22 mai 2019
Le bateau de l'équipe de recherche dans l'Atlantique nord
FFI
Le Cerema est partenaire du projet de recherche IBAM, sur les Impacts des Bruits Anthropogéniques sur les Mammifères marins. L'objectif est de caractériser les réactions des cétacés face à des stimulus stressants, notamment par rapport aux sons émis par les sonars navals.

Comprendre les réactions des cétacés aux stimulus stressants

Observation de la réponse de cétacés aux stimulis
Réponse d'un groupe de cétacés aux stimulus.

Les cétacés utilisent les sons pour communiquer, rechercher leur nourriture, se reproduire et explorer leur environnement. La communication acoustique est cruciale pour leur survie. Les bruits générés par l’homme en milieu marin (trafic maritime, sonars, etc) représentent une source de pollution sonore qui les perturbe sur les plans physiologique et comportemental, de façon plus ou moins importante selon les espèces et même selon les individus.

Afin d’identifier les problématiques d’ensemble, il faut étudier chaque espèce, avec un nombre suffisant d’individus et de conditions expérimentales, ce qui implique des travaux sur le long terme.

Le projet de recherche IBAM "Impacts des bruits anthropogéniques sur les mammifères marins", est un projet international qui vise à caractériser le comportement perturbé d’un cétacé face à un stimulus stressant (ex : stimulus naturel tel qu’un risque de prédation, bruits anthropogéniques). Parmi les questions de recherche du projet IBAM, celle concernant l’impact du sonar naval (utilisé par les militaires) sur le comportement des cétacés est financée par les ministères de la Défense de plusieurs pays (Etats-Unis, France, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni) et est pilotée par un consortium international de scientifiques  appelé consortium 3S (Sea Mammals, Sonar, Safety) [1].

Le sonar naval fait partie des sources de bruits anthropiques les plus préoccupantes car il est émis très fort et pendant de longues durées, et son utilisation a été corrélée à de nombreuses reprises à des évènements d’échouages. De plus, Ces sonars militaires utilisent une bande de fréquence qui recouvre partiellement ou totalement celle des vocalisations de nombreux cétacés ce qui peut entrainer un phénomène de masquage des vocalisations des cétacés et perturber leur système de communication.

Le but du projet réalisé par le consortium 3S est de quantifier les effets perturbateurs des sonars militaires sur le comportement de plusieurs espèces de cétacés, et de déterminer le niveau de sévérité de ces réactions. Pour cela, les réponses au sonar sont comparées  à la réaction des animaux lorsque ces derniers sont soumis à un stimulus naturel très stressant tel qu’un risque de prédation immédiat.

 

Observer le changement de comportements des cétacés sous l‘eau en réponse aux stimuli sonores potentiellement perturbateurs

Charlotte Curé lors d'une expérimentation dans l'ATlantique nord
Charlotte Curé du Cerema lors d'une expérimentation - P. MILLER

Pour répondre à cette question, des expériences de diffusion de leurres acoustiques sous l’eau, c’est-à-dire des émissions de sons potentiellement perturbateurs comme le sonar, ont été réalisées.

Pour quantifier le changement de comportement des cétacés en réponse à des stimuli tels qu’une exposition au sonar, les chercheurs ont utilisé des balises multi-capteurs [2] posées sur le dos des animaux de façon non invasive (fixées à l’aide de ventouses en silicone) chez plusieurs espèces de cétacés de l’Atlantique nord (ex : le grand cachalot, le globicéphale noir , la baleine à bosse). La balise enregistre la profondeur à laquelle évolue l’animal, sa vitesse de nage, ses mouvements, les sons qu’il émet, et sa position gps à chaque fois qu’il émerge en surface. La balise reste attachée une vingtaine d’heures sur le dos des animaux (programmable pour se détacher au bout d’un temps voulu) puis est récupérée.

Ce type de données a permis d’établir chez plusieurs espèces de cétacés suivies dans leur milieu un inventaire de leurs réactions comportementales en réponse à différents types de stimuli potentiellement perturbateurs (ex : bruits de navires, sonar, sons naturels). Une chercheuse du Cerema, Charlotte Curé, a participé à la réalisation de ces expérimentations et à l’analyse des données récoltées.

