Mercredi 25 mai, une orque a été observée dans la la Seine par les spécialistes du Groupe d'Etudes des Cétacés du Cotentin et des mammifères marins de la mer de la Manche (GECC) et l'Office Français de la Biodiversité. Le préfet de Seine-Maritime a alors organisé des réunions avec différents services de l'Etat pour organiser une observation précise de l'animal et déterminer son état de santé ainsi que les actions possibles pour le ramener à la mer.
Une équipe d'experts pour observer et sauver une orque en détresse
Un groupe d’experts pluridisciplinaires réunissant le GECC, l’OFB, le Cerema/UMRAE, l’ENSTA Bretagne (École nationale supérieure de techniques avancées), NOS (Norwegian Orca Survey), et d’autres biologistes spécialisés en mammifères marins ainsi qu’un vétérinaire spécialiste de la faune sauvage a été constitué. Charlotte Curé, chercheuse spécialisée en acoustique membre de l'équipe de l'Unité mixte de recherche en Acoustique Environnementale (UMRAE) a été chargée de piloter l'opération sur le plan technique et d'assurer le rôle de porte-parole technique auprès des médias, nombreux à suivre la mission.
Ce groupe a proposé une opération aux services de l’Etat qui a donné son accord et a mobilisé au plus vite tous les moyens nécessaires pour la réalisation de l’opération de sauvetage qui s'est déroulée le samedi 28 mai. Un protocole de sauvetage utilisant des stimulis acoustiques, déployé précédemment lors d'une opération de sauvetage en Norvège, a été réutilisé et adapté aux circonstances.
L'opération avait deux objectifs:
- établir un diagnostic de l’état de santé de l’animal
- mettre en oeuvre un protocole expérimental de diffusion sonore pour inciter l’orque à rejoindre l’embouchure de la Seine.
C'est en utilisant les stimulis acoustiques et des prises de vues aériennes que l'équipe a pu localiser l'orque et estimer son état de santé. Il est apparu que l'animal était affaibli, avait un comportement anormal et semblait désorienté. Le vétérinaire a pu poser un diagnostic de mucormycose, "une maladie émergente observée sur des mammifères marins à plusieurs endroits du globe (notamment en Amérique du Nord) sans que les spécialistes n'aient à ce jour connaissance de cas comparables en Europe. Il s'agit d'une affection profonde du derme et de l'épiderme susceptible de toucher des animaux immunodéprimés", précise la préfecture de Seine-Maritime.
Cet animal subissait un stade avancé de la maladie, et n'a pas pu être ramené à la mer, le groupe d'experts a donc été contraint de retenir dans un premier temps la solution de l'euthanasie.
Le groupe d'experts réunis pour monter le protocole de sauvetage était prêt à poursuivre l'opération si l'animal avait une chance de survie. L'animal étant à l'agonie (il était manifestement condamné à très court terme selon l'expert vétérinaire sur place), le bien être de l'animal a primé et l'objectif ne pouvait plus être le sauvetage mais d'abréger ses souffrances. Le 30 mai son décès a été constaté. Le corps de l'orque a été remorqué pour des analyses par des vétérinaires et biologistes, afin notamment de comprendre les causes de ses problèmes de santé et de son décès.
Un dispositif d'envergure pour observer l'animal
De nombreuses données ont été collectées au cours de l'opération du 28 mai : photos et vidéos par appareils photos et drones, enregistrements des vocalisations de l’animal par hydrophones mis à l’eau, et observations visuelles du comportement par des observateurs spécialisés.
Les experts présents sur place ont pu constater une absence de vivacité notable et un comportement atypique et désorienté de l’animal (par exemple des aller-retour d’un côté à l’autre de la berge). Les enregistrements acoustiques indiquent la répétition d’une vocalisation ou quelques vocalisations qui ressemblent aux cris de détresse émis de façon répétée dans des situations de stress intenses (Figure 1), comme cela a déjà été caractérisé chez l’orque ou des espèces proches comme le globicéphale noir.
L’état de santé de l’animal diagnostiqué par le vétérinaire était alarmant : mycose généralisée de type Mucormycose. Les photos ont révélé des ulcérations profondes, une dermatite profonde avec lésions nécrotiques. Ces constatations associées aux troubles du comportement évidents de l'animal et les signaux de détresse émis par intermittence ont amené à conclure à un état très dégradé de l’état physiologique et comportemental de l’animal.
Les réactions aux différentes tentatives d’émission sonores étaient incohérentes. Certains signaux ont entraîné une réponse d’évitement (en direction opposée à la source sonore, comportement cryptique). Dans d’autres cas, l’animal semblait rester en retrait, même lors de la diffusion de stimuli supposés être “attractifs” et visant à l’attirer en direction de l’estuaire.
Les réactions ne ressemblent pas à celles observées lors d’expériences similaires réalisées chez la même espèce, que ce soit dans un contexte naturel ou stressant (ex: opération similaire réalisée en Norvège en 2017 chez des orques coincées dans une baie). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ce comportement : le fait que l’animal soit seul (sans son groupe social), de population inconnue (choix des stimuli sonores “à l’aveugle”) dont on ignore le dialecte, affaibli et malade (incapacité à répondre aux stimuli). Il est possible aussi que ses systèmes cognitif et auditif soient endommagés.
En effet, le diagnostic établi par le vétérinaire indiquait une infection profonde du derme et de l’épiderme pouvant s’emboliser au niveau sanguin pour atteindre les reins, les poumons, le coeur et le cerveau, ce dernier point étant susceptible d’expliquer les troubles du comportement de l’orque.
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