Ses recherches portent sur la propagation acoustique en milieu extérieur, la caractérisation des incertitudes en acoustique environnementale, ainsi que sur le bruit des éoliennes. Il multiplie les allers-retours entre le laboratoire et le terrain, les partenaires académiques et industriels. Spécialiste du bruit et plus largement de l’environnement sonore, il mérite d’être écouté. Entretien.
Quelle formation avez-vous suivie ?
J’ai suivi au départ un parcours assez classique d’ingénieur : classes préparatoires puis École nationale supérieure de mécanique et micro-techniques (ENSMM, à Besançon), mais la dimension recherche me manquait. J’ai donc complété mon cursus avec un diplôme d’études approfondies (DEA) d’acoustique appliquée en 1996 puis un doctorat d’acoustique, tous deux obtenus à l’Université du Maine au Mans, en 2001.
Depuis quand êtes-vous chercheur ?
Je considère que ma carrière de chercheur débute avec ma thèse de doctorat, en 1998, dont le sujet était : "Modélisation, mesures et essais d’un gyromètre acoustique soumis à des vitesses de rotation élevées ou instationnaires". Ce capteur, utilisant des phénomènes acoustiques pour mesurer une vitesse de rotation, était très séduisant d’un point de vue conceptuel du fait du contraste entre la simplicité de sa conception et la complexité de la modélisation des phénomènes physiques mis en jeu. Il avait déjà été étudié lors de recherches précédentes mais il restait des choses inexpliquées.
Quels sont vos domaines de compétences scientifiques ?
Mon champ de compétences est celui de l'acoustique environnementale, domaine qui s’intéresse en particulier à l’impact des sources sonores de notre environnement quotidien sur le bien-être et la santé de ceux qui les subissent. En complément d’une expertise en ingénierie acoustique, mes travaux de recherche portent sur trois grands axes. Premièrement, la propagation acoustique en milieu extérieur, qui étudie comment les ondes sonores sont modifiées entre une source de bruit et le riverain par l’influence du sol, des obstacles, et du milieu de propagation, avec une attention particulière sur les effets météorologiques. Un deuxième axe, très actif depuis une dizaine d’année, porte sur le bruit des éoliennes, en particulier les aspects propagation et mesures. Enfin, de manière transversale, la caractérisation des incertitudes, aussi bien pour les mesures, que pour les modèles de prévision du bruit.
Je suis aussi expert sur le bruit des infrastructures, notamment celles du transport, ainsi que les basses fréquences ou les infrasons, en particulier ceux émis par les éoliennes. J’ai ainsi contribué en 2017 à la production d’un rapport d’expertise collective de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) sur ce sujet. C’était enrichissant de me confronter à cette question souvent polémique, où il est indispensable d’objectiver les informations contradictoires en circulation et souvent non fondées.
En recherche appliquée, le chercheur est ainsi parfois au cœur de sujets de société. Que peut-il apporter ? Comment doit-il se positionner ? Comment rédiger et présenter des conclusions qui seront lues par le grand public, tout en marquant – et restant dans – son rôle d’expert technique ? Ce rapport ayant soulevé de nombreuses questions scientifiques, j’ai voulu transformer l’essai, en initiant et contribuant à plusieurs projets de recherche sur le sujet (PIBE, PRESENCE avec Engie Green, Cibelius ou Ribeolh).
Les travaux de recherche appliquée peuvent permettent d’apporter des réponses à des préoccupations de la société. Cela donne ainsi un sens plus concret aux travaux purement théoriques à mener en amont.
Crédit photo : © Simon Bianchetti
Quel a été votre parcours en tant que chercheur ?
Après mon doctorat, j’ai intégré en 2002 le corps des Ingénieurs des travaux publics de l'État (ITPE) par un concours externe sur titre, et j’ai rejoint ce qui est devenu le Cerema aujourd’hui en tant que chargé d’études et de recherches en acoustique au laboratoire de Strasbourg où je suis toujours en poste. Je réalisais des expertises acoustiques (études d’impact acoustique par exemple, méthodologie), tout en contribuant à des projets de recherche sur la propagation acoustique en milieu extérieur et sur le bruit des transports. Cette entrée de carrière a été un changement radical !
