A l'occasion de sa parution, Cécile Vo-Van, directrice de projets Nature et ville et Solutions fondées sur la nature et Delphine Salmon, responsable d'études Nature en ville présentent l'approche du Cerema sur ces démarches, à travers une interview en 3 questions.
Le Cerema publie un nouveau document dans sa collection Les Essentiels, destinée aux élus des territoires et à leurs équipes: "Faire de la nature un pilier de la ville de demain" répond à un besoin opérationnel des collectivités dans un contexte où le foncier est contraint, et présente des outils pour inscrire la nature dans les stratégies d'aménagement de la ville.
Cécile Vo-Van, directrice de projets Nature et ville et Solutions fondées sur la nature et Delphine Salmon, responsable d'études Nature en ville, ont répondu à 3 questions sur ces démarches.
Pourquoi le Cerema a-t-il conçu ce document à destination des collectivités ?
Cécile Vo-Van : Depuis plusieurs années les politiques publiques se penchent sur la question de la nature en ville, et aujourd’hui les enjeux liés à la présence de nature en ville et aux services écosystémiques rendus sont bien compris dans les collectivités. On parle de changement climatique, de désimperméabilisation des sols, d’ilots de chaleur… tout cela fait que le sujet de la nature en ville est d’actualité.
C’est le passage à la phase opérationnelle qui s'avère plus compliqué, et nous avons rédigé cet Essentiel pour présenter aux acteurs des collectivités les leviers d’action qui permettent d’intégrer la nature en ville dès l’amont des réflexions sur l’aménagement.
La question de la place de la nature est essentielle dans une démarche opérationnelle, il est important de dépasser le caractère superficiel des actions en faveur de la nature en ville pour que la nature puisse vraiment jouer son rôle qui est multiple : refuge de biodiversité, régulation des eaux pluviales, confort d’été, aspects paysagers... La nature est en fait un écosystème complet qui intègre l’eau, les strates de végétation et le sol, et permet au végétal de rendre des services. Pour avoir un impact réel, il faut une cohérence dans les opérations de nature en ville, et atteindre une certaine massification des opérations.
D’après les travaux du GIEC notamment, il y a urgence à agir dans le contexte du changement climatique : la nature qui est un important levier d’adaptation au changement climatique doit être un acteur majeur de la ville au même titre que le béton et le bitume. Pour les collectivités, c’est un changement de paradigme qui implique de réinterroger la place de la nature en ville.
Delphine Salmon : La problématique pour les acteurs est d’agir dans un contexte où le foncier est restreint : comment la nature peut-elle trouver sa place dans les projets d’aménagement, face à une demande de parkings, de voiries pour les différents modes, ou à un aspect "sauvage" qui peut déplaire. En termes de foncier, les villes doivent répondre à des besoins qui peuvent apparaître comme contradictoires, il faut donc définir des priorités.
La question est celle du mode de faire : les collectivités savent qu’il y a une demande de nature en ville, elles connaissent les services apportés par la nature en ville, mais on observe une difficulté à concrétiser les projets car il y a des tensions importantes sur l’espace en ville. Pour permettre un développement pertinent de la nature en ville, il faut anticiper, planifier la place de la nature, et donc réfléchir à l’espace qu’elle va pouvoir occuper. C'est pour ces raisons que la place de la nature en ville doit être inscrite dans les documents d’urbanisme.
Le document revient notamment sur le rôle important de la communication : la nature en ville peut-elle être mal comprise?
Cécile Vo-Van : Il y a des questionnements qui reviennent au sujet de la nature, par exemple la gestion différenciée donne une impression de désordre, les zones humides et les noues peuvent attirer des animaux… Il y a parfois des réticences vis-à-vis des aménagements de nature en ville, où elle n’a a priori pas de place.
Ce qui est démontré, c’est qu’un projet est davantage accepté et compris si on communique, voire si on sensibilise les habitants. Il faut anticiper ces réticences et communiquer. On a du recul sur certains travaux, par exemple l’aménagement des berges du Rhone à Lyon, où l’acceptation a été progressive mais aujourd’hui personne ne voudrait remettre les parkings à la place de la végétation et des chemins pour les modes actifs. Le facteur temps et le renouveau des usages qui vient après sont à prendre en compte.
On voit aussi que, comme les collectivités, les habitants doivent concilier des enjeux a priori contradictoires : le besoin de circuler en voiture et l’envie d’avoir davantage d’espaces verts, envie d’une ville propre et soignée et d’un meilleur confort climatique…
La nature est d’abord une affaire de perception, chacun va la percevoir différemment et l’accepter plus ou moins. Les études montrent qu’il y a des différentiels assez forts de perception de la nature en ville par le public, notamment vis-à-vis du contrôle et de la maitrise de la nature. La gestion écologique laisse une place à ce qui est "sauvage" et la question est justement la place de ce qu’on a plus de mal à contrôler que le minéral.
Delphine Salmon : Si on prend l’exemple des noues, qui permettent une gestion des eaux pluviales à la parcelle, elles peuvent aussi entraîner quelques nuisances comme la présence de moustiques, être considérées comme des délaissés où l’on peut jeter ses déchets, et modifient l’aspect d’un quartier: il est important d’expliquer leur fonctionnement, de faire la balance entre les nuisances possibles et les bénéfices attendus, montrer à quoi elles servent. C’est aussi un gage de bon fonctionnement car les habitants peuvent s’adapter à ces nouveaux dispositifs. On le voit par exemple avec les démarches de désimperméabilisation des cours d’école, où la renaturation des sols ne va pas de soi pour tous, par exemple la terre est considérée comme sale.
Une manière de faire est de commencer avec l’aménagement de petits endroits de nature devant chez les gens, qui contribuent à faire changer le regard. Face à la sensation d’abandon de l’espace public qui peut être ressentie, il faut montrer que la nature en ville n’est pas du laissez aller mais un choix en expliquant les raisons de choix.
Comment le Cerema accompagne-t-il les collectivités et les acteurs des territoires dans ces démarches?
Cécile Vo-Van : Le Cerema, qui est présent sur les sujets de l’eau, des sols, des arbres, des zones humides et sur l’urbanisme, apporte des outils et des méthodes qui sont rappelés parmi d’autres dans le document. On peut citer les outils pour les stratégies foncières comme Urbansimul, ou Sésame qui permet d’identifier les espèces végétales adaptées en fonction des services écosystémiques rendus.
Nous avons aussi conçu une offre de service, qui est modulable pour s’adapter aux besoins des collectivités et à la temporalité de leurs démarches, pour élaborer et mettre en œuvre une stratégie de nature en ville.
Le Cerema est présent à différents événements sur cette thématique, par exemple les assises nationales de la biodiversité où il animera un atelier intitulé "Terres, natures ? Comment adapter nos villes au changement climatique" ou le colloque Villes perméables organisé par le CNFPT le 25 novembre pour les membres AITF sur dialogue entre services pour le développement de la gestion intégrée de l’eau en milieu urbain.
Delphine Salmon : Le Cerema joue un rôle important de diffusion des connaissances auprès des acteurs à travers des publications et des rendez-vous sur ces sujets. Nous avons publié récemment un essentiel davantage axé sur l’implication des citoyens dans les projets de nature en ville, il y a aussi des fiches techniques, notamment sur la gestion intégrée de l’eau en milieu urbain, ou la conférence technique "Renaturer et perméabiliser les villes : jouer sur le levier de la planification" organisée en novembre dernier.