Une prise de risque sans garantie
Lorsqu’une collectivité territoriale veut faire réaliser un bien ou service innovant, voici les étapes qu’elle doit respecter :
- Dans un premier temps, après avoir constaté qu’aucun produit en vente sur le marché ne résout son problème, elle passe un premier marché de recherche et développement (avec ou sans mise en concurrence).
- Elle sélectionne plusieurs entreprises qui vont réaliser les études de faisabilité, et les rémunère pour leurs travaux, et non pour leurs résultats.
- En fonction des résultats, elle commande un prototype aux entreprises sélectionnées.
- Puis, en retenant au moins deux des entreprises lui ayant présenté des prototypes, elle commande une série test.
- Enfin, à l’issue de cette phase, elle doit impérativement lancer un appel d’offre d’Achat Public Avant Commercialisation (APAC), avec mise en concurrence obligatoire pour l’acquisition du bien ou service innovant - pourtant issu de la phase de R&D.
Vous avez dit frileuses ?
C’est là que le bât blesse : l’entreprise qui a réalisé avec succès la phase de recherche et développement ne peut, aujourd’hui, vendre directement le fruit de ses recherches à la collectivité qui l’a mandatée. Elle doit se soumettre à ce stade à un appel d’offre et risque donc de ne pas remporter un marché pour un produit qu’elle a pourtant spécifiquement développé pour ce client. En effet, si la pondération donnée au prix dans les critères d’analyse des offres est trop élevée, alors la collectivité peut être, malgré elle, obligée de sélectionner une autre offre, pourtant techniquement moins bonne.
Plus grave encore, l’entreprise risque de voir le fruit de ses innovations dévoilées, par maladresse, dans le cahier des charges rédigé par la collectivité, avant même d’avoir vendu son produit.
En effet, la collectivité doit dans son appel d’offre pour l’achat du bien ou service innovant, être attentive à ne pas révéler les solutions techniques trouvées par l’entreprise à l’issue de la phase de R&D. Ce faisant, elle ne peut donc faire qu’une définition de ses besoins assez générale et ne peut valoriser aisément, dans ses critères d’analyse des offres, les éléments liés à la qualité ou au caractère innovant du produit développé par l’entreprise ayant réalisé la R&D.
Le nouveau Partenariat d’Innovation : une promesse d’achat pour des promesses technologiques
Devant la nécessité de simplifier la commande publique, le législateur propose aujourd’hui le « Partenariat d’Innovation ». Inspiré des directives européennes, ce nouveau type de marché public est sorti en septembre 2014. L’intérêt majeur du nouveau partenariat d’innovation réside dans le fait que la collectivité ne lancera plus qu’un seul marché, qui portera à la fois sur la R&D et sur l’achat des biens ou services innovants, issus de cette R&D, sans nouvelle mise en concurrence.
Lorsque la collectivité aura bien étudié les différentes solutions existantes sur le marché et qu’elle saura avec certitude qu’aucune de celles mises sur le marché ne correspond exactement à son besoin, alors le partenariat d’innovation pourrait être un dispositif intéressant. La collectivité passera alors un contrat individuel avec différentes entreprises pour une phase de recherche.
A l’issue d’un premier rendu de chacune des entreprises, la collectivité choisira librement celle(s) dont les résultats lui paraissent les plus prometteurs, qui développera alors le bien ou le service. Elle mettra fin au contrat avec les autres et les paiera.
A l’issue de ce second rendu, la collectivité sélectionnera l’entreprise qui mettra au point le produit final. Elle clôturera le contrat individuel qui la liait aux autres. Enfin, lorsque le produit sera au point - en fonction d’objectifs définis à chaque phase et de critères de sélection qui figurent au contrat - la collectivité pourra procéder (ou non) directement à son acquisition, sans faire de nouvel appel d’offre. Le partenariat d’innovation s’éteindra alors automatiquement avec une répartition des droits de propriété intellectuelle telle que prévue au contrat.
- Les entreprises prennent moins de risques qu’avec les achats publics avant commercialisation (APAC) et les marchés de R&D.
- Celles qui ne sont pas retenues le savent rapidement et celle dont la solution sera achetée par la collectivité territoriale ne sera pas mise en concurrence en phase finale.
- La collectivité peut, de son coté, décider d’acheter ou pas le bien ou le service. Elle peut refuser de le faire, si entre temps une solution nouvelle arrivait sur le marché.
Un petit pas vers la co-construction de la ville
Le décret instaurant le partenariat d’innovation devrait aider les collectivités territoriales à passer plus facilement des marchés pour les biens et services innovants. Les marchés publics pourraient ainsi être un bon aiguillon pour stimuler l’innovation urbaine, améliorer la situation concurrentielle des entreprises retenues, et augmenter l’efficacité et la qualité des services publics.
Inspiré des pratiques anglo-saxonnes, ce dispositif semble présenter des avantages à la fois de souplesse et de sécurisation pour les deux parties. Il parait bien adapté aux modèles d’affaires et aux modes de co-construction entreprises – collectivités territoriales que l’on rencontre dans les projets de la ville numérique. Pour autant, six mois après son lancement il est encore trop tôt pour savoir s’il sera effectivement utilisé par les smart cities.
(Première publication dans la Revue des Ingénieurs des Mines, mars/avril 2015, n°478).
Contact :
Marie Laure PAPAIX : marie-laure.papaix@cerema.fr
Références juridiques :
Le décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant sur les mesures de simplification applicables aux marchés publics introduit le partenariat d’innovation dans le code des marchés publics et dans les décrets d’application de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.