Je suis ainsi passé d’un domaine en thèse où les expérimentations se faisaient dans des environnements très contrôlés (salle anéchoïque par exemple) à un domaine en acoustique environnementale où on contrôle nettement moins de choses lors des expérimentations (difficile d’imposer au vent comment il doit souffler lors des mesures), mais où il faut néanmoins en tirer des modèles de prévision !
Les va-et-vient constants entre terrain, théorie et modélisation sont essentiels dans mon activité de chercheur, notamment pour comprendre les besoins et les contraintes du milieu réel pour l’application de résultats de recherche. Cette problématique est récurrente dans mon activité, par exemple lorsqu’il est nécessaire d'écrire une méthode ou une norme technique qui soit les plus justes du point de vue scientifique, mais tout en restant applicables.
Depuis mon arrivée à Strasbourg je ne cesse d’avoir un pied dans le laboratoire et un pied dans les champs !
En 2012, en parallèle de mes travaux en ingénierie, je suis devenu responsable de l‘équipe de recherche associée à l’Ifsttar ERA32, spécialisée en acoustique. En 2014, le projet de rapprochement entre équipes de recherche initié avec l’Ifsttar (partie prenante maintenant de l’UGE) a mené en 2017 à la création de l’équipe de recherche en Acoustique Environnementale (AE) du Cerema, puis en 2018 à l’Unité Mixte de Recherche en Acoustique Environnementale (UMRAE), formée par regroupement des 2 équipes de recherche dans ce domaine de ces établissements.
L’UMRAE abrite une trentaine d’agents, dont 14 chercheurs permanents, répartis de façon égale entre le Cerema et l’UGE. Je fais actuellement du management de la recherche en assurant la direction adjoint de cette unité, et tout en contribuant autant que je peux à la production scientifique.
Parlez-nous d’un projet marquant en partenariat avec un industriel...
J’évoquerais le projet Carnot PRESENCE avec Engie Green qui coche beaucoup des cases qui me plaisent dans un projet de recherche ! Il permet d’associer et de confronter les modèles du chercheur aux contraintes très concrètes de nos partenaires, à forts enjeux industriels, économiques, réglementaires et sociétaux.
Dans certaines conditions, le bruit d’un parc éolien peut parfois susciter des plaintes de gêne de la part de riverains. L’industriel est tenu réglementairement de respecter certains critères de bruit, sous peine de devoir arrêter ou brider le parc éolien, ce qui lui coûte très cher. Engie Green nous a sollicité pour les accompagner dans le développement d’un outil opérationnel de terrain capable de quantifier en temps quasi réel le bruit du parc, sans arrêt de ses machines, et lui permettre ainsi de le piloter au mieux pour éviter les nuisances, sans subir de perte de production électrique importante.
Le partenariat a consisté à mettre au point un procédé d’estimation automatique de la contribution sonore d’un parc éolien, à partir de mesures réalisées in situ couplées à un algorithme d’intelligence artificielle. L’objectif du procédé étant de permettre un gain significatif de productivité d’un parc éolien, par rapport à une solution de bridage classique, tout en respectant la réglementation acoustique vis-à-vis des riverains.
En deux ans, ce projet a généré deux contrats Carnot et produit des retombées très positives : outre la mise au point et la réalisation du dispositif industriel, les travaux ont été présentés dans deux congrès internationaux et une publication va paraître cette année dans JASA, la revue américaine de référence dans le domaine acoustique. Par ailleurs, le post-doctorant recruté par le Cerema pour ce projet a été embauché en CDI par Engie Green à la fin de son contrat chez nous, ce qui est une marque certaine de reconnaissance des chercheurs de notre unité. Cela augure aussi le renforcement de nos liens avec cet industriel pour de potentielles collaborations futures.
Le projet Carnot PRESENCE avec Engie Green est un bel exemple du lien possible entre chercheurs et industriels.
