Quelle formation avez-vous suivie ?
Après une classe préparatoire en mathématiques et en physique, j’ai intégré l’ENTPE à Lyon en tant que fonctionnaire, où j’ai obtenu un diplôme d’ingénieur avec une spécialisation en génie civil et ouvrage d’art. J’ai suivi en parallèle un master en recherche.
Par la suite, j’ai fait une thèse – théorique et numérique – au sein d’un laboratoire de l’ENTPE, en géotechnique et mécanique des sols, sur le stockage des déchets radioactifs à grande profondeur.
Parlez-nous de votre thèse...
Je me suis toujours dit qu’il fallait se donner la peine de creuser une problématique scientifique pour que ça soit le plus intéressant possible. Faire une thèse pour moi, c’était assez évident dans ce contexte.
Ma thèse est intitulée « Comportement poro-viscoplastique endommageable, application au stockage de déchets radioactifs profonds ». Il est question de tunnels à grande profondeur, à 500 mètres sous terre. Elle concerne la modélisation numérique de différents phénomènes physiques et leurs interactions.
Ce que je trouve intéressant en recherche, c’est de regarder les limites entre plusieurs domaines. On a par exemple beaucoup travaillé sur la mécanique toute seule, l’hydraulique toute seule. Mais le couplage des deux, c’est-à-dire comment l’un influence l’autre, et réciproquement, c’est passionnant !
Ce qui m’intéresse particulièrement en recherche, c’est travailler sur le couplage de domaines et étudier leur influence l’un sur l’autre.
Quel a été votre parcours professionnel, et quelle place y a occupée la recherche ?
J’ai rejoint en 2012 le CETE Nord-Picardie à Lille – qui sera intégré au Cerema à la création de l’établissement, en 2014 – en tant qu’ingénieure géotechnicienne. Pendant trois ans, j’ai réalisé des études, fait du conseil et de l’assistance à la maîtrise d’œuvre ou à la maîtrise d’ouvrage, sur tous types d’ouvrages géotechniques. Cela m’a ouvert de nombreux champs en géotechnique que je n’avais pas du tout analysés pendant ma thèse et m’a permis de découvrir la communauté des professionnels, en plus de comprendre à quoi peut servir la recherche.
En 2015, j’ai eu l’opportunité d’obtenir un poste de chercheure au sein de l’équipe Rhéologie et Dynamique des sols du Cerema, à Aix-en-Provence. Je suis née dans cette ville. Après avoir fait quelques kilomètres en France, j’y suis revenue… non pas parce que c’était Aix-en Provence mais parce que le poste était intéressant et motivant. J’ai fait d’une pierre deux coups !
En 2020, l’équipe de recherche GéoCoD a été préfigurée… dans le contexte du covid et du double confinement ! Avec sa responsable Marie-Aurélie Chanut, cela ne nous a pas empêché de mettre au point le projet scientifique pour que l’équipe puisse être validée fin 2020 et commencer à travailler en 2021. Depuis, je suis responsable adjointe de cette équipe de recherche et responsable du groupe GéoCod à Aix-en-Provence – l’autre groupe étant basé à Bron.
Mon parcours professionnel a également été marqué par l’obtention de plusieurs qualifications. En 2016, j’ai été reconnue « spécialiste » par le Comité de domaine Géotechnique et Risques naturels. Une évaluation qui concerne surtout les ingénieurs. En 2017 et en 2020, j’ai été reconnue « chercheure » par le Comité d’évaluation scientifique CESAAR. Cela reflète bien mon parcours.
Sur quoi portent vos recherches ?
Mes recherches portent, de manière générale, sur les couplages hydromécaniques dans les matériaux poreux, autrement dit les matériaux où il y a des vides qui sont remplis par de l’eau, de l’air ou d’autres fluides. On s’intéresse en particulier aux sols et aux roches. Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut appliquer le même type d’équations à une large variété de matériaux poreux : un os, une dent, du béton…
Je travaille particulièrement sur le comportement dynamique des sols et le comportement des ouvrages sous sollicitations sismiques, que j’ai plutôt développés depuis mon arrivée à Aix-en-Provence. Concernant le comportement dynamique des sols, en particulier en laboratoire, notre plateforme d’analyse du comportement mécanique des sols et des roches tendres est assez unique en France et regroupe des presses et machines de haute technologie. Nous avons un savoir-faire technique qui nous permet notamment de réaliser des essais triaxiaux cycliques et des essais de résonance en torsion, non destructifs, avec une colonne résonante. Seuls quatre laboratoires en France possèdent cette presse très utile.
La plateforme d’analyse du comportement mécanique des sols et des roches tendres, à Aix-en-Provence, est assez unique en France.
Nathalie Dufour avec Hélène Calissano et Laurent Batilliot, techniciens membres de l'équipe de recherche GéoCoD, au sein de la plateforme d’analyse du comportement mécanique des sols et des roches tendres, à Aix-en-Provence
© Cerema
Quels projets de recherche vous ont particulièrement marquée ?
Le projet ANR ASIRIplus-SDS qui s’intéresse au comportement des sols renforcés par inclusions rigides. Il intègre autant des partenaires académiques qu’industriels. C’est dans ce cadre que nous avons pu acquérir une colonne résonante nous permettant de comprendre le comportement dynamique des sols mis en place dans un modèle réduit.
