Cet article fait partie du dossier : Dossier : les Zones à Faibles Emissions - mobilité (ZFE-m)
Voir les 13 actualités liées à ce dossierFace au constat des dépassements réguliers des seuils de pollution réglementaires, l’État et les collectivités se sont engagés pour l’amélioration de la qualité de l’air.
Ainsi, en octobre 2018 a été annoncée une politique de déploiement des zones à faibles émissions (ZFE) dans les 15 territoires les plus touchés par la pollution atmosphérique. Le principe est une interdiction de circuler pour certaines catégories de véhicules polluants qui ne répondent pas à certaines normes d’émissions. La mise en place très souple des ZFE (périmètres, véhicules concernés) est laissée à l’appréciation de la collectivité territoriale.
La mise en oeuvre d’une ZFE est une mesure réglementaire d’interdiction [1], qui, pour garantir son bon fonctionnement et son efficacité, nécessite d’une part la mise en place d’un contrôle et de sanctions, et d’autre part son acceptabilité sociale. En effet, l’effectivité des politiques publiques est conditionnée à cette acceptabilité, qui est elle-même fortement dépendante de la justice sociale des politiques concernées. Cette notion de justice sociale est récemment revenue sur le devant de la scène.
LONDRES : UNE ÉTUDE D’IMPACT SUR LES INÉGALITÉS
Pour autant, d’après le parangonnage de l’ADEME (actualisé en mars 2018, qui recense 227 zones) sur les ZFE Europe (2), "la prise en compte des enjeux sociaux est le dernier volet des thématiques abordées par les études et évaluations ex ante. L’effort est avant tout tourné vers la prise en compte des effets de la ZFE sur la qualité de l’air. Ensuite, les évaluations considèrent les impacts sur les transports, car ils engendrent des données pour les suivis environnementaux et économiques. Les impacts sociaux sont analysés comme des effets secondaires".
En effet, seule la ZFE de Londres a fait l’objet avant sa mise en place d’une étude d’impact sur les inégalités, par obligation réglementaire.
Cette étude s’intéresse à l’impact de la ZFE sur des "groupes cibles" qui sont déterminés par l’autorité locale de Londres (femmes, populations noires et minorités ethniques, jeunes, personnes âgées, personnes handicapées, lesbiennes, gays, bi et trans, personnes de différents groupes religieux). L’étude s’est aussi intéressée aux personnes socio-économiquement défavorisées, aux Roms et aux gens du voyage qui pourraient potentiellement être impactés.
Cette étude conclut que les groupes cibles profiteront particulièrement des bénéfices attendus en termes d’amélioration de la qualité de l’air. Par contre, le manque de données ne permettait pas de déterminer si les coûts de mise en place de la ZFE (qui peuvent se traduire par un investissement pour un véhicule aux normes, ou rallonger le trajet pour éviter la zone) seraient plus supportés par les groupes cibles que par le reste de la population.
Il a été quand même spécifié le risque d’un appauvrissement de la diversité culturelle de Londres par une possible exclusion des événements proposés par les forains et les circassiens à l’extérieur de Londres. L’étude pointe également l’effet de la mesure sur les entreprises. Celles qui seraient le plus touchées seraient les très petites entreprises, qui se voient obligées de cesser tout ou une partie de leur activité à cause de la hausse des coûts induits par la ZFE.
BÉNÉFICES & CATÉGORIES SOCIO-PROFESSIONNELLES
Une étude qui a modélisé des ZFE sur Rome (3) a montré que les bénéfices en termes d’amélioration de la qualité de l’air profitent aux personnes les plus aisées, surtout si le périmètre de la ZFE est restreint, du fait d’une plus grande concentration de catégorie socio-professionnelles (CSP) élevées dans le périmètre de la LEZ.
Une autre étude de 2013 de l’université du Minnesota-Duluth sur le cas de la ZFE (ex-ZAPA) à Grenoble s’est appuyée sur l’enquête ménages déplacements pour observer l’impact social sur la mobilité (4). En croisant les données sur les origines-destinations, les caractéristiques des véhicules des ménages et les données socio-démographiques, l’étude conclut que la ZFE a des impacts différenciés selon les CSP.
