Cet article du Cerema a été publié initialement par notre partenaire Techni Cités.
Responsable de presque un quart des émissions de gaz à effet de serre, le secteur de la construction constitue un levier essentiel pour atteindre les objectifs de neutralité carbone d’ici à 2050.
Les matériaux biosourcés, un levier pour atteindre la neutralité carbone
L’empreinte environnementale du bâtiment durant l’ensemble de son cycle de vie fait désormais l’objet d’une nouvelle réglementation avec l’entrée en vigueur de la RE2020. Cette dernière introduit deux nouveaux indicateurs relatifs à l’impact sur le changement climatique associé à l’énergie, Icénergie, mais aussi à l’ensemble des composants du bâtiment, Icconstruction. Ces exigences sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) converties en équivalent CO2 invitent l’ensemble des acteurs de la construction à repenser l’acte de bâtir et à recourir à des matériaux à faible impact environnemental.
Les matériaux biosourcés, fabriqués à partir de biomasse issue de la sylviculture, des filières agricoles et des filières de recyclage, présentent non seulement des propriétés techniques pertinentes mais ils génèrent aussi des externalités positives pour l’environnement permettant de contribuer à l’atteinte de nombreux objectifs tels que la neutralité carbone. Les matériaux biosourcés sont issus de la matière organique renouvelable (biomasse) d’origine végétale ou animale : bois, chanvre, paille, ouate de cellulose, textiles recyclés, etc. Recourir à des isolants biosourcés dans la construction ou la rénovation permet notamment :
- de réduire la consommation de matériaux fabriqués à partir de matières non renouvelables minérales (roche, sable, graviers) ou fossiles, menacées d’épuisement et dont les procédés d’extraction peuvent être source de nuisances et pollution (dragage, forage) ;
- de valoriser des ressources locales pour l’instant sous-exploitées avec un gisement de coproduits agricoles évalué à 15 Mt/an ;
- de diminuer la consommation d’énergie et les émissions de GES liées au transport de la matière et à sa transformation en matériau. En fonction des procédés de fabrication, cette empreinte environnementale sera plus ou moins grande entre les produits manufacturés de type laines et des produits plus bruts comme la botte de paille.
Stockage du carbone
À cela, s’ajoute une caractéristique spécifique aux matériaux biosourcés issus de la biomasse végétale, particulièrement intéressante pour diminuer la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère : le stockage carbone. Ce dernier est rendu possible grâce à la réaction de photosynthèse. Les atomes de carbone, issus du CO2 atmosphérique, sont captés lors de la photosynthèse par les végétaux et transformés en molécules de glucose, puis en d’autres composés comme la cellulose. Le carbone fait donc partie intégrante de la matière organique de la plante et participe à sa croissance. Il est dit "biogénique" car constitutif du végétal.
Du fait du prélèvement initial de CO2 dans l’atmosphère, ce carbone biogénique contribue à réduire, à long terme, la quantité de ce GES dans l’atmosphère. Intégré dans un bâtiment, un isolant biosourcé équivaut à stocker sur une période de cinquante ans – en fait, toute la durée d’utilisation de l’isolant – du CO2 qui aurait été réémis dans l’atmosphère à plus court terme lors de la décomposition de la plante.
La quantité moyenne de carbone pouvant être stockée varie d’un matériau à l’autre. Elle dépend de la teneur en carbone de la plante à l’état sec, aussi appelée "part de carbone fractionnée". Cette teneur est de 45 % pour la paille de blé, entre 47 % et 48 % pour le chanvre, le lin et le miscanthus, et entre 48 % et 50 % pour les fibres de bois. Plus cette teneur est importante, plus le végétal est en mesure de stocker du carbone. Il est également important de tenir compte de la gestion et de la vitesse de renouvellement de la ressource. Rapide pour les ressources issues de l’agriculture (quelques mois pour les cultures annuelles), elle est plus longue pour les essences de bois qui nécessitent plusieurs dizaines d’années pour repousser. Pour l’écorce de liège, il s’agit d’une vitesse intermédiaire puisqu’il faut environ neuf ans de croissance après récolte.
Les isolants fabriqués à partir de ressources agricoles (culture ou coproduits), comme le chanvre ou la paille, sont particulièrement intéressants du fait de leur croissance rapide et de leur capacité de stockage de carbone élevée. Les isolants issus des filières de recyclage (ouate et textile recyclés) présentent quant à eux l’avantage de transformer des déchets en matériaux performants et d’éviter ainsi l’enfouissement ou l’incinération (émetteur de GES, pollution de l’air) des papiers et textiles jetés chaque année (environ 3 millions de jeans sont ainsi revalorisés par l’entreprise Métisse).
Performances techniques
Grâce à leur forte porosité et à leurs propriétés perspirantes, les matériaux biosourcés présentent des performances reconnues.
Thermique :
Les isolants biosourcés sont tout aussi performants que les isolants minéraux et synthétiques plus conventionnels (laine de verre, laine de roche, polystyrène, etc.). En effet, la conductivité thermique des laines végétales (chanvre, lin, coton, etc.), de la laine de mouton, de la ouate de cellulose, des panneaux de liège ou fibre de bois, entre autres, n’excède pas 0,04 W/m.K.
