25 octobre 2022
Valérie Muzet, une chercheuse très appliquée
Valérie Muzet est chercheuse au sein de l’équipe de recherche ENDSUM du Cerema, à Strasbourg, et responsable d’activités opérationnelles. Experte depuis une quinzaine d’années en photométrie des surfaces routières – revêtements et marquages routiers – et en imagerie routière, elle mène des projets de transfert de technologies et réalise de la recherche appliquée. Cela se concrétise par des expérimentations, de la conception et du développement de prototypes, de la méthodologie et de la normalisation. Ces dernières années, elle a fortement augmenté ses activités de recherche et n’hésite plus à publier. Entretien avec une chercheuse remarquable et remarquée.


Quelle est votre formation ?

J’ai suivi un cursus plutôt classique, avec une classe préparatoire et un diplôme d’ingénieur dans une école nationale de physique. J’ai ensuite fait un doctorat. J’ai découvert le laboratoire de Strasbourg durant mon stage de DEA que j’ai effectué là-bas. J’y ai gardé de très bons contacts et cela m’a donné envie d’y travailler à la fin de ma thèse. C’est pourquoi, en 1999, j’ai passé le concours d’ingénieur des travaux publics de l’État sur titre.

 

Parlez-nous de votre thèse...

J’ai réalisé ma thèse, dont le sujet est « Conception et réalisation et validation d’un dispositif de mesure du champ visuel utile chez l’homme », dans un laboratoire de physiologie et de psychologie environnementale. J’ai fabriqué un appareil permettant de mesurer le champ visuel utile – qui est constitué par l'espace dans lequel la perception de signaux visuels périphériques est possible lors de la réalisation d'une tâche principale occupant la vision centrale –, pour des applications de conduite automobile. Cet appareil a été utilisé par des psychologues et des chercheurs pendant une dizaine d’années.

 

J’ai toujours fait de la recherche très appliquée !

Quand considérez-vous que vous êtes devenue chercheuse ?

C’est une excellente question à laquelle je ne sais pas réellement répondre ! J’ai été recrutée en TPE sur titre car j’avais fait une thèse. Dans mon premier poste, à Nancy, ce sont bien mes compétences de chercheuse qui étaient attendues car ils souhaitaient monter une équipe de recherche. Pour mon second poste à Strasbourg, j’ai intégré une équipe de recherche. Mais j’ai toujours fait beaucoup d’opérationnel. Ma part de recherche a vraiment augmenté ces dernières années. On peut donc dire que j’étais chercheuse depuis ma thèse mais que je n’en avais pas le statut officiel.

J’ai obtenu le statut officiel de chercheuse, tel qu’il est reconnu au sens du Cesaar1, en 2020. Ma hiérarchie aurait voulu que je dépose un dossier bien avant mais je ne le souhaitais pas, car cela représente une charge de travail supplémentaire, en plus du travail habituel. Lors du confinement, j’ai pris le temps de construire mon projet de recherche et de déposer mon dossier Cesaar. Depuis, mes activités de recherche ont pris de l’essor et je ne regrette pas ce choix.

 

Quel a été votre parcours en tant que chercheuse ?

Après ma thèse, j’ai occupé pendant quatre ans, de 1999 à 2003, un poste au Centre d’Etudes Techniques de l’Est (CETE), au Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées de Nancy. J’y ai fait de la recherche et de l’international, au sein d’une équipe experte en viabilité hivernale – ensemble des actions mises en œuvre dans le cadre de la prévention ou de la lutte contre les effets climatiques de l’hiver sur les voies de circulation. J’évaluais des matériels embarqués et des modèles, réalisais des expérimentations sur site, notamment en partenariat avec Météo France. On s’intéressait à l’interface neige - chaussée, à l’impact des fondants…

Alors que je débutais dans ce domaine, mon chef m’a propulsée dans des travaux de normalisation et des projets européens. Une excellente opportunité : rencontrer des gens d’autres pays, c’est quelque chose que j’apprécie particulièrement. Ce poste était très complet avec des visions à court, moyen et long terme : de la recherche, une déclinaison opérationnelle avec des formations, de la normalisation… Une approche globale.

De 2003 à 2013, j’ai été ingénieure d'études et de recherches en instrumentation, imagerie routière et méthodes optiques, au sein du Laboratoire Régional des Ponts et Chaussées de Strasbourg. Il s’agissait notamment de détecter des fissures sur des ouvrages d’art par des techniques optiques d’interférométrie ou de mesurer des déformations par de la lumière structurée. Des applications de méthodes optiques, domaine que j’ai arrêté complétement. Une activité de pilotage de développement de prototypes avec les CECP2 du Cerema – aujourd’hui appelé D2PN3 – que j’ai poursuivie.

