Extrait de l'ouvrage "Mobilités du quotidien. Comprendre les années 2010 - 2020 pour mieux appréhender demain".
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Les offres en matière de mobilité partagée sont aujourd’hui nombreuses et diverses. Elles peuvent provenir d’une modification du régime réglementaire de services existants (développement des véhicules de tourisme avec chauffeurs, les VTC), de la transformation de services existants (autopartage et vélos en libre-service – VLS – dérivés de services de location), de l’hybridation de services (le covoiturage sous forme de ligne émane des plateformes de covoiturage et des offres TC). Elles ont aussi en commun de bouleverser la planification de la mobilité par les acteurs historiques (AOM…) : ce sont les usagers qui "exploitent" les services en en déterminant l’offre (quantité ou répartition) indépendamment des découpages administratifs et des zones de compétences des divers acteurs publics de terrain.
Cependant, ces offres ne sont pas toujours suffisamment connues. Leur domaine de pertinence, leurs impacts et leur adéquation avec les objectifs de politiques publiques restent à approfondir. Leur capacité à intégrer/compléter des réseaux de transport publics hiérarchisés est également enjeu, du fait d’un niveau de service (fréquence, assurance du déplacement sur une courte plage horaire, vitesse…) qui varie fortement suivant les territoires et les moments de la journée. Les années 2010, notamment dans leur deuxième moitié, ont vu de nombreux travaux commencer à défricher ces terrains d’analyse.
COMPLEXIFICATION DES JEUX D’ACTEURS AU NIVEAU DES OPÉRATEURS DE TRANSPORT
Jusqu’en 2000, la sphère des acteurs de la mobilité se concentrait notamment sur les opérateurs de transports collectifs routiers et les collectivités en charge. D’autres offres existaient, mais souvent soutenues par les milieux associatifs. Durant les années 2000, les collectivités locales créent ou aident au passage à l’échelle de services anciennement portés par des associations, souvent nommés "nouveaux services de mobilité". Les services de vélos en libre-service (VLS) avec station ont rapidement connu un succès important, les offres d’autopartage commencent à s’inscrire dans les offres directement portées par les collectivités (mais avec encore des volumes faibles) et des sites Internet pour le covoiturage sont mis en place, relativement peu utilisés pour les trajets du quotidien mais le succès de Blablacar sur les trajets longue distance commence à se manifester.
Au début des années 2010, l’autopartage prend un réel essor avec la mise en service d’Autolib’ à Paris. Tout comme les premiers services de VLS, la pratique des usagers est inconnue à la création du service (rendant difficile la mise au point d’un business plan viable à long terme) et l’établissement d’un contrat juste pour les deux parties est très difficile. De plus, comme les enjeux financiers sont plus importants que pour le VLS, les retombées médiatiques de l’échec d’Autolib (2018) sont très importantes.
Pour autant, cela a permis d’inscrire l’autopartage comme partie prenante du bouquet de mobilité d’une agglomération et plusieurs opérateurs se sont lancés pour prendre la suite du service Autolib’. En province, dans les grandes agglomérations, les services ont également vu leur offre et leur fréquentation augmenter, mais avec des usages davantage centrés sur le week-end, qui permettent un taux de démotorisation plus important.
Ces services sont également apparus dans des zones peu denses, en permettant notamment d’améliorer le droit à la mobilité de certains habitants mais aussi d’augmenter la mutualisation de flotte d’entreprises locales. Durant cette décennie, de nombreux opérateurs privés se créent (en particulier dans le cadre du covoiturage), symbolisés notamment par les start-up, augmentant fortement le nombre d’acteurs potentiels. En parallèle, de grands groupes de secteurs d’activités connexes – constructeurs automobiles, loueurs et assurances notamment, en lien avec une prise de conscience accrue de la valeur représentée par la mobilité – proposent également des services qui leur permettent de diversifier et de compléter leurs offres existantes.
Poursuivant un mouvement débuté à la fin de la décennie 2010, les années 2020 devraient voir une réduction globale du nombre d’opérateurs sur chaque type de service au fur et à mesure que les marchés se stabiliseront et que la position de certains opérateurs se consolidera.
LE NUMÉRIQUE SYMBOLE D’UNE PHASE D’ACCÉLÉRATION
La diffusion de plus en plus importante des smartphones et de l’accès permanent à Internet qu’ils proposent, impulse l’apparition de nombreux opérateurs privés. Toutes les offres sont impactées : les taxis qui ont vu apparaître des offres issues d’autres types de plateformes de mises en relation, le covoiturage avec l’apparition de l’appariement en temps "quasi réel", l’autopartage et les services de vélos avec le développement d’offres en free-floating. On observe un recul de la place des collectivités dans l’organisation de ces services et elles tentent de prendre davantage un rôle régulateur, concrétisé dans la Loi d'Orientation des Mobilités (LOM) notamment.
L’enjeu reste cependant important, en effet plusieurs difficultés d’accès à ces services subsistent : prix pour l’usager, équipement en smartphone et familiarité avec son usage, accès à des réseaux aux débits performants… Ces services restent donc, pour une grande partie d’entre eux, réservés à des "niches économiques", qu’elles soient culturelles, sociodémographiques (classes socioprofessionnelles, tranches d’âge…) ou territoriales.