Le fait de posséder cette colonne résonante nous ouvre de nombreux champs. En ce moment, nous essayons par exemple de l’appliquer sur des éprouvettes de sols traités, dans le cadre du projet Canal Seine-Nord Europe : un canal à grand gabarit qui va relier la Seine aux canaux du Nord de l’Europe, sur une centaine de kilomètres et qui va générer énormément de déblais. Pour pouvoir valoriser ces terres, le maître d’ouvrage – la Société du Canal Seine-Nord Europe – mène des travaux de recherche sur l’imperméabilisation du canal, en traitant le sol avec de la chaux et du ciment. Nous intervenons pour notre part sur une solution permettant de réduire l’épaisseur des murs de soutènement des écluses, et donc la quantité de béton utilisée. Cela peut faire une grosse différence sur la facture économique et l'impact écologique !
Dans ce cadre, nous avons réalisé des essais de fatigue complètement inédits en France : un million de cycles sur une éprouvette, pour représenter en laboratoire la vie de l’ouvrage sur cent ans, en accéléré sur un mois.
Dans le cadre de vos projets de recherche, avez-vous collaboré avec des entreprises ?
Il y a actuellement une thèse, commencée en 2021 et réalisée en partenariat avec Egis Geotechnique et l’École Centrale de Nantes, qui constitue le pendant numérique des travaux de recherche que je viens d’évoquer. Elle a pour objectif d’expliquer et de modéliser le comportement et les propriétés de ces sols traités.
Le projet de R&D Σigma2 – Seismic Ground Motion Assessment project, v.2 – qui s’est terminé en 2022, a été financé par différents électriciens mondiaux, dont EDF. Il nous a permis de produire une base de données des résultats d’essais triaxiaux cycliques et de résonance en torsion qui ont été réalisés en France, sur plusieurs types de sols, depuis les années 1970. Cela va permettre ensuite de construire des modèles et de connaître les incertitudes associées à ces derniers.
Mais plus largement, toutes nos prestations de R&D sont maintenant réalisées à 100 % pour des entreprises. Egis et EDF sont nos commanditaires les plus importants, et de plus en plus d'entreprises nous sollicitent.
Toutes nos prestations de R&D sont maintenant réalisées à 100 % pour des entreprises.
Avez-vous déjà été lauréate d’un appel à projets de ressourcement scientifique de Clim’adapt, l’institut Carnot du Cerema ?
En 2022, nous avons bénéficié d’un soutien financier de l'institut Carnot Clim'adapt permettant l'acquisition et l’installation à Aix-en-Provence d'un équipement pour la détermination des propriétés hydrodynamiques des sols et des roches en laboratoire. L’opportunité de mettre en évidence les propriétés hydrodynamiques des sols et ainsi le développement de modèles numériques de haut niveau prenant en compte les caractéristiques des sols non saturés – des sols dont les vides sont remplis par de l’eau et par de l’air.
Cela faisait quelques années que des entreprises comme EDF et Egis nous sollicitaient pour de gros projets pointus, en lien avec le changement climatique. Grâce à ce nouvel équipement, nous sommes désormais en mesure de répondre à leurs besoins R&D, ce qui est pleinement notre rôle.
Équipement pour la détermination des propriétés hydrodynamiques des sols et des roches en laboratoire, financé par Clim'adapt, l'institut Carnot du Cerema
© Cerema
Une ou plusieurs fiertés professionnelles ?
Piloter depuis 2017 la plateforme d’analyse du comportement mécanique des sols et des roches tendres. Il s’agit de réfléchir aux essais à mener, gérer les prestations pour les clients mais aussi manager deux techniciens expérimentés.
Réussir à préfigurer l’équipe de recherche GéoCoD, en très peu de temps et au moment du confinement.
Et puis, mon activité d’enseignement qui est importante pour moi et me motive : j’encadre des thèses et je suis responsable du cours de mécanique des sols en deuxième année de l’ENTPE et en master 2 en géotechnique, à l’Université Côte d’Azur, à Sophia-Antipolis.
Quelles sont les qualités requises pour réussir en tant que chercheure ?
La patience, la rigueur et l’opiniâtreté.
Si vous deviez vous décrire en trois adjectifs ?
Patiente, rigoureuse et opiniâtre ! Avec la curiosité en plus, pour aller au fond des choses.
Le Cerema est labellisé institut Carnot avec Clim’adapt : qu’est-ce que cela représente pour vous en tant que chercheure au Cerema ?
Le nom et la thématique de l’institut Carnot du Cerema font référence à l’adaptation au changement climatique. Dans les ouvrages géotechniques, on est forcément confronté à cette réalité quotidienne. Et en tant que citoyenne, ce sont des sujets malheureusement d’actualité. Donc si on peut le prendre en charge au niveau de la recherche, c’est une bonne chose.
Et puis travailler pour des entreprises dans le cadre du Carnot. Aujourd’hui, ce sont les industriels qui sont maîtres d’œuvre pour faire les grands projets. Les problématiques les plus intéressantes et à creuser se situent à leur niveau.
Le mot de la fin ?
Je suis très contente d’exercer ce travail de chercheure ! J’y éprouve une motivation et un intérêt de tous les jours. Et le Cerema, de par l’organisation de l’activité de recherche qu’il a mise en place, nous permet de le faire de manière plus sereine.