J’ai également commencé, et continué depuis, la mesure de la photométrie des surfaces : regarder comment les surfaces routières, que ce soit la route ou le marquage, réfléchissent la lumière, afin d’optimiser l’éclairage public et de contrôler la qualité du marquage. J’ai participé au développement des systèmes à grand rendement mesurant cette visibilité. En 2007, j’ai pris le pilotage de l’activité en imagerie routière. On est allé jusqu’à la qualification pour différents appareils, en particulier l’IRCAN et le logiciel d’exploitation IREVE, utilisé par plus de 2 000 personnes. Une grande part de mon activité, à l’époque et encore aujourd’hui, c’est la gestion de projet. En 2014, mon expertise a été reconnue et mon poste a évolué.

Je me suis ensuite investie dans le montage de l’équipe de recherche du Cerema ENDSUM : Évaluation Non Destructive des StrUctures et des Matériaux qui associe depuis 2018 des équipes de Strasbourg, Angers et Rouen et est pilotée par Cyrille Fauchard. Elle s’attache à mettre au point des méthodes de caractérisation et de diagnostic à grand rendement, n’altérant pas les milieux auscultés, pour les gestionnaires d’infrastructures et les bureaux d’études. Depuis 2019, j’ai recentré mes activités de recherche sur la photométrie des surfaces, avec une forte ouverture à l’international.

 

Sur quoi portent vos recherches ?

J’ai toujours fait de la recherche appliquée, de transfert de technologies et de soutien à la recherche, concrétisées par des expérimentations, des collectes de données, des activités de conception et développement de prototypes, de méthodologie et de normalisation. Pour ce faire, j’ai besoin de mes connaissances en instrumentation, méthodes physiques, optiques et traitement de données.

Au sein de l’équipe de recherche ENDSUM, il y a différents axes de recherche dans lesquels je m’inscris totalement : la caractérisation des paramètres physiques et géométriques des milieux ; le développement et le transfert des méthodes de modélisation, d’inversion et de traitement des données ; l'élaboration d'outils d’évaluation non destructive.

Outre les agents d’ENDSUM, je travaille énormément en collaboration avec d’autres collègues du Cerema : l'équipe de recherche Eclairage et Lumière d'Angers EL, l’équipe de recherche STI, qui mène à Clermont-Ferrand des travaux sur la visibilité en conditions climatiques dégradées.

 

Valérie Muzet réalise des mesures avec l’appareil COLUROUTE, sur le périphérique de la Défense à Paris.

Valérie Muzet réalise des mesures avec l’appareil COLUROUTE, sur le périphérique de la Défense à Paris.
© Cerema

 

Quand avez-vous rejoint le Cerema ?

Je travaille au Cerema depuis son origine. En effet, les Laboratoires Régionaux des Ponts et Chaussées du CETE ont intégré le Cerema à la création de l’établissement, en 2014.

 

Quels projets de recherche vous ont particulièrement marquée ?

Le projet de recherche européen Empir SURFACE4 « Caractérisation photométrique de la chaussée pour un éclairage routier intelligent et efficace », où ma contribution a été grandissante – jusqu’à me retrouver leader français –, a constitué un tournant. Tout est actuellement défini pour un conducteur qui va regarder à 90 mètres devant lui mais en ville, on regarde un peu plus près. Suite à ces travaux de recherche, nous avons déposé, avec les équipes de recherche du Cerema EL et STI, le projet ANR REFLECTIVITY que je coordonne autour de ces thématiques et qui démarrera en janvier 2023.

Le fait d’avoir cette ouverture à l’international m’a permis de me rendre compte que nos travaux étaient en avant-garde, alors qu'ils étaient peu connus car non publiés. Et nous nous sommes du coup mis à publier… et beaucoup ! Une des difficultés du travail de chercheur qui fait de la recherche appliquée, c’est qu’il ne va pas forcément faire de publications. Je n’ai par exemple pas réussi à publier après ma thèse, ce qui m’a échaudée. Le projet Empir SURFACE m’a permis d’évoluer sur ce sujet. Quand on veut avancer, se faire connaître, fédérer des travaux, il est indispensable de communiquer et d’écrire. On met de côté nos inhibitions, on apprend et on réussit : il faut publier !

Je peux également mentionner le projet SAM « Sécurité et Acceptabilité de la conduite et de la Mobilité autonome »5, financé par l’ADEME et piloté par la Direction territoriale Île-de-France du Cerema. Tout ce qui a été fait par rapport à la signalisation horizontale est pour les conducteurs. Les enjeux actuels concernent les besoins des véhicules automatisés. Dans le cadre du projet SAM, on travaille avec des constructeurs automobiles sur de nouveaux indicateurs de caractérisations du marquage routier du fait de l’émergence des véhicules automatisés.

 

Dans le cadre de vos projets de recherche, avez-vous collaboré avec des entreprises ?

J’ai mené plusieurs projets de recherche partenariale avec des industriels. Il arrive que des fabricants de revêtements innovants nous demandent de les caractériser. C’est le cas de Colas, que le Cerema accompagne par ailleurs pour le développement et les expérimentations de la nouvelle solution de signalisation dynamique Flowell. Les suivis au cours du temps de revêtements innovants s’inscrivent dans le cadre de contrats Carnot.

