Le Cerema propose un panorama des projets de REUT menés en France, et présente les premiers enseignements. A l'occasion de la sortie de l'ouvrage, une interview en 3 questions à son auteure Caherine Néel, chargée de mission eau et déchets.
L'ouvrage "Réutilisation des eaux usées traitées : Le panorama français" vient d'être publié. Destiné aussi bien aux collectivités qu'aux entreprises ou même aux particuliers envisageant de mettre en oeuvre la réutilisation des eaux usées traitées, il présente l'état des lieux des projets en France, les leviers pour la mise en oeuvre, les enseignements et les perspectives de développement.
Afin de mieux cerner les enjeux autour de la REUT, le Cerema propose une interview en 3 questions de Catherine Néel, chargée de mission eau et déchets, qui a rédigé l'ouvrage.
La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) a commencé en France dans les années 80, et est de plus en plus encouragée par les politiques publiques. Quels sont les enjeux autour du développement de la REUT pour les collectivités, les entreprises ou les particuliers ?
Les cas français de réutilisation des eaux usées traitées (REUT) présentés dans l’ouvrage correspondent à une valorisation d’eaux usées traitées (EUT) au niveau de stations de traitement et d’épuration d’eaux usées (STEU). La réglementation évolue en faveur de réutilisation d’eau traitée au niveau d’installations privées classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et même en faveur de réutilisation d’eau traitée par un dispositif d’assainissement non collectif des eaux usées. Développer la REUT est peut donc être un enjeu non seulement pour les collectivités, pais aussi pour les entreprises privées, voire les particuliers.
La REUT est l’une des solutions de recours aux eaux non conventionnelles, parmi d’autres solutions comme la récupération puis l'utilisation d'eau de pluie, la réutilisation d'eau d'exhaures ou le recyclage d'eau industrielles.
Pour une collectivité, l’enjeu à développer le recours aux eaux non conventionnelles est multiple, à condition que ce recours reste destiné à des usages actuels, en substitution des prélèvements de la ressource en eau conventionnelle (eau brute prélevée en rivière, lac ou en souterrain). L'objectif est de ne pas consommer davantage d'eau et de rendre son utilisation plus efficiente.
A cette condition seulement, la REUT pour un usage approprié permet au(x) bénéficiaire(s) d’assurer la satisfaction d’un besoin en eau, même en période de restriction d’usage de la ressource en eau (arrêté sécheresse). C’est de ce fait l’une des mesures possibles d’adaptation de la gestion de l’eau au changement climatique.
Les bénéfices sont aussi à évaluer en termes économiques, on peut relever trois éléments principaux:
- La REUT permet d’économiser une eau potable précieuse : Prélever l'eau puis la potabiliser coûte cher, et favoriser la REUT ou le recours à d’autres types d’eaux non conventionnelles pour les usages ne nécessitant une qualité d’eau potable, tel l’arrosage d’espaces verts ou l’irrigation agricole, le lavage d’engins, d’équipements ou l’hydrocurage, est donc une mesure d’efficience économique de gestion de l’eau.
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La REUT met à profit la valeur ajoutée de l'eau usée traitée : L’eau usée traitée est déjà dans des tuyaux. Elle est délivrée de manière constante à la sortie des stations d’épuration, avec un débit prédictible. Cela peut bénéficier à une zone humide dont le bon fonctionnement nécessiterait des apports artificiels récurrents d’eau. La température quasi constante de l’eau traitée en sortie de STEU facilite sa valorisation énergétique. La qualité de l’eau usée traitée est connue et contrôlée en continu. Cette eau usée traitée apporte généralement des éléments nutritifs indispensables aux plantes. Ainsi, la valorisation des eaux usées traitées pour l’arrosage d’espaces verts ou pour l’irrigation agricole devient une fertigation permettant des économies de fertilisants.
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La REUT permet d’éviter des coûts de restauration des milieux : Par exemple, lorsque le rejet de la station d’épuration s’effectue en zone sensible à l’eutrophisation ou en amont d’usages vulnérables (baignade, conchyliculture, aire marine protégée...), réutiliser l’eau usée traitée en l’infiltrant dans le sol contribue à éviter le rejet de la STEU en période sensible ou à éviter des coûts disproportionnés de mise à niveau du traitement de l’EUT avant son rejet au milieu aquatique. L'option de la REUT permet alors d'éviter d'importants investissements.
