Cet article a été publié dans la revue Responsabilité & Environnement d'octobre 2023 éditée par les Annales des Mines.
Vivre avec les risques liés à l'eau
Poser les constats des impacts du changement climatique sur la ressource en eau, c’est acter de la nécessité d’apprendre à mieux intégrer dans nos réflexions et actions les risques liés à l’eau : sécheresse (météorologique, hydrologique, du sol avec phénomènes de retrait-gonflement des argiles) et feux de forêt associés, risques naturels hydrauliques (inondations par ruissellement, débordement de cours d’eau, submersion marine) et risques terrestres associés (glissements de terrain, coulées de boue, éboulements rocheux).
À l’échelle mondiale, un double phénomène d’augmentation probable de la fréquence des épisodes de fortes précipitations à l’origine de davantage d’inondations d’origine pluviale dans la plupart des régions au cours du XXIe siècle et d’augmentation de la proportion de terres soumises à des épisodes de sécheresse extrême à un moment donné, est attendu [5]. En France, les pluies extrêmes sont d’ores et déjà deux fois plus fréquentes qu’il y a soixante ans et vont devenir jusqu’à 20 % plus intenses et les sécheresses se multiplieront [6].
L’augmentation de ces phénomènes extrêmes et de leur fréquence nous oblige à organiser une réflexion systémique sur les risques liés à l’eau auxquels sont soumis les territoires.
Pour cela, il est nécessaire d’établir un diagnostic de résilience appuyé sur une approche multi-dangers tenant compte des interdépendances afin d’éviter les effets de silos et l’inadaptation qui sont encore légion.
La connaissance est la base même d’une politique globale de prévention des risques, ce qui suppose de savoir appréhender les évolutions liées au changement climatique, d’en accepter les incertitudes, sans pour autant renoncer à agir. Le développement d’une culture du risque et de l’information préventive de toutes les parties prenantes (citoyens, entreprises, organisations publiques...) en est un corollaire, tout comme la préparation aux situations de crise et le retour d’expérience sur les événements.
Afin d’anticiper les évolutions à différentes échelles de temps, développer des stratégies d’adaptation des territoires et de gestion des crises et s’y préparer, des outils existent comme AgiRisk [7] (Amélioration de la Gestion Individualisée de la Résilience aux Inondations des Système territoriaux) qui a pour objectif d’aider les acteurs des territoires à réaliser leur diagnostic territorial de vulnérabilité aux inondations et à mettre en place, suivre et évaluer des actions pertinentes de réduction de cette vulnérabilité.
Des solutions techniques innovantes, complémentaires à la diffusion de la connaissance, sont aussi à imaginer pour la prévision, l’alerte et la protection des populations et enjeux vulnérables, ou pour l’évaluation de scénarios prospectifs des inondations en contextes climatiques instationnaires. Des modélisations numériques innovantes faisant appel à l’intelligence artificielle sont susceptibles d’améliorer la rapidité de modélisation des inondations (tel que l’outil Caledonia développé par Sixsense en partenariat avec le Cerema), et des dispositifs de barrières anti-inondations (Cuirassier, Sedipec...) de favoriser la mise en sécurité des biens menacés.
Connaissance, information, approche globale de résilience, solutions techniques, innovations sont au cœur des questions de risques liés à l’eau et au changement climatique. Mais notre capacité à habiter le territoire ne dépend pas de la seule gestion des risques. Nous devons également apprendre à nous projeter dans un partage de la ressource devenue plus rare.
Repenser nos usages et partager la ressource en eau
Près de 33 milliards de m3 d’eau douce sont prélevés chaque année en France pour les besoins des activités humaines. La part non restituée aux milieux aquatiques (la consommation d’eau) représente environ 4,1 milliards de m3, soit 12 % des prélèvements [8]. La répartition par catégories d’usages diffère selon qu’il s’agit des prélèvements ou de la consommation d’eau (cf. les deux graphiques ci-dessous).
L’économie et un partage adapté des ressources constituent une priorité de la politique de l’eau qui concerne tous les usagers et acteurs de l’eau. C’est le sens du plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, présenté le 30 mars 2023, dont les objectifs sont organisés en trois axes :
- organiser la sobriété des usages de l’eau pour tous les acteurs, et notamment réduire de 10 % l’eau prélevée d’ici 2030 ;
- optimiser la disponibilité de la ressource, et notamment sécuriser l’alimentation en eau potable et massifier la valorisation des eaux non conventionnelles ;
- préserver la qualité de l’eau et restaurer des écosystèmes sains et fonctionnels, en prévenant les pollutions et en restaurant le grand cycle de l’eau.
L’atteinte des objectifs de ces trois axes passe entre autres par les démarches de Projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Visant à impliquer l’ensemble des usagers de l’eau d’un territoire dans un projet global coconstruit en vue de faciliter la préservation et la gestion de la ressource en eau, ces démarches doivent mobiliser des panels de solutions variées conduisant à une gestion équilibrée des ressources (recherche prioritaire de solutions de sobriété, changements de pratiques, développement du recyclage de l’eau, développement du recours aux eaux non conventionnelles pour les usages compatibles…).
Pour économiser l’eau, au-delà de la réduction des fuites, la maîtrise des consommations est un enjeu pour tous les acteurs pour contribuer à la réduction des prélèvements dans la ressource.
En agriculture, les pratiques agroécologiques (limitation du travail du sol, diversification des cultures, mise en place de haies, paillage des sols…) permettant de mieux capter et conserver l’eau dans les sols, ainsi que l’usage de techniques d’irrigation moins consommatrices d’eau (goutte à goutte par exemple), sont des solutions à développer.
