pour accroître la connaissance de l’offre, dans la quantité minimale d’offres nécessaires pour garantir un bon niveau de service ou encore dans les coûts engendrés pour la collectivité.
Par Jean Robert, directeur d’études mobilités partagées, Cerema
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