Le Cerema là où on l'attend... accompagner, au travers des travaux de recherche appliquée, les entreprises et les collectivités dans leurs projets de valorisation de matériaux alternatifs, dans une démarche d'économie circulaire.
Le projet régional SEDIFLUV, financé par la région Île-de-France, Voies Navigables de France et Clamens et porté par le Cerema Île-de-France en est un exemple concret. C'est dans ce cadre qu'un programme de recherche sur la faisabilité technique des bétons à base de sédiments, a été développé et mené par l'équipe de recherche DIMA.
Cet article décrit les contours de ce travail partenarial qui ambitionne de faciliter la gestion et la valorisation des sédiments par les gestionnaires, les plateformes de recyclage et les bétonniers.
A quelles problématiques peut répondre la valorisation des sédiments dans le béton ?
Les villes en croissance ont toujours besoin de plus de matériaux de construction pour développer leur infrastructure. Par exemple, la région Ile-de-France enregistre un déficit en granulats d’environ 45 %... Pour répondre à ce besoin, la région reste dépendante des importations depuis les zones géographiques, induisant aussi bien des coûts de transport que des impacts environnementaux. Une charte régionale a été signée le 11 février 2002 pour soutenir la gestion rentable et rationnelle de ces matériaux. Elle vise en particulier à promouvoir l'utilisation de granulats recyclés et de matériaux locaux.
Les sédiments de dragage semblent être une bonne source locale de matériaux susceptibles de remplacer les granulats. Mais aussi le ciment. Les opérations de dragage réalisées en Ile-de-France génèrent un volume annuel de sédiments d’environ 150.000 m3. Pour traiter ce volume énorme de sédiments dragués, Voies Navigables de France (VNF) propose des méthodes de valorisation traditionnelles, comme le comblement de ballastières, le régalage agricole ou le dépôt dans des installations de stockage de déchets inertes (ISDI). Par ailleurs, la réglementation nationale vis-à-vis des sédiments est de plus en plus exigeante. Ce qui n'est pas sans impacter les filières de traitement et augmenter les prix de stockage dans les installations dédiées. La mise en place des filières de valorisation des sédiments est donc nécessaire pour créer une économie viable sur la gestion de ces matériaux.
Comme ces sédiments sont traités à proximité des voies navigables, où se situent certaines centrales à béton, leur utilisation dans la production du béton permettrait de réduire à la fois la quantité de déchets et l'empreinte écologique liée à leur transport.
Quel potentiel de valorisation des sédiments franciliens ?
Fournis par la Direction territoriale de Bassin de la Seine (DTBS), les données issues des campagnes de dragage des années 2015, 2016 et 2017 sont analysées pour évaluer le potentiel de valorisation des sédiments franciliens dans le béton. On y contrôle en particulier la teneur en contaminants et en matière organique, ainsi que la granulométrie. Compte tenu des fortes corrélations entre des différents paramètres de la base de données, seuls trois champs sont nécessaires pour définir les propriétés du gisement: les teneurs en matière organique, en hydrocarbures totaux (HCT) et en fines. Ces deux dernières résument respectivement la contamination par les polluants et la granulométrie.
Le potentiel de valorisation des sédiments dans le béton peut être affecté par la présence de ces trois éléments. La forte teneur en HCT (ou la contamination d’une manière générale) nécessite un traitement coûteux, ce qui peut annuler tout avantage économique possible dû à l’utilisation des sédiments. La matière organique est connue pour retarder la prise du béton et empêcher le développement de la résistance des matériaux cimentaires. Enfin, les fines et l'argile réduisent l'ouvrabilité de béton en raison de leur surface spécifique et leur demande en eau. La résistance, le retrait et la durabilité du béton peuvent donc en être affectés.
La compilation des données à l’aide de l’algorithme de K-moyennes a conduit à une classification des sédiments franciliens en trois groupes. Toutefois, les résultats montrent que 30 % du volume du gisement pourraient être considérés comme une source propre et stable de granulats. De plus, le tamisage du volume restant permet de récupérer une précieuse quantité de granulats.