Dans l’industrie, les bonnes pratiques hydro-économes, la réutilisation des eaux usées traitées et l’utilisation de l’eau de pluie dans certains postes du process industriel, la mise en place de circuits fermés dans le cas d’usage de l’eau pour refroidissement, figurent parmi les solutions à investiguer au cas par cas. Le programme d’actions ECOD’O initié en 2019 dans le Morbihan, et déployé depuis au niveau régional, a permis la réalisation de diagnostics "eau" dans les entreprises et l’identification de solutions adaptées avec un potentiel d’économies d’eau substantielles [9].
Dans les bâtiments et pour l’utilisation domestique, l’installation de dispositifs hydro-économes, la chasse aux fuites, les gestes économes, la récupération et l’utilisation d’eau de pluie pour l’arrosage et pour les chasses d’eau par exemple, sont autant de solutions qui contribuent à la diminution des consommations d’eau.
Les espaces urbains enfin offrent un potentiel d’économies et un gisement en eaux non conventionnelles alternatives au prélèvement dans la ressource en eau. Pour impulser des changements, les collectivités ont un rôle clé à jouer, en s’appuyant notamment sur l’innovation technologique et le numérique (mise en place de capteurs sur les réseaux, de compteurs intelligents), sur la sensibilisation des usagers et la mise en place de bonnes pratiques, mais aussi sur une approche intégrée et décloisonnée de la gestion de l’eau.
En plus de l’accroissement des performances du système d’eau, les collectivités peuvent améliorer la résilience de leurs services publics d’eau et d’assainissement, en préservant et diversifiant, lorsque cela est possible, les ressources mobilisées et en mettant en place des interconnexions de réseaux.
Des solutions techniques doivent également être davantage développées. L’utilisation des eaux non conventionnelles (eau de pluie, eaux grises, eaux usées traitées…) est une des clés. En France, le potentiel est important [10],[11]. Si l’utilisation des eaux de pluie et pluviales est de plus en plus intégrée dans les projets d’aménagement, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) reste un sujet complexe d’un point de vue technique, réglementaire et organisationnel, avec de forts enjeux économiques et d’acceptabilité sociale. L’objectif est de passer de moins de 1 % de REUT aujourd’hui, à 10 % d’ici 2030.
En outre, dans le contexte de tension sur la ressource, pouvoir analyser de façon prospective l’évolution des besoins en eau pour chaque usage à différentes échelles territoriales pour une gestion durable de la ressource, devient une nécessité. L’outil STRATEAU en cours de développement aidera à la réalisation de différents scénarios d’évolution de la demande en eau pour les différents usages.
Intégrer eau et aménagement des territoires
Penser les risques liés à l’eau, penser la rareté de la ressource, nous amène inévitablement à un changement de paradigme en termes d’aménagement. L’eau doit être au cœur même des politiques d’aménagement des territoires notamment parce qu’elle est un intrant dimensionnant de leurs potentialités d’accueil par les contraintes et les limites qu’elle génère en termes de risques comme de disponibilité de la ressource.
Dans le contexte de changement climatique, il est primordial de renouer les liens entre eau et aménagement des territoires. Réduire l’imperméabilisation des sols et favoriser la reperméabilisation en végétalisant les surfaces rend possible l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol au plus près de l’endroit où elle tombe, ce qui freine les écoulements et diminue le risque d’inondation et la pollution des milieux aquatiques. Outre sa participation à la restauration du cycle naturel de l’eau, la végétalisation des sols, grâce à l’évapotranspiration, contribue au rafraîchissement urbain.
L’eau de pluie ainsi intégrée dans le paysage urbain devient une ressource favorisant le retour de la nature en ville. Ces solutions d’aménagement fondées sur la nature (SFN) apportent de multiples co-bénéfices tels que préservation et restauration de la biodiversité, aménités paysagères et cadre de vie, lutte contre les îlots de chaleur…
[1] IPCC (2023), “Synthesis report of the IPCC sixth assessment report (AR6)”, longer report, 20 mars, p. 6.
[3] https://www.ecologie.gouv.fr/trajectoire-rechauffementreference-ouverture-consultation-publique
[4] SALLES D. (2022), "Repenser l’eau à l’heure du changement climatique", Responsabilité & environnement - Annales des Mines, n°106, pp. 32-36.
[5] https://www.un.org/fr/climatechange/science/climate-issues/water
[6] https://meteofrance.com/changement-climatique/observer/changement-climatique-eau-et-secheresses
[7] Développé par le Cerema.
[9] https://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ecodo-guide-bonnes-pratiques-web.pdf
[10] Synthèse du groupe de travail national "Eaux non conventionnelles" co-piloté par les ministères de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires (MTECT) et de la Santé et de la Prévention (MSP) et animé par l’Astee, https://www.astee.org/publications/favoriser-le-recours-aux-eaux-non-conventionnelles/
[11] Réutilisation des eaux usées traitées. Le panorama français, Cerema, 2020, 46 pages (article de présentation).
[12] Financé par le Programme LIFE de l’Union européenne, le ministère de la Transition écologique (MTE), le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (MCT) et piloté par l’Office français de la biodiversité (OFB).
[13] CEPRI (2022), Guide SafN Artisan – Les solutions d’adaptation fondées sur la nature pour prévenir les risques d’inondation, CEPRI, 76 pages.