Le domaine "expertise et ingénierie territoriale" du Cerema recouvre de nombreux métiers et compétences autour de l’aménagement, l’observation et les stratégies foncières, les stratégies territoriales, de la transition écologique des territoires, l’adaptation au changement climatique, la participation, … Il regroupe des équipes présentes sur l’ensemble du territoire, capables de développer des synergies pour répondre aux besoins d’aujourd’hui, et de demain des territoires. L'objet du séminaire était de faire se rencontrer les équipes, de prendre du recul et de la hauteur, tout échangeant sur les pratiques professionnelles et l’évolution des métiers.
Alexandre Monnin : Repenser l’attachement à l’existant dans le cadre des transitions
Le séminaire a démarré par une séquence interpellante d'Alexandre Monnin, co-auteur de l’ouvrage Héritage et fermeture (Divergences, 2021) puis auteur du livre Politiser le renoncement (Divergences, 2023), mais aussi directeur du MSC Stratégie et Design pour l’Anthropocène. Il a pu exposer une vision transversale globale et non sectorielle des nécessaires transitions, en s’appuyant pour cela sur l’approche du design.
Les méthodes inspirées du design permettent en effet de réinterroger les besoins et les usages ou encore les "attachements", dans une perspective de redirection écologique, pour s’interroger au plus tôt sur les choix à faire, notamment sur les équipements, infrastructures, activités auxquels il faut/faudra renoncer : "on ne pourra pas tout maintenir en se contentant de tout verdir". Il est fondamental que de tels choix s’opèrent de façon démocratique, en associant largement tous les acteurs des territoires.
Accompagner les collectivités sur ce type de démarche nécessite d’accepter de travailler en contexte incertain, et d’accepter le trouble qui peut en résulter pour elles, en créant un cadre de dialogue qui permette de discuter en confiance. Pour cela, l’enquête sur les attachements, menée avec le territoire, est centrale dans la méthode d’Alexandre Monnin. Elle vise à comprendre collectivement les liens qu’entretiennent les habitants avec leur territoire, son organisation, ses services. Cela permet d’anticiper collectivement le "renoncement" à certains d’entre eux en mettant en mouvement les acteurs, d’ouvrir le champ des possibles avant de penser solution, de définir des protocoles de "désattachement et réattachement", pour être au final plus résilient aux crises.
Le Cerema, grâce à son expertise multiple pluridisciplinaire et son approche intégrée de ses accompagnements, et son implantation territoriale au plus près des territoires, peut contribuer à ce type de démarche, par exemple sur l’alimentation du de diagnostics, sur l’articulation entre les échelles ou encore sur l’association des parties prenantes…
Table ronde : Transitions et expertises, quelles (r)évolutions pour le Cerema ?
A la suite de la conférence d’ouverture, une table ronde a réuni plusieurs intervenants du Cerema ayant une expertise particulière ou une expérience sur les questions de transition, de résilience territoriale, de participation et d’association des parties prenantes, de numérique et gouvernance des données sur un territoire. Il s’agissait de partager des retours d’expériences et enseignements issus des accompagnements de collectivités dans leurs démarches de transition : s’appuyer sur le collectif et l’expertise des parties prenantes, promouvoir le dialogue et l’ouverture aux échanges, s’immerger dans les territoires, changer de regard, décloisonner…
Ces modes de faire se déclinent à travers des projets et accompagnements innovants dans les territoires : création d’un serious game sur le changement climatique en Gironde, d’un MOOC avec des intervenants qui proposent de nouvelles voies pour les transitions, ateliers participatifs pour co-construire une stratégie de résilience… Le Cerema teste, expérimente, questionne les pratiques, capitalise et diffuse les connaissances sur ces enjeux d’aménagement et plus largement de transition et d’adaptation des territoires.
L’exemple de la démarche menée dans le cadre du projet de recherche-action MLA3 sur l’intégration du risque des glissements de terrain lents dans les Alpes a également été présenté : ce projet fondé sur la coopération visait à développer une approche humaine et sociale du risque, pour compléter l’expertise technique. La démarche avait pour ambition de croiser l’expertise technique et la connaissance du territoire par ses habitants, ce qui a permis d’élargir le questionnement vers les enjeux de transition écologique et de transition sociale, et faire émerger de nouvelles pistes de solutions.
Le Cerema a développé et continue de développer une expertise territoriale intégrée, qui permet d’accompagner les démarches de transition en interrogeant la manière de travailler, en s’appuyant sur l’observation des territoires, l’écoute des acteurs pour identifier des solutions à mettre en œuvre. Cela implique un véritable renouvellement de la posture d’expert dans et face aux territoires qui sont acteurs de leur transition, pour être à l’écoute de leurs besoins dans un contexte d’urgence et besoin fort d’innovation.