Celles aux plus faibles revenus sont les plus concernées, si l’on regarde les personnes en échange avec la zone. En effet, dans ces groupes il y a une plus grande proportion de véhicules concernés par l’interdiction. De plus, une estimation des possibilités de report vers un autre mode a montré qu’environ la moitié des personnes concernées par l’interdiction n’ont pas d’alternative à la voiture.
Pour pouvoir conclure à une injustice sociale, cette étude indique qu’il faudrait effectuer une analyse coûts-bénéfices, qui dépendra de l’amélioration effective de la qualité de l’air, des coûts du changement de véhicule et de l’échelle spatiale d’analyse. Elle confirme cependant que si le périmètre géographique de la ZFE est restreint, les bénéfices de celle-ci profitent en particulier aux CSP les plus élevées.
UN BESOIN DE COHÉRENCE ET DE TRANSVERSALITÉ
Les obligations européennes favorisent la réalisation d’évaluation des enjeux et des impacts sociaux, notamment lors de l’évaluation des politiques environnementales. Néanmoins, dans son rapport de 2012 (5) sur la prise en compte des enjeux sociaux dans les politiques publiques environnementales, l’ADEME observe "un écart important entre les préconisations des guides et leur mise en oeuvre opérationnelle en ce qui concerne la diversité des enjeux sociaux considérés (plus limitée en pratique) et la qualité des évaluations (souvent frustres en pratique). L’absence de connaissance sur le lien entre enjeux sociaux et environnement, l’absence d’expertise des équipes d’évaluation, ou l’intérêt limité des porteurs de politiques environnementales pour la question sociale, sont autant de facteurs pouvant expliquer cet écart".
Pour une meilleure prise en compte des enjeux sociaux, l’ADEME recommande d’améliorer ex-ante la connaissance sur les populations vulnérables, d’améliorer la transversalité et la gouvernance entre les champs du social et de l’environnement, et de renforcer la cohérence des dispositifs dans le cadre de démarches globales.
Par ailleurs, les normes européennes des véhicules sur les émissions de polluants, même en ayant été renforcées, ne permettent pas d’attendre les objectifs de l’accord de Paris. De plus, les différentes études tendent à montrer que les ZFE ne réduisent pas le trafic mais ne font qu’accélérer le renouvellement du parc automobile, et que l’amélioration de la qualité de l’air urbain est elle-même contrastée.
Ainsi, les ZFE doivent être étudiées dans le cadre d’une politique territoriale plus globale. En mars 2019, le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) a formulé un avis en ce sens (6). Dans cet avis plusieurs préconisations sont mises en avant. Il est recommandé de traiter la question de la mobilité conjointement avec celles de l’énergie, du logement, de l’agriculture et de l’alimentation dans une "politique territoriale de développement durable et solidaire" (préconisation 6), et en particulier de "faciliter la mobilité choisie et limiter la mobilité contrainte" (préconisation 6.3).
Dans ce contexte, l’impact social des ZFE n’est donc pas à négliger.
1. Décret no 2016-847 du 28 juin 2016, et article 28 de la future loi orientation sur les mobilités
2. ADEME, Pouponneau M. RINCENT AIR, Forestier B., Cape F., 2018. Les zones à faibles émissions (Low Emission Zones) à travers l’Europe : déploiement, retours d’expériences, évaluation d’impacts et efficacité du système. Rapport, 112 pages.
3. Cesaroni et al., 2012, Health benefits of traffic-related air pollution reduction in different socio-economic groups : The effect of low-emission zoning in Rome
4. Charleux L., 2013, Contingencies of environmental justice : the case of individual mobility and Grenoble’s Low-Emission Zone
5. Benchmark sur la prise en compte des enjeux sociaux dans les politiques publiques environnementales, ADEME, Rapport numéro 11 10 C 0019. Octobre 2012
6. CESE « Fractures et transitions, réconcilier la France », 2019-06, NOR : CESL 1100006X.
Auteurs :
Maïlys ZAMBLERA, Chargé d'études en modélisation des transports – Cerema Sud Ouest
Stéphane MAGRI, Responsable du groupe transports et intermodalité - Cerema Sud Ouest
Article publié dans TEC n°242 https://atec-its-france.com/boutique/tec-242/
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