Un de vos projets de recherche a-t-il bénéficié du ressourcement scientifique Carnot ?
Le Cerema est le pilote et l’un des partenaires du projet ANR PIBE (Prévoir l’Impact du Bruit des Eoliennes). Ce projet, qui a débuté en 2019 pour une durée de quatre ans, vise à mieux maîtriser le risque sonore des éoliennes à chaque stade de vie d’un parc éolien, de sa phase de conception à sa phase d’exploitation. Ainsi, on s’intéresse aussi bien à l’amélioration des méthodes de prévision qu’à l’étude de solutions de réduction du bruit.
Il s’agit du premier projet français de recherche collaborative sur le bruit des éoliennes, dont le coût total s'élève à 1,36 million d'euros. Il a bénéficié d'un cofinancement à parts égales du Carnot Clim’adapt et de l'Agence nationale de la recherche pour l'acquisition d'un anémomètre LIDAR, un équipement de pointe permettant d’analyser le profil vertical du vent au moyen d’un faisceau laser. Installé sur un site éolien d’Eure-et-Loir entre février 2020 et avril 2021, ce LIDAR va ensuite être réutilisé dès septembre 2021 en Espagne dans le cadre d’un autre projet de recherche collaboratif avec Airbus.
David Ecotière et Thierry Braine-Bonnaire, directeur de l’institut Carnot Clim’adapt, aux côtés du LIDAR.
Crédit photo : © Pauline Carret
Le projet PIBE a bénéficié d'un cofinancement à parts égales du Carnot Clim’adapt et de l'Agence nationale de la recherche pour l'acquisition d'un LIDAR, équipement de pointe permettant d’analyser le profil vertical du vent au moyen d’un faisceau laser.
Une fierté professionnelle ?
La création de l’UMRAE qui a demandé beaucoup de travail de la part de chacun. Cela a abouti et l’équipe fonctionne bien. Nous sommes bien identifiés et visibles, en interne et en externe. C’est un projet collectif, une vision partagée et très collaborative.
Avec Judicaël Picaut (UGE), directeur de l’UMRAE, nous menons ensemble un travail de management et d’animation d’équipe. Je suis très satisfait de la manière dont cela se passe et des perspectives que cela nous a ouvertes.
Quelles sont les qualités requises pour réussir en tant que chercheur ?
Outre bien entendu une connaissance pointue de son domaine, il faut selon moi avoir une grande ouverture d’esprit et faire preuve de curiosité. Être ouvert à des domaines qui ne sont pas forcément les siens permet à la fois d’enrichir ses travaux mais aussi de mieux percevoir les perspectives, avoir une vision à moyen et long terme. La rigueur dans son travail est bien entendu aussi une qualité très utile.
Si vous deviez vous décrire en trois adjectifs ?
Curieux, pugnace – si l’ascenseur est en panne, je passerai par l’escalier ! – et bavard… comme vous pouvez le constater !
Le Cerema est labellisé institut Carnot avec Clim’adapt : qu’est-ce que cela représente pour vous en tant que chercheur au Cerema ?
La labellisation Carnot est une reconnaissance de l’excellence scientifique du Cerema, mais c’est aussi une opportunité de contribuer au financement d’équipements de pointe, comme le LIDAR évoqué plus tôt. Pour un chercheur, l’institut Carnot Clim’adapt doit également être un appui permettant de faciliter le montage et le suivi de projets.
Le mot de la fin ?
La position de chercheur au Cerema est très spécifique dans le paysage de la recherche française. Elle est à la croisée des besoins du terrain et des activités de recherche plus académiques ou théoriques. Cela nous permet d’échanger et de collaborer avec des laboratoires académiques ou des industriels.
Avoir un pied des deux côtés est un réel atout car cela permet d’alimenter les sujets de recherche par des problématiques complexes du terrain et en retour de valoriser et de décliner des résultats de recherche à des applications de terrain. C’est original et cela fait notre force. En tant que chercheur au Cerema, cela offre beaucoup d’opportunités pour s’épanouir scientifiquement !