Une évaluation d’une mesure de sécurité routière permet de clarifier la situation initiale et la situation après mise en place de la mesure qui peuvent être en décalage avec le ressenti individuel. Cela passe par la collecte de données spécifiques ou l’exploitation de données existantes. L’analyse de l’évolution entre les situations permet d’éclairer l’ampleur des changements que la mesure a provoqués. Enfin en utilisant des éléments de référence il est possible d’identifier ce qui relève de la mesure et ce qui relève de l’évolution du contexte général. En utilisant une échelle commune (monétaire), il devient ainsi possible de rassembler les évolutions constatées et de réaliser un bilan socio-économique de la mesure.
En 2013, le comité des experts auprès du conseil national de sécurité routière a produit un rapport "Proposition d’une stratégie pour diviser par deux le nombre de personnes tuées ou blessées gravement d’ici 2020" . Il s’agit d’une contribution pour répondre à l’engament de la France pour la décennie 2010-2020. Parmi les mesures proposées, la réduction de la vitesse maximale autorisée (VMA) de 90 km/h à 80 km/h sur les routes interurbaines bidirectionnelles est celle qui apporterait la plus importante baisse de la mortalité routière. L’objectif principal de la mesure proposée était clairement la baisse de l’accidentalité. Cependant, une telle mesure n’a pas des effets uniquement sur l’accidentalité. L’approche socio-économique vise à y confronter cet apport en terme d’accidentalité aux autres effets.
Une analyse multithématique de la limitation à 80 km/h
En juillet 2018, la France a modifié la vitesse limite pour les routes bidirectionnelles par l’adoption du 80 km/h. Parallèlement, une évaluation de la mesure a été conduite par le Cerema. La pandémie du Covid19 a perturbé fortement les déplacements en France du premier semestre 2020, tant en volume qu’en structure. Elle a compromis le recueil de certaines données sur le début d’année. Ce contexte a conduit à mener l’évaluation sur les 18 mois après la mise en œuvre de la mesure, soit de juillet 2018 à décembre 2019.
Pour mener cette évaluation, dès avril 2018, une lettre de mission précisant les questions évaluatives et les indicateurs a permis de préciser une méthode. En effet, ce n’est pas, a posteriori, en fonction des résultats que les indicateurs doivent être définis, mais bien en amont de l’évaluation. La méthode retenue a été déployée autour de quatre thématiques :
- les vitesses pratiquées,
- l’accidentalité,
- l’acceptabilité
- les effets sociétaux.
Un calcul socio-économique a également été réalisé. Basée sur une approche scientifique, cette méthode a été soumise à la relecture d’experts nationaux et Internationaux. Le rapport a été traduit et est désormais une référence dans la communauté internationale en sécurité routière.
Pour construire cette évaluation, une première étape a consisté en une revue de la littérature scientifique, avec l’analyse des cas de changement des vitesses maximales autorisées dans plusieurs pays, en rassemblant les éléments sur les méthodes utilisées, les données et les résultats.
Afin de mener cette évaluation, des données ont été relevées avec l’observatoire des vitesses pratiquées. Les temps de parcours types ont été analysés. Les données de l’accidentalité pour le réseau de l’expérimentation et le réseau non affecté par l’évolution de la vitesse maximale autorisée ont été exploitées. 4 vagues d’enquêtes auprès des usagers ont été également réalisées. L’ensemble a ensuite été utilisé pour le calcul économique.
Du côté des vitesses, en conformité avec la littérature scientifique une baisse de 3,4 km/h a été constatée sur les vitesses moyennes pratiquées par l’ensemble des usagers. Cette baisse s’inscrit dans la durée de l’évaluation.
Du côté de l’accidentalité, une baisse très significative de 12% du nombre de tués a été observée sur l’ensemble du réseau interurbain hors autoroute par rapport à l’évolution du nombre de tués sur les réseaux non concernés par le passage à 80 km/h. Soit sur 18 mois 331 vies sauvées sur le réseau "80" par rapport à la période de référence (2013-2017).
L’allongement moyen des temps de parcours par kilomètre est de l’ordre de 1 seconde par kilomètre en comparant les données de véhicules flottants sur 3 mois en 2017 et 2019. Par contre, il n’a pas été repéré d’évolution dans l’écoulement du trafic, d’absence de création supplémentaire de pelotons de véhicules et de réduction du temps entre les véhicules qui se suivent.
Du côté des impacts environnementaux de la mesure, les analyses ont montré que la mesure entrainait une légère diminution des principaux polluants atmosphériques et des nuisances sonores, bien que cette dernière ne soit pas perceptible par l’oreille humaine. Les résultats obtenus, bien que modestes, sont conformes à la littérature antérieure sur le sujet.
Du côté de l’acceptabilité, les enquêtes ont montré qu’elle n’a cessé de progresser au cours de la période d’évaluation. Ainsi, lors de la dernière vague d’enquête 52% des répondants qui avaient eu connaissance des résultats intermédiaires de l’évaluation étaient favorable à la mesure. Dans le même temps, la proportion des personnes qui étaient "tout à fait opposées" à la mesure est passée de 40% avant l’introduction de la mesure en avril 2018 à 20% en juin 2020.
Le bilan socio-économique est positif, il permet de rassembler les différents effets de la mesure, d’utiliser une échelle commune et de pouvoir ainsi les comparer. Ainsi, la comparaison de l’année 2017 à 2019 donne en terme de calcul économique un gain estimé à 700 millions d’euros sur une année. Même si cette traduction monétaire reste virtuelle, elle permet de dégager une tendance et de pouvoir comparer avec d’autres mesures qui pourraient être déployées.
Le bilan socio-économique met en évidence une efficience certaine de la mesure qui présente un faible cout d’investissement ainsi que des résultats positifs en termes d’atteinte des bénéfices sociétaux par rapport aux couts sociaux. Les bénéfices sociétaux résident principalement dans les gains d’accidentalité (1,2 milliards €). Ils sont en cohérence avec l’effet attendu de la mesure. Le principal cout social de la mesure est lié aux pertes de temps de parcours (entre 720 et 920 millions €). Il est largement compensé par la réduction de l’accidentalité, auquel s’ajoute les bénéfices liés à la moindre consommation de carburants et à la baisse des émissions de CO2.
Perspectives
Suite à la LOM (loi d’orientation sur les mobilités) une partie des conseils départementaux a choisi de remonter la vitesse limite à 90 km/h sur tout ou partie de leur réseau routier. Actuellement seule l’accidentalité a été suivie . Elle apporte une première réponse aux évolutions 2020 2021. Elle montre que le groupe des départements qui sont restés à 80 km/h connait une baisse de 12% de leur mortalité. Sur la même période le groupe des départements qui ont remonté la vitesse limite pour tout ou partie de leur réseau routier ont connu une stagnation de leur accidentalité.
Cette première approche bien qu’utile reste limitée car elle ne donne pas d’information sur les autres thématiques affectées par l’évolution des vitesses limites. Il serait souhaitable de réaliser dans le futur une évaluation socio-économique globale à l’instar de la première évaluation du 80 km/h afin d’avoir une vision claire sur les conséquences des décisions qui ont été prises tant nationalement que localement.