À Limoges, il nous est arrivé de mesurer des routes avec des résidus de porcelaine.

En 2021, nous avons également noué un partenariat avec la société Logiroad pour voir si nous pouvions caractériser le marquage avec un Lidar.

Par expérience, c’est relativement facile de réaliser des tests et de démontrer une faisabilité. L’industrialiser et en faire un produit opérationnel, qui fonctionne à tous les coups, c’est beaucoup plus complexe. C’est ce que j’ai énormément fait et ce n’est pas assez reconnu en France. Il faudrait qu’il y ait davantage de moyens sur ce transfert de technologie et sur cette industrialisation.

 

Un de vos projets de recherche a-t-il bénéficié du ressourcement scientifique Carnot ?

Le Cerema a codéveloppé et qualifié avec la société NextRoad l’ECODYN 3, la nouvelle génération des appareils à grand rendement qui permettent de caractériser la visibilité du marquage routier de jour et de nuit. Il nous a été possible d’en faire l’acquisition avec une partie de financement dans le projet SAM et 50 000 euros du Carnot.

 

Valérie Muzet (de dos) avec des collègues du Cerema d’ENDSUM Strasbourg, d’EEL Angers, du département mobilité de Trappes et de Védécom. Sur le véhicule, l’ECODYN 3.

Valérie Muzet (de dos) avec des collègues du Cerema d’ENDSUM Strasbourg, d’EL Angers, du département mobilité de Trappes et de Védécom. Sur le véhicule, l’ECODYN 3.
© Cerema

 

Une ou plusieurs fiertés professionnelles ?

En septembre 2021, lors de la Commission internationale de l’éclairage (CIE), j’ai reçu le prix du « Best oral paper » pour un projet qui me tient vraiment à cœur. J’ai présenté les travaux du groupe « Revêtement et lumière » qui existe depuis très longtemps et que je coanime. Il regroupe quasiment tous les constructeurs de route et des éclairagistes. L’objectif est que ces gens, qui ne se connaissaient pas, se parlent et travaillent ensemble. Une bibliothèque de revêtements urbains actuels et innovants a été définie, mise en œuvre et caractérisée à l’état neuf et après deux ans. L’utilisation de ces données permet de dimensionner un éclairage conforme à la réglementation et, si le revêtement est clair, générer des économies d’énergie. L'article de conférence s’appelait : « Est-ce qu’il est possible d’avoir de l’éclairage de qualité sans considérer la photométrie des revêtements ?6 ». Un choix provocant qui prouve que j’ai pris de l’assurance !

La CIE produit des documents de référence. Je pilote au niveau mondial le TC4-50 qui va rédiger la mise à jour de deux rapports de 1986 et de 2001 sur la photométrie des surfaces, en lien avec PIARC – l’Association mondiale de la Route –, ce que mes prédécesseurs n’arrivaient pas à faire. Se constituer un réseau et être vraiment reconnue en tant que chercheuse, comme c’est le cas maintenant, ça prend du temps et c’est une fierté.

Se constituer un réseau et être reconnue en tant que chercheuse, ça prend du temps.

Quelles sont les qualités requises pour réussir en tant que chercheur ?

La curiosité. Oser. La rigueur scientifique qui est fondamentale. La neutralité aussi est importante.

 

Si vous deviez vous décrire en trois adjectifs ?

Dynamique, organisée et collaborative : coordonner des équipes, piloter des projets, fédérer des travaux, c’est vraiment ce que j’adore.

 

Le mot de la fin ?

Il ne faut pas se brider et croire que si on ne fait pas de la recherche fondamentale, cela a moins de valeur.

  

Valérie Muzet

Publications de Valérie Muzet
Chercheuse au sein de l’équipe de recherche ENDSUM du Cerema


Valérie Muzet est autrice ou co-autrice d’une quarantaine d’articles ou communications dans des revues ou conférences internationales. Elle a piloté plusieurs opérations de développement, a été fortement impliquée dans les projets européens COST 3447 (1988-2002), Empir SURFACE (H2020, 2017-2020) et participe au projet SAM (Ademe, 2019-2023). Active en normalisation (Signalisation horizontale notamment), elle coanime le groupe « Revêtement et Lumière » et pilote au sein de la CIE le groupe technique TC4-50 en charge de la mise à jour du document de référence en photométrie des surfaces. Elle va piloter le projet REFLECTIVITY (ANR, 2023-2027) qui a pour ambition de mesurer la BRDF8 des surfaces routières pour optimiser l’éclairage, le contraste des marquages, l’impact de l’albédo afin de concilier visibilité et territoire durable.

 

1 Comité d’évaluation scientifique des agents ayant une activité de recherche au sein du ministère.
2 Centre d’Etude et de Construction de Prototype.
3 Département Prototypes et Projets Numériques.
4 2017-2020.
5 2019-2023.
6 Is it possible to achieve quality lighting without considering the photometry of the pavements?
7 COST 344: Improvements to Snow and Ice Control on European Roads and Bridges.
8 Fonction de réflectivité de la lumière bi directionnelle.