Ateliers thématiques : aller plus loin dans le partage et la co-construction des postures, offres de services, de la montée en compétence
La séquence du séminaire a permis de travailler en format "ateliers" rassemblant deux collectifs de travail et privilégiant la co-construction et la recherche de solutions via des démarches d’intelligence collective.
C'est autour d'un atelier collectif en mode "forum ouvert" que nos experts de l’accompagnement des transitions et de l'aménagement durable se sont réunis. Le forum ouvert est une méthode d'intelligence collective reposant sur l'horizontalité et permettant à chacun de s’exprimer sur ce qui lui importe et le motive vraiment, de proposer et de s’impliquer autour d'un sujet commun.
Le thème fil rouge : "acteurs de l’expertise territoriale intégrée"
Le programme a ainsi été coconstruit collectivement pour approfondir une dizaine de sujets autour de mini-ateliers proposés par - et à - tous les participants, permettant mise en mouvement, réflexion collective et recherche de solutions pour enrichir nos pratiques professionnelles.
Ainsi, sans être exhaustif, certains mini-ateliers ont permis d'approfondir des thématiques telles que l' "approche systémique intégrée" pour réussir à dépasser les approches traditionnelles thématiques "en silo", l'intégration de l'approche sociologique dans l’aménagement pour explorer les questions d'acceptabilité, d'usages et besoins dans les projets, ou encore la question de l'économie au service des projets de territoire pour explorer l'articulation des questions de croissance, de consommation, de ressources dans les projets, quand d'autres mini-ateliers ont permis de questionner nos méthodes de travail au Cerema telles que l’intégration de l'innovation dans nos modes de faire (notamment par les méthodes d’intelligence collective), l'apport des accompagnements en cohorte de collectivités, le changement de posture et les nouveaux "profils" d'experts…
En parallèle, et dans un autre lieu, les experts du foncier au Cerema se sont retrouvés pour mieux travailler ensemble, partager les réuissites et questionnements, et gagner en transversalité, à l’échelle de l’établissement, au bénéfice des territoires.
Gestion foncière:
2 questions principales étaient au cœur des échanges :
- Comment mieux outiller sur la connaissance et l'observation du foncier et la recherche de gisements fonciers ? le partage d'accompagnements très complets réalisés par le Cerema auprès de collectivités visant à créer des observatoires, a permis de s'interroger et d'avoir de nouvelles idées sur les développements à réaliser sur des outils numériques de data-visualisation, tels qu'Urbansimul, destinés à répondre aux attentes et aux besoins d'un large panel d'utilisateurs.
- Comment accompagner la conception de stratégies foncières très globales, concernant tous les usages du sol ? les retours d'expérience ont montré que l'implication des élus dès l'amont des travaux était indispensable, car c'est bien le projet politique de territoire qui est à ré-interroger à l'heure du Zéro artificialisation nette, par-delà les questions techniques.
Les participants de ces ateliers ont pu apprécier se retrouver, et échanger entre pairs sur leurs pratiques professionnelles, dans un esprit de progression collective du Cerema pour mieux accompagner les attentes des territoires.
Visite du quartier Gratte-Ciel à Villeurbanne : un siècle d’aménagement
Le domaine "expertise et ingénierie territoriale", ce n’est pas que de la théorie sur les pratiques professionnelles, c’est aussi mesurer la concrétisation possible sur le terrain. Quoi de mieux que partager les expertises professionnelles et croiser les regards à l’occasion d’une visite de quartier, dans sa dimension transversale et pluridisciplinaire que prônent les tenants de l’aménagement durable à l’échelle du quartier.
Une visite d’un quartier historique de Villeurbanne et de sa transformation a ainsi été organisée avec l’appui de l’ensemble des partenaires du projet, la Ville de Villeurbanne, la Métropole de Lyon, la SERL, la Société Villeurbannaise d’Urbanisme. Ce projet a été choisi parce qu’il répond à de nombreux enjeux de l’aménagement : refaire la ville sur la ville, offrir une mixité de fonctions urbaines, intégrer dans les espaces publics et les bâtiments des exigences fortes de qualité urbaine et environnementale, impliquer les habitants/entreprises dans la co-construction du projet et la vie future du quartier, etc.
Agnès Thouvenot, première adjointe de la ville de Villeurbanne, a retracé la genèse du quartier historique des Gratte-ciel et présenté les orientations du projet Villeurbanne Grand Centre (notamment construire une identité forte pour le centre-ville ; accroître l’attractivité, l’hospitalité et l’animation du centre-ville).
