A la différence du webinaire organisé en mars 2022 sur le thème des perspectives démographiques des régions Bretagne et Pays de la Loire et ayant réuni une centaine de participants, cet atelier d’idéation s’est construit avec la volonté de s’appuyer sur un collectif restreint d’acteurs. Il a été organisé dans le cadre des réflexions autour du projet ferroviaire de liaisons nouvelles Ouest Bretagne - Pays de la Loire (LNOBPL) qui vise à améliorer la performance des liaisons existantes sur les axes Nantes - Rennes - Bretagne Sud et Rennes – Brest, à l’horizon 2035.
Intégrer les différents enjeux dans la conception du projet
Cet évènement s’est déroulé en mode hybride, avec la présence d’une vingtaine de participants au sein de l’école de design de Nantes ainsi qu’une dizaine de participants en distanciel. Ils provenaient d’un ensemble d’institutions publiques (Autorité de Régulation des Transports, DREAL Bretagne, Conseil Départemental de Loire-Atlantique, Cerema), d’acteurs économiques (CCI Bretagne, ATEC ITS France, ID4Mobility, Parallel 60), académiques (IMT Atlantique, Université du Mans), du monde ferroviaire (SNCF Voyageurs, SNCF Réseau) ou encore d’associations militantes (Shifters 44).
La journée s’est articulée autour de deux temps complémentaires, à savoir :
- Un temps inspirant lors de la matinée qui avait pour objectif de partager une connaissance commune autour de 4 grands thèmes :
- le changement climatique et ses impacts sur les infrastructures de transport,
- les changements sociétaux et leurs implications sur la demande de mobilité des personnes,
- les évolutions de l’écosystème des mobilités tant sur les modèles économiques que sur la gouvernance,
- les évolutions technologiques notamment dans le domaine des matériels roulants ;
- Un temps de réflexion et de travail collectif en sous-groupes de 5 à 6 participants lors de l’après-midi pour identifier les éventuels impensés du grand projet ferroviaire LNOBPL. Ce temps était conçu et animé par les étudiants de l’école de design de Nantes, accompagnés par des professionnels du "Coup d’après".
Lors du temps inspirant de la matinée, cinq interventions se sont succédé pour partager différents points de vue et interrogations sur la prospective à l’horizon 2050.
Dans un premier exposé, Marie Colin (Cerema) et Karim Selouane (Résallience) ont présenté les effets des aléas climatiques sur les infrastructures de transport, au travers de l’illustration de l’étude réalisée sur l’Axe Seine, axe ferroviaire situé sur la plaine alluviale entre Paris et Le Havre et exploité par SNCF Réseau. Outre la hausse du niveau de la mer qui a un impact évident sur les secteurs côtiers, le changement climatique devrait entraîner notamment une multiplication des phénomènes extrêmes qui pourraient être plus fréquents et plus intenses.
Or les infrastructures ferroviaires sont fortement sensibles au climat et à la météorologie, par exemple en raison de la dilatation des rails et des caténaires lors de fortes chaleurs. La vulnérabilité des infrastructures a ainsi été étudiée en fonction des différents types d’aléas, pour plusieurs scénarios climatiques et horizons temporels distincts. Un panel de solutions d’adaptation a ensuite été proposé en se basant sur les résultats de l’étude des vulnérabilités.
Par la suite, Bernard Lemoult (IMT Atlantique) est intervenu pour rappeler les certitudes dans lesquelles il est nécessaire de réfléchir, à savoir la hausse de la température moyenne globale et la baisse de la biodiversité en mentionnant la "sixième extinction de masse". Dans le contexte actuel de défiance généralisée ("si le projet ne se fait pas avec moi, il se fait contre moi") où le facteur humain est quasi impossible à modéliser, il a tour à tour évoqué quelques grandes questions qu’il est nécessaire de se poser dans le cadre d’un projet comme LNOBPL : faut-il nécessairement aller toujours plus vite ? La construction de nouvelles lignes peut-elle se faire sur des terres arables au nom de l’intérêt général ? Le train de demain permettra-t-il une meilleure coopération multimodale avec la possibilité d’embarquer plus de vélos par exemple ? La privatisation voulue par l’Europe est-elle signe de progrès pour la collectivité ? Comment associer administrations et associations locales ?
Le thème des modèles économiques a ensuite été abordé par Isabelle Dussutour (Parallel 60) qui a proposé une grille de lecture des services ferroviaires en les différenciant en fonction du type d’habitat desservi (urbain, périurbain, rural) et du type de réseau (structurant, alternatif, express). Si pour les milieux urbains aujourd’hui largement desservis par le train, les enjeux portent sur une meilleure articulation avec les autres modes et notamment les modes actifs ou encore sur les nouvelles restrictions d’usage (zones à faibles émissions), pour le périurbain et le rural, l’éparpillement de l’habitat rend beaucoup plus incertaine la rentabilité économique des services.