La REUT présente aussi des avantages en termes politiques et sociaux. Mise à l’étude parmi d’autres solutions d’utilisation d’eaux non conventionnelles, dans le cadre d’un projet de territoire de gestion durable de l’eau, elle positionne la collectivité dans une dynamique d'économie circulaire et de partage de l'eau et favorise ainsi une culture locale de gestion durable des ressources.
Quels sont les points d'attention à avoir dans l'élaboration et la mise en oeuvre des démarches, pour que les projets de REUT soient viables?
Il est important d’inscrire la REUT dans un projet territorial de gestion durable de l’eau, en partageant les objectifs par rapport aux enjeux du territoire et en évaluant les bénéfices et risques tant du point de vue écologique, que du point de vue économique. Cette solution demandant un investissement et des aménagements, il est crucial d’en évaluer l’opportunité puis la faisabilité dans par une approche prospective du territoire, intégrant les tendances d’évolutions climatiques, démographiques et de dynamique socio-économique du territoire.
Tout est une histoire d’équilibre entre les bénéfices et les risques prévisibles sur le long-terme.
Si la REUT est recherchée comme mesure d’adaptation du territoire au changement climatique, elle ne sera opportune que si elle est accompagnée de mesures générales d’économie d’eau, de réfection des réseaux et qu’elle n’incite pas l’augmentation de la consommation d’eau.
Du point de vue environnemental, il est indispensable de veiller à ce que la REUT ne contribue pas à saliniser les sols, ni à soustraire un volume d'eau essentiel au bon fonctionnement du milieu récepteur du rejet de la STEU en période d’étiage et à en évaluer les risque en fonction de la qualité de traitement de l’EUT.
Sur le plan économique, une REUT centralisée au niveau d’une station de traitement et d’épuration d’eaux usées (STEU) nécessite un investissement pour mettre en œuvre le post-traitement, constituer le dossier d’autorisation, organiser le suivi.... Cet investissement doit rester proportionné par rapport à la situation locale, à la disponibilité de la ressource en eau, au prix local de cette eau, aux investissements à consentir par les bénéficiaires, et aux coûts évités par la REUT.
Pour un usage saisonnier, destiné à l’irrigation agricole ou à l’arrosage d’espaces verts, de terrains de golf ou de sport, la REUT nécessite automatiquement un stockage de l’eau au sein de lagunes utiles à la désinfection de l’eau. L’alimentation des lagunes doit s’effectuer en dehors de la période d’étiage. Là encore, il s’agit de trouver un équilibre entre le risque de nuisances et au contraire l’opportunité de valorisation paysagère, voire pédagogique, pour que les lagunes deviennent un habitat ou un milieu d’intérêt pour les riverais ou pour des espèces protégées.
Quels travaux mène actuellement le Cerema autour de la réutilisation des eaux usées traitées, notamment auprès des collectivités ?
Le Cerema participe au groupe de travail national sur les Eaux Non Conventionnelles piloté par le Ministère de l’Ecologie / direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) - Direction de l'Eau et de la Biodiversité et animé par l’ASTEE (association française des professionnels de l'eau et des déchets).
Le Cerema appuie la Direction Départementale des Territoires (DDT) du Puy-de-Dôme, pour étudier les opportunités de recours aux eaux non conventionnelles sur leur territoire, en amont du lancement d’une démarche de PTGE (Projet de Territoire de Gestion Durable de l’Eau). Un appui similaire est prévu pour le Cantal. L’idée est d’identifier les zones à enjeux qui pourraient motiver le recours aux eaux non conventionnelles et d’aider les collectivités qui se montreraient motivées par de telles solutions à évaluer l’opportunité de leur projet par rapport aux enjeux du territoire.
Au-delà, le Cerema peut se positionner en accompagnement scientifique et technique de collectivités ou d’entreprises, dans le cadre de partenariats de Recherche et Développement soit pour des études d’opportunités multi-critères, soit pour des études de faisabilité de démonstrateurs, en particulier dans le cas de REUT souhaitée pour des usages encore non réglementés en France.
L’idée est d’acquérir ensemble des connaissances et/ou de suivre des expériences susceptible d’aider à l’avenir l’évolution de la réglementation ou l’évolution des méthodes de traitement des données ou des protocole de suivi de la qualité de l’eau. C’est ce qui est en cours pour une collectivité de la région de Nouvelle Aquitaine et en projet pour un démonstrateur de REUT décentralisée, à usage sanitaire, au sein de bâtiments en Normandie.
Pour accéder à l'ouvrage :