L'irruption des VTC
Pour les taxis, les techniques du numérique ont tout d’abord permis le développement rapide d’une nouvelle concurrence, régie par des réglementations différentes : les VTC. La géolocalisation du passager, via l’application smartphone, a fortement modifié la réactivité de l’opérateur, ce qui a fortement fait évoluer les attentes des clients. L’apparition quasi simultanée d’opérateurs comme Uber, qui à ses débuts faisait appel à tout conducteur volontaire, a achevé de déstabiliser le secteur traditionnel qui s’est trouvé confronté à une concurrence extrêmement forte et qui remettait en cause le cadre réglementaire préexistant.
La puissance publique a est intervenue en définissant un nouveau cadre légal et réglementaire pour les VTC et les taxis ainsi qu’en réglementant davantage les possibilités d’accès au statut de chauffeur (notamment dans le cadre de services comme Uber). Il reste encore aujourd’hui, du point de vue de la planification des déplacements, à bien comprendre comment intégrer ces types de services dans une politique de mobilité, certains effets rebonds ayant été observés concernant leur usage (report modal depuis les TC et la marche plutôt que depuis la voiture62…).
Le covoiturage du quotidien toujours à la recherche d'un modèle de développement
Le covoiturage a également beaucoup profité des possibilités de partage de l’information en temps réel apportées par la diffusion du numérique et des smartphones. Plusieurs opérateurs ont ainsi monté rapidement des applications de mises en relation. Il s’agit alors pour chaque opérateur de se démarquer des autres, à la fois en faisant évoluer l’application numérique au gré des retours clients, ainsi qu'au travers de la spécialisation sur certains types d’usages/ territoires.
Contrairement à la longue distance, le covoiturage du quotidien n’a pas pu trouver un équilibre économique propre au cours des années 2010-2020 et les opérateurs se sont donc rapprochés soit des collectivités (le BtoG), soit d’entreprises (BtoB) afin de créer des services dans les territoires tout en pouvant continuer à s’étendre en espérant arriver à une masse critique de clientèle. Il apparaît, dans la continuité des résultats obtenus dans les années 2000, que c’est le covoiturage dans le cadre de l’entreprise qui procure les meilleurs résultats en termes d’usage.
Durant cette décennie, même s’ils transportent à eux tous quelques milliers de passagers par jour, ces services restent cependant relativement expérimentaux et fragiles, renforçant le besoin d’évaluation de la part de la puissance publique afin de déterminer quels sont les types de services qui répondent le mieux aux objectifs de politiques publiques et pourraient donc être davantage financés si besoin.
Le free-floating prend place dans le paysage
Si les services free-floating d’autopartage sont apparus, ils restent relativement mineurs car ils ne parviennent pas à l’équilibre économique. Pour autant, ils sont très importants car ils donnent une bonne visibilité à l’autopartage et amènent de nouveaux
publics vers ces offres.
Au contraire, les offres de vélos en free-floating n’ont ni connu de succès, ni trouvé un intérêt auprès d’opérateurs existants, alors même qu’ils semblaient comporter des atouts indéniables : possibilité de faire du porte-à-porte, faibles coûts d’investissement (pas de bornes de stationnement)... Mais les premiers opérateurs n’ont pas assez communiqué avec les collectivités et leurs offres ont été perçues comme anarchiques avec des vélos souvent "abandonnés" sur les trottoirs ou encore vandalisés. Ces offres ont ainsi quasiment disparu, mais ont sans doute permis quelques améliorations notables pour les VLS avec station, où des souplesses issues de ces offres ont été intégrées (réservation à distance, possibilité de stationnement aux abords d’une station si elle est pleine…).
Mais les services de free-floating ont en réalité complètement explosé lors de l’apparition des services de trottinettes électriques, et dans une moindre mesure de scooters (apparus les premiers en 2015).
Répondant à la fois à un enjeu de déplacement mais aussi de plaisir, accompagnées d’offres tarifaires agressives, elles ont vite trouvé un public plus large que celui des vélos en free-floating. Afin d’assurer la possibilité de trouver une trottinette, chaque opérateur devait installer quelques centaines, voire milliers, de véhicules. Les défauts aperçus avec les offres de vélos en free-floating ont été décuplés, d’autant plus que les opérateurs ont été plus nombreux à se lancer, souvent avec peu de concertation avec les collectivités locales. Celles-ci, poussées par leurs populations, ont commencé à prendre des mesures de régulation, dont certaines ont été reprises dans la LOM.
Un arsenal réglementaire et législatif qui s'est étoffé concernant les mobilités partagées
Entre la loi MAPTAM (2014) et la LOM (2019), les mobilités partagées ont été de mieux en mieux encadrées par des textes réglementaires et législatifs. Ceux-ci se sont progressivement adaptés aux réalités du terrain, en donnant clairement aux Autorités Organisatrices de Mobilté (AOM) un droit à organiser certains types de services (notamment les services de VLS) mais aussi en leur donnant des possibilités de réguler les offres de mobilité partagée qui se créaient sur leur territoire. La LOM marque une vraie avancée, que ce soit pour une régulation "positive" avec par exemple la possibilité pour les AOM de concourir aux frais engagés par les covoitureurs ou "restrictive" avec les modalités d’encadrement du développement des offres free-floating.
Enfin, certaines pratiques existantes dans les territoires moins denses, comme le transport solidaire, se sont vues davantage encadrées afin de leur donner une assise juridique plus forte. Le transport d’utilité sociale, à vocation d’accompagnement des personnes les plus vulnérables par des bénévoles, a ainsi été créé et représente une solution supplémentaire pour résoudre des problématiques de droit à la mobilité via des services de mobilité partagée.