Il devient alors nécessaire de réinterroger le partage de la valeur entre acteurs publics et privés, ainsi que la place des investissements qui sont aujourd’hui en majeure partie assumée par la puissance publique. Le milieu rural semble être un terreau favorable pour l’innovation, autour de la revitalisation des petites lignes ferroviaires et de la modularité des trains.
Dans son intervention, Jean Coldefy (ATEC ITS France) a couvert les questions de décarbonation des mobilités et d’équité sociale. Malgré des montants importants d’investissements publics dans les transports collectifs sur les deux dernières décennies, la part modale de la voiture, en kilomètres parcourus, n’a baissé que de 3%. Cela s’explique car, d’une part, les investissements se sont majoritairement concentrés sur les villes denses où cela a eu pour principal effet d’améliorer le confort et la cadre de vie des centres urbains (mais sans avoir d’effet notable sur les émissions compte tenu du volume de population et des distances faibles) et d’autre part, la voiture est un outil démocratique parce qu’accessible à 85% des ménages mais carboné et occupant beaucoup d’espace public en ville.
Parmi les leviers d’action pour réussir à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) par le secteur des mobilités, les choix d’urbanisme, l’électrification des véhicules et la massification des transports (i.e. l’augmentation du taux de remplissage des véhicules) sont certainement les plus importants. Les choix politiques doivent être pris en tenant compte de la quantité de GES évitée et du coût par tonne de carbone évitée.
Dans un dernier temps, Robert Dumortier (SNCF Voyageurs) a présenté trois designs de ce que pourrait être la cabine de pilotage du train du futur. Ces trois designs se démarquaient selon le degré d’imprégnation de la technologie (allant d’une simple aide à la conduite à une version totalement immersive) et selon la position du conducteur au sein du train (tour à tour, à l’avant du train mais ouvert en partie aux voyageurs, en milieu de rame ou au-dessus du wagon). Au-delà des impacts technologiques, ces trois exemples imaginés dans le cadre d’un projet multi-partenarial, offrent une réflexion sur l’attractivité des métiers du ferroviaire et la modularité du matériel roulant, mais aussi sur la place de la technologie que l’on souhaite accorder, la place de l’humain dans le rapport à cette technologie et la question essentielle du "pourquoi" avant d’imaginer le "comment".
Les interventions du matin ont pu être "croquées" par Hélène Pouille, facilitatrice graphique, qui en a produit un visuel synthétique.
Réflexions sur les leviers d'attractivité ferroviaire
Le travail d’idéation organisé l’après-midi en sous-groupes a été animé par les étudiants de l’école de design de Nantes. Il s’articulait autour de trois tables thématiques (offre ; compétition et complémentarité ; changements à venir) où se succédaient les différents sous-groupes qui débattaient en fonction de quelques questions clés et qui cherchaient ensuite à hiérarchiser les éléments retenus. Cette activité a permis d’échanger sur les principaux leviers de l’attractivité du ferroviaire à l’horizon 2050, comme :
- Des offres de mobilité dynamisées, couvrant :
- La fiabilisation des trajets (cadencement, temps de trajet) ;
- La facilitation de l’intermodalité (mobilité par association de services i.e. MaaS, connexions en gare, y compris avec la voiture…) ;
- La modularité du matériel roulant en fonction des usages et/ou des saisons (capacité d’emport de vélos à bord des trains, modularité rail-route…) ;
- Les services personnalisés (en amont et pendant le déplacement) et une juste tarification associée, avec la possibilité de gammes tarifaires s’adaptant à chacun (allant du premium au low cost, pouvant tenir compte de l’évolution démographique sur les territoires desservis) ;
- Un écosystème stabilisé et attrayant, regroupant :
- Une gouvernance partagée au niveau territorial mais qui doit permettre également de couvrir les liaisons en dehors des frontières des Régions ;
- Une régulation du système libéralisé avec de nouveaux acteurs qui doivent permettre d’améliorer la qualité de service perçue par les usagers ;
- Une communication à construire autour de la comparaison entre train et véhicules électriques pour déconstruire certaines idées reçues ;
Parmi les difficultés de la prospective, figure l’impossibilité de prévoir des changements brutaux qui pourraient survenir et qui modifieraient radicalement la représentation culturelle sur des sujets majeurs.
Cet atelier s'inscrit dans le cadre d'un partenariat entre le Cerema et SNCF Réseau (direction territoriale Bretagne - Pays de la Loire), formalisé en mai 2021 et s'achevant en mars 2023. Ce partenariat comporte deux volets d’intervention :
- Le premier volet concerne l’accompagnement stratégique de SNCF Réseau dans la conduite des études sur le grand projet ferroviaire et en particulier la rédaction de la feuille de route exigée par la décision ministérielle du 21 février 2020.
- Le second volet porte sur la dimension prospective associée à ce type de grand projet sur le temps long, nécessitant notamment d’identifier les grandes tendances avec lesquelles le grand projet devra composer pour s’inscrire dans le paysage à l’horizon de sa mise en service envisagée (au-delà de 2040), et à très long terme.
La synthèse réalisée par Helène Pouille, facilitatrice graphique
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