Néanmoins, les sédiments fins inertes constituent aussi une fraction substantielle du gisement et il est nécessaire de trouver un moyen de la valorisation dans le béton. En raison de leur constitution minéralogique et chimique (siliceux, argileux, calcaire), ces éléments peuvent être incorporés en tant qu’addition au ciment.
Comment valoriser les sédiments dans le béton ?
Pour évaluer l’effet de l’incorporation des sédiments franciliens sur les propriétés des bétons, l’étude est menée sur deux types de substitutions :
- Une substitution des granulats conventionnels par la fraction granulaire des sédiments. En effet, la fraction granulaire des sédiments est divisée en graviers (4 – 20 mm) et en sable (80 μm – 4 mm), afin de remplacer respectivement les graviers et le sable conventionnels,
- Une substitution du ciment par la fraction fine des sédiments (< 80 μm). Cette méthode de valorisation permet de ne pas perturber l’empilement granulaire dans le béton, ce qui limite l’altération de ses propriétés comme sa résistance et son retrait.
L’objectif est de formuler un béton de classe C30/37 (résistance à la compression à 28 j de 30 + 8 MPa mesurée au laboratoire) avec une classe de consistance S4 (béton fluide et pompable).
Quel effet de l'incorporation des sédiments sur les propriétés des bétons ?
L’incorporation des sédiments, soit comme granulats, soit comme addition au ciment, offre une maniabilité similaire à celle de béton témoin. Ce résultat peut être expliqué par l’ajout d’eau pour saturer les granulats et donc garder le même volume effectif de la pâte du liant.
Le flux de chaleur dégagée, mesuré par la calorimétrie semi-adiabatique permettant de suivre l’évolution de la cinétique d’hydratation conformément à la norme européenne NF EN 196-9 (Métho-des d’essai des ciments), montre que l’incorporation des sédiments granulaires ou fines induit un léger retard d’hydratation (inférieur à 4 h). Ce dernier est dû à la présence de matières organiques, en particulier de substances humiques. Ces dernières sont capables de s’adsorber sur les particules de ciment et, par conséquent, de retarder leur processus d’hydratation.
Les performances mécaniques diminuent de 10 % et 8 % en moyenne, respectivement pour l’incorporation des sédiments granulaires et des sédiments fins. Cette diminution est attribuée à la présence des éléments légers (bois, coquillages et scories) pour les bétons à base des sédiments granulaires, et à la faible réactivité des sédiments fins par rapport au ciment remplacé pour les bétons à base des sédiments fins. L’avantage que cette étude présente est de pouvoir valoriser les sédiments de dragage comme matériaux de construction sans traitement (la calcination par exemple), ce qui apporte des bénéfices économiques et environnementaux supplémentaires.
Quelle utilisation bénéfique pour les sédiments franciliens ?
Les propriétés des bétons à base des sédiments présentées ci-dessus correspondent à des bétons structurants. Ainsi, les sédiments franciliens peuvent être valorisés sur place par la mise en œuvre de plates-formes multimodales. Ces plates-formes serviront par la suite au stockage, au tri et à la valorisation des déchets, tels que les sédiments de dragage, les matériaux de démolition ou d’autres types de déchets transportés par voie navigable.
Des usines de préfabrication pourront aussi être implantées en bord d’eau. Cela faciliterait la valorisation des sédiments, en économisant le transport, tout en favorisant la distribution de ces produits industrialisés par voie fluviale. Toutes ces utilisations s’inscrivent dans une démarche d’économie circulaire.
Toutefois, avant toute utilisation de ces bétons, il est nécessaire de vérifier les propriétés de durabilité et l’impact environnemental de ces sédiments.
Auteurs:
Hamza Beddaa, Doctorant au Cerema, équipe-projet Dima/Clamens
Amor Ben Fraj, Chargé de recherche au Cerema, équipe projet Dima
Francis Lavergne, Docteur Ingénieur au Cerema, équipe projet Dima
Jean Michel Torrenti, Professeur à l’université Gustave Eiffel, Directeur du département Mast à l’Ifsttar.
L'article en PDF
L'article en version PDF, paru dans la revue Béton(s) n°90 de septembre - octobre 2020.