En comparant la réaction des cétacés aux bruits anthropiques à la réaction des cétacés soumis à une menace de prédation (que l’on simule par la diffusion de sons d’orque, l’orque étant un prédateur potentiel des autres cétacés),  on peut indexer le niveau de perturbation des changements de comportement exprimés en réponse aux différents bruits anthropogéniques et interpréter la signification biologique de ces réactions.  En ce qui concerne les sonars par exemple, les chercheurs ont démontré que la réaction des cétacés exposées à un type de sonar naval pouvait avoir le même effet sur le comportement que celui observé lorsque les cétacés détectent la présence d’un prédateur, l’orque. Chez les baleines à bosse par exemple, en réponse aux sons d’orques ou au sonar naval, les animaux arrêtent de se nourrir, quittent rapidement une zone fonctionnelle (ex : aire d’alimentation) et ce, pendant des durées suffisamment importantes pour impacter la survie des animaux.

Il est donc vraisemblable que des émissions de sonar militaire prolongées et/ou chroniques puissent avoir des répercussions sur la survie des populations.

 

Un travail de thèse sur les réactions aux sons émis par les orques et les effets du sonar

Baleine
Photo: Eirik Grønningsæter

Via un partenariat entre le Cerema, le CNRS, l’Université de Strasbourg et l’institut écossais SMRU (Sea Mammal REsearch Unit) de l’université de Saint Andrews en Ecosse, une étude confiée à un doctorant a porté sur la caractérisation des réponses comportementales aux sons d’orques ainsi que sur les effets des sonars sur le comportement vocal des cétacés.  

Il existe différentes populations d’orque appelées "écotypes" qui sont en général spécialisées dans la consommation d’un ou quelques types de proie (ex : orques spécialisées dans la consommation de poissons). De plus, ces populations ont des caractéristiques vocales qui leur sont propres. Comme l’orque peut représenter à la fois un prédateur ou un compétiteur pour les autres espèces de cétacés, et que les cétacés ont une sensibilité auditive leur permettant d’entendre les sons d’orques, l’hypothèse qu’ils puissent reconnaitre les différentes populations d’orques par la détection des sons émis a été posée.

Ainsi, par cette reconnaissance de l’écotype, les cétacés pourraient identifier le niveau de menace encourue par les orques rencontrées. Des orques reconnues comme se nourrissant de mammifères marins par exemple pourrait être perçue comme particulièrement menaçante.  Dans le cadre de cette thèse, des leurres acoustiques ont été diffusés à des animaux munis de balises, en conditions réelles dans l’Atlantique nord et les changements  de comportement des animaux ont été quantifiés.

balise posée sur un cétacé
Balise posée sur un cétacé

Les résultats indiquent que les cétacés ont les capacités cognitives pour discriminer acoustiquement les différentes populations d’orques. L’étude a permis de montrer notamment que les baleines à bosse sont capables de différencier les sons démis par les deux types d’orques existants dans l’Atlantique Nord, et qu’elles ajustent leur comportement en fonction de la perturbation perçue.

Ces conclusions sont très importantes pour les études d’impact de bruits anthropiques car cela signifie que l’on ne peut pas utiliser n’importe quel stimulus acoustique d’orques pour révéler/caractériser les réaction anti-prédatrice des cétacés (qui nous le rappelons sert à comparer/indexer le niveau de sévérité des réactions à des bruits anthropiques dont on soupçonne un effet perturbateur).

Suite à ce travail, les comparaisons avec les perturbations liées aux sons anthropogéniques ont été réalisées dans le cadre du projet IBAM.

 


[1] Le projet 3S fait partie des travaux d’un consortium international de recherche qui travaille depuis 2006 sur le comportement de plusieurs espèces de cétacés de l’Atlantique Nord, afin d’étudier l’impact des sons produits par l’homme, et notamment des sonars, sur ces animaux.

[2] Ces capteurs permettent de relever à la fois la pression de l’eau pour déterminer la profondeur des plongées, l’orientation des mouvements grâce à un accéléromètre tridimensionnel, la localisation en surface et le comportement à l’aide d’un signal VHF/GPS, et d’enregistrer les sons via des hydrophones. Les capteurs ont été posés à l’aide de ventouses en silicone, de manière à rester en place une quinzaine d’heures.