De plus, ces matériaux présentent la capacité de déphaser et d’amortir les variations de température extérieure. Leur capacité de déphasage constitue un atout de taille dans un contexte où les périodes de canicule sont de plus en plus fréquentes et intenses.
Gestion de l'humidité :
Les matériaux biosourcés sont particulièrement bien placés pour gérer l’hygrométrie, c’est-à-dire les variations du taux d’humidité, car la plupart d’entre eux ont l’avantage d’être hygroscopiques. Ils contribuent ainsi à améliorer le confort des usagers grâce à leur capacité à adsorber l’humidité, à la stocker et à la restituer en fonction des conditions climatiques extérieure et intérieure. En outre, les flux d’humidité au sein des matériaux biosourcés peuvent influencer significativement les transferts de chaleur du fait de l’apparition de phénomènes internes de changement d’état de l’eau (vaporisation et condensation).
Ces phénomènes ont notamment été mis en évidence dans le cas du béton de chanvre, les transferts couplés de chaleur et d’humidité dans le matériau permettant de réduire de 20 kWh/m2/an le besoin en chauffage d’un bâtiment bien isolé. Pour finir, à l’exception du liège, en vrac ou en panneaux, qui est un matériau imputrescible et indéformable très adapté à l’isolation des soubassements et du sol, les isolants biosourcés sont également perspirants. Leur résistance à la diffusion de vapeur d’eau (μ) est généralement comprise entre 1 et 20.
Acoustique :
Sur le plan acoustique, les matériaux biosourcés peuvent contribuer au confort intérieur par une absorption significative du son, tout en remplissant, en association avec des enduits, une fonction d’isolant atteignant des performances respectant largement les exigences réglementaires d’isolement de façade aux bruits extérieurs. De surcroît, les matériaux biosourcés peuvent grandement contribuer à l’amélioration du confort acoustique en se déclinant sous de multiples formes, sur la base de différents constituants et d’un grand panel de formulations permettant de proposer des matériaux adaptés à différentes typologies de bruit.
Assurabilité
Les matériaux biosourcés, comme tous les matériaux de construction, sont des produits devant répondre aux exigences du code de la construction et de l’habitation. Les évaluations et les documents techniques sont un moyen de garantir un niveau de qualité aux ouvrages et de sécuriser toute la chaîne d’acteurs impliqués dans l’acte de construire.
En effet, ces documents attestent des qualités techniques des matériaux (réaction au feu, durabilité, etc.) et garantissent ainsi l’assurabilité des bâtiments dans lesquels ils sont mis en oeuvre. Ce sont des éléments clés de justification auprès des assureurs et des contrôleurs techniques concernant l’aptitude à l’emploi de ces produits.
Une grande partie des isolants biosourcés fait déjà l’objet d’une évaluation technique : DTU (document technique unifié) pour la ouate de cellulose, DTA (document technique d'application) pour le liège, règles professionnelles pour la paille et le béton de chanvre, avis technique (Atec) pour le textile recyclé, etc., validées par la Commission prévention produit (C2P) de l’Agence qualité construction (AQC), les classant ainsi dans la catégorie des techniques courantes. Si un matériau ne dispose pas d’évaluation ou de documents techniques validés par la C2P, il est notamment possible :
- d’échanger très en amont avec le contrôleur technique et l’assureur afin d’obtenir un avis favorable. Certains contrôleurs ont une expérience dans l’accompagnement de techniques biosourcées innovantes ;
- d’initier une procédure d’évaluation technique de type Atex (appréciation technique d’expérimentation) : elle permet de valider des solutions techniques n’étant pas encore considérées comme techniques courantes, grâce à des premiers retours d’expérience sur la mise en oeuvre de produits ou procédés, avant d’obtenir un Atec. L’Atex, une fois validée, est un outil permettant de couvrir les risques tout en permettant d’innover et d’initier le travail d’obtention d’un Atec. En fonction du besoin, il existe trois types d’Atex :
- Atex de type A : vise un produit ou procédé pour une durée limitée déterminée ;
- Atex de type B : porte uniquement sur un projet de réalisation ;
- Atex de type C : porte sur l’application à une nouvelle réalisation expérimentale d’une ou plusieurs techniques, ayant précédemment fait l’objet d’une Atex de type B à caractère favorable.
L’Atex est un outil parfaitement adapté pour les maîtres d’ouvrage souhaitant expérimenter et soutenir le développement de filières vertes et ainsi valoriser des ressources locales. Le choix d’un isolant doit faire l’objet d’une analyse multicritère qui ne se réduit pas à la seule performance technique (conductivité thermique, perméabilité à la vapeur d’eau, etc.) ou au seul bilan carbone. Il est important d’évaluer d’autres critères et indicateurs dans le processus de décision (proximité de la ressource, consommation d’eau, impacts sur la biodiversité, gestion de la ressource, bénéfices induits, etc.).
La diversité des isolants biosourcés encourage à mixer les solutions et à en utiliser des différents en fonction des ambitions du projet, des postes du bâtiment à traiter, des filières ou des ressources locales, et des certifications disponibles. Le champ des possibles est ouvert !
Par Anissa Ben Yahmed, responsable d’études Performances des bâtiments et matériaux, et Étienne Gourlay, responsable d’études scientifiques Performances des matériaux biosourcés, Cerema