Interview de Philippe Estingoy
Conseiller auprès du président de l'Agence Qualité Construction
Le domaine du bâtiment est en forte évolution actuellement et beaucoup de questions restent pourtant posées, notamment sur la question du logement, l’adaptation au changement climatique, la transition écologique du domaine… Quels sont pour vous les enjeux majeurs du secteur ?
Depuis le début des années 2000, le domaine du bâtiment vit une révolution considérable dans l’évolution des techniques de construction et l’usage de nouveaux matériaux. Cette révolution a pour objectif de permettre au monde du bâtiment d’apporter sa pierre aux enjeux sociétaux majeurs, que sont les économies d’énergie d’une part, et l’amélioration du bilan carbone d’autre part. Au début des années 2000, nous avions la certitude que pour y arriver, il était indispensable d’adapter les règles de la construction, tant pour ce qui concerne les enjeux du réchauffement climatique, que les enjeux énergétiques.
Pour pouvoir donner de nouvelles références au monde du bâtiment et pour que cette révolution se passe de façon efficace et efficiente, il était indispensable de reprendre l’ensemble des références réglementaires et normatives et de formaliser de nouvelles pratiques professionnelles. Pour cela, il est indispensable d’exploiter les sciences de l’ingénieur. Aujourd’hui, l’enjeu fondamental est d’avoir les connaissances nécessaires pour que la révolution que vit le secteur ne génère pas de déboires majeurs dans les prochaines années. Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir, il faut se donner les moyens de savoir pour pouvoir faire, de façon durable. Il y a trop d’acteurs qui s’affranchissent des sciences de l’ingénieur pour donner des orientations, voire des obligations qui ne sont pas adaptées à la réalité des sciences physiques et qui mettent en difficultés les professionnels du secteur.
“Il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir, il faut se donner les moyens de savoir pour pouvoir durablement”
Pour ce qui concerne l’adaptation au changement climatique, et plus globalement la transition environnementale du secteur, il est dommage que certains décideurs ne donnent pas les moyens de faire les études adéquates avant de prendre les décisions. Certains sujets mis sur la table, à juste titre, comme l’utilisation des matériaux biosourcés, le réemploi des matériaux ou encore la construction hors-site, sont abordés sans prendre en compte certains volets essentiels pour leur déploiement à grande échelle.
Les professionnels de la construction doivent se préoccuper également de l'adaptation des bâtiments actuels aux effets du réchauffement climatique pour renforcer leur résistance face à de nombreux phénomènes, en particulier météorologiques, dont les impacts sont de plus en plus significatifs. Sur le phénomène de retrait-gonflement des argiles par exemple, sur lequel l’AQC et le Cerema travaillent et collaborent, il y a un besoin de connaissances et d’analyse pour bien qualifier les sols et distinguer un sol argileux d’un autre, qui n’aura pas les mêmes conséquences avec des enjeux qui ne sont pas les mêmes en fonction des typologies de constructions.
En résumé, dans le champ du bâtiment et de la construction, et notamment au niveau de la prise de décision, il faut se recentrer sur les connaissances scientifiques, la physique des matériaux et les sciences de l’ingénieur. C’est, à mon sens, un enjeu primordial du secteur pour les prochaines années.
Quel rôle peut et doit jouer le Cerema dans ce contexte ?
Il est indispensable que les services publics et entités rattachées à l’État se renforcent dans la connaissance technique et dans celle des pratiques professionnelles. A mon avis, le Cerema, dans un rôle qu’il partage avec le CSTB, doit être un messager de la connaissance scientifique et techniques opérationnelles, de façon à ce qu’il puisse être porteur de références qui serviront dans les décisions et l’application des décisions politiques, tant au niveau de l’État que des collectivités territoriales. Par conséquent, avec le CSTB, le Cerema doit être porteur de vérités scientifiques.
Nos deux établissements collaborent déjà sur de nombreux sujets, comment renforcer encore les synergies entre l’AQC et le Cerema ?
La relation entre les deux établissements est d’un très bon niveau, dans le domaine du bâtiment, avec notamment des pratiques complémentaires. Au Cerema, on retrouve une multitude de compétences : un très bon niveau de connaissances des sciences du bâtiment, un savoir-faire pour les faire progresser et en tirer des exploitations opérationnelles. Du côté de l’AQC, la force de l’établissement est d’avoir une très bonne connaissance des pratiques professionnelles, des relations entre les acteurs, des enjeux d'opérationnalité sur le terrain. A cela, il faut ajouter une volonté d’aider au partage de connaissances et de références, et à l’adhésion au changement. Il y a une vraie complémentarité entre le savoir du Cerema et la relation avec les acteurs de l’AQC.
Les relations de l’AQC avec les acteurs du secteur, sont essentiellement avec les professionnels de la construction et pas forcément ceux qui en bénéficient, comme les collectivités locales par exemple. C’est peut-être là, un axe d’amélioration d’une collaboration qui est déjà très bonne, en intensifiant les relations avec les collectivités.