Conçu dans les années 30 pour construire un centre-ville entre trois villages alors situés dans la banlieue ouvrière de Lyon, l’objectif était de "faire ville" en créant 1500 logements sociaux et en offrant des commerces et services, des activités culturelles et de loisirs, et en connectant le quartier aux pôles proches. Les immeubles, inspirés des gratte-ciel new-yorkais, ont été réalisés grâce à la mise en place d’une structure innovante, la Société Villeurbannaise d’Urbanisme, qui a permis de financer le projet avec des capitaux privés et publics et par la suite d’assurer la gestion des logements et des commerces.
L’ambition de doubler la surface et l’offre commerciale du quartier s’est concrétisée avec la création de la ZAC de Gratte-Ciel centre-ville en 2011 qui développe un programme diversifié de 848 logements respectant un référentiel de qualité, d’équipements publics renforcés et d’espaces publics arborés et apaisés.
En 2020 le projet de Villeurbanne Grand Centre a été lancé pour renforcer le rôle de centralité du quartier en le rendant plus attractif, en favorisant les liens entre les habitants et en améliorant la connexion (modes actifs et ligne forte de TC) avec les quartiers environnants.
Ainsi, plusieurs thèmes ont été abordés, le rôle des espaces publics dans le maillage, la marchabilité, la végétalisation, le rafraichissement de la ville, la mixité des usages et la densification, le lien social… dans un contexte de forte spéculation foncière et de coûts élevés de réalisation des projets.
Différents lieux de balades sur site et d’ateliers dans la Maison du projet ont pu être proposés aux participants.
La SERL et la Métropole de Lyon ont présenté, autour de la maquette à la Maison du Projet, la genèse de la ZAC et son programme de construction et d’équipements publics. Une attention particulière est portée sur la qualité des logements, bioclimatiques et bénéficiant d’espaces extérieurs, ainsi que de toitures végétalisées accessibles. Le mode de conception des programmes de logements a permis d’associer l’ensemble des acteurs de la filière (aménageur, collectivités, promoteurs, architectes, constructeurs). Parmi les enjeux environnementaux ont été évoqués les choix énergétiques (géothermie et réseau de chaleur), l’utilisation de matériaux biosourcés.
Une stratégie pour une logistique durable
*Une présentation de la stratégie en matière de logistique urbaine a été réalisée par la SERL et la Métropole de Lyon. Une Zone à Faible Emission a été créée en centre-ville, alors que la consommation de biens en livraison augmente, de même que les nuisances telles que la pollution, la congestion, les accidents. Le projet de "logistique en quartier dense" porté par la Métropole de Lyon ainsi que la ville de Villeurbanne et la SERL, a été retenu parmi les lauréats de l’AMI "Démonstrateur de la ville durable".
Le premier axe du projet concerne "un modèle de logistique urbaine décarbonée pour l’approvisionnement du futur centre-ville" notamment sur le dernier kilomètre en vue de planifier différentes actions : identifier des sites à acquérir pour le foncier logistique, développer l’offre multimodale, harmoniser la réglementation au niveau local, sensibiliser les acteurs et développer un écosystème public-privé de la logistique urbaine, configurer les futurs commerces.
Le second axe concerne "la logistique de chantier adaptée à un projet de grande échelle en centre-ville dense", afin de mutualiser les approvisionnements en matériaux et la gestion des déchets via un logiciel commun de régulation des flux des camions de chantiers.
La visite du quartier conduite par la Ville et la SERL a permis de découvrir une zone d’occupation temporaire utilisée par des associations et entreprises de l’ESS, installés dans des conteneurs aménagés durant trois années sur un terrain en friche dans le cadre de l’aménagement de la ZAC. Le parcours s’est poursuivi vers les premiers équipements publics (lycée, groupe scolaire et gymnase) livrés en anticipation des futurs logements construits sur le périmètre de la ZAC. Plusieurs espaces publics dans ce secteur font l’objet d’une démarche de co-conception avec les habitants.
Les participants à la visite ont également pu se rendre dans le quartier historique, en montant au 14ème étage d’une des tours des Gratte-Ciel. L’intervention de la Société Villeurbannaise d’Urbanisme (SVU) a permis de présenter cette société d’économie mixte avant l’heure, qui gère l’ensemble des logements et des locaux commerciaux du quartier historique.
La SVU est également revenue sur l’histoire du projet Gratte-Ciel, dès les années 30. La volonté du maire était de créer un centre à Villeurbanne, dans un contexte de crise du logement. Ainsi le quartier Gratte-Ciel a été dès le départ pensé comme un espace multifonctionnel, et la volonté de maîtrise public – notamment pour proposer des loyers modérés – a été incarnée par la création de la SVU.
Presque un siècle plus tard, le programme de la ZAC en reprend les grands principes : la multifonctionnalité, la gestion commerciale confiée à la SVU, et la cohérence avec le quartier historique, dans la trame viaire comme dans les formes urbaines.