La journée avait pour ambition de mettre en lumière les enjeux liés à la gestion des sols et de sensibiliser les participants à l’importance des sols et aux menaces auxquelles ils font face. Elle a réuni 72 participants en présentiel, dans les locaux de Bordeaux Sciences Agro, et en visio-conférence.
Cette matinée d’échanges a été introduite par Guillaume ADRA, Secrétaire général de Bordeaux Sciences Agro et Fabrice MARIE, Directeur du Département Territoires du Cerema Sud-Ouest, qui ont rappelé que la prise en compte des sols dans leurs 3 dimensions est récente dans les politiques d’aménagement.
La matinée s’est déroulée autour du partage des dernières recherches et outils disponibles pour la gestion et la protection des sols et de discussions autour de bonnes pratiques et de méthodes innovantes pour intégrer les sols dans les projets d’aménagement du territoire.
Introduction scientifique
Philippe Chery – Bordeaux Sciences Agro
Philippe Chéry de Bordeaux Sciences Agro a rappelé que les sols sont des interfaces essentielles entre différents compartiments de la Terre (biosphère, atmosphère, lithosphère, hydrosphère), souvent comparés à la "peau de la Terre". Ils sont une ressource fragile et non renouvelable à l’échelle humaine. Le sol est fondamental pour la production de biomasse (agriculture, forêts, etc.), il joue un rôle crucial dans l’écosystème (épuration de l'eau, stockage du carbone, biodiversité), et est un marqueur des zonages environnementaux (e.g. les zones humides). Cependant, il est menacé par divers facteurs : désertification, érosion, pollution, déforestation, artificialisation, salinisation, et compaction.
Les sols présentent une grande diversité (propriétés physiques, chimiques et biologiques) et leur étude (pédologie) est essentielle pour comprendre leur fonctionnement et leur distribution spatiale. Cette connaissance permet également de cartographier les sols à différentes échelles, ce qui est crucial pour une gestion durable et la préservation des sols et, ainsi, adapter les pratiques agricoles, protéger les ressources naturelles, et planifier l’aménagement du territoire.
Malgré leur importance, les sols sont souvent perturbés par les activités humaines. Retrouver leur fonctionnement originel est souvent impossible, notamment en milieu urbain, où les sols ont été fortement remaniés. La grande variabilité des sols nécessite des études spécialisées, qui peuvent être coûteuses et difficiles à réaliser.
Session 1 : Connaissances sur les sols
À la découverte des sols : panorama des données, méthodes et outils existants
Stéphanie Jalabert – Bordeaux Sciences Agro
Le Gis Sol (Groupement d'Intérêt Scientifique Sol) a été créé en 2001 dans le but de coordonner et capitaliser les données relatives aux sols en France. L'objectif principal de cette initiative est de centraliser les informations sur les sols, de calculer des indicateurs de propriétés des sols, et de les mettre à disposition du public. Plusieurs programmes ont été mis en place pour acquérir des données de manière systématique, telles que IGCS (Inventaire, Gestion et Conservation des Sols), RMQS (Réseau de Mesures de la Qualité des Sols) et BDAT (Base de Données des Analyses des Terres), qui concerne les sols agricoles.
Le RMQS réalise des campagnes d'échantillonnage tous les 15 ans sur 2200 sites, espacés de 16km, répartis sur le territoire français pour surveiller des indicateurs environnementaux dans les sols tels que le carbone et l’eau en lien avec le changement climatique, les contaminants et la biodiversité. Le programme IGCS a pour objectif l’identification et la cartographie des types de sols à différentes échelles. Ces informations sont essentielles pour une gestion durable des sols et une meilleure compréhension de leur évolution au fil du temps.
En parallèle, des bases de données telles que la BDAT sont mises à disposition pour capitaliser les analyses de sols agricoles, réalisées par des laboratoires agréés, afin d'enrichir la connaissance sur les sols et améliorer les pratiques agricoles, notamment en matière de fertilisation.
Le Gis Sol met également à disposition un outil de recherche, Refersols, pour accéder aux études pédologiques existantes, ainsi qu'un dataverse ou entrepôt de données contenant 38 jeux de données.
En outre, les Référentiels Régionaux Pédologiques (RRP – Volet d’échelle IGCS à 1/250 000) sont disponibles sur la plateforme de partage des données géographiques, PIGMA. Un visualiseur cartographique est en développement pour faciliter la consultation des données en Nouvelle-Aquitaine, il sera rattaché à PIGMA.
Dans le cadre de projets d’aménagement, le Gis Sol collabore avec des partenaires régionaux pour intégrer les données sur les sols dans la planification urbaine et rurale. Cela inclut des initiatives pour une gestion durable des sols urbains, comme la base de données BDSolU (gérée par le BRGM), qui regroupe des analyses spécifiques aux sols urbains, ou l’IGN qui a mis à disposition du Gis Sol les données de sols présentes dans l’inventaire forestier. Des études en Open Data, comme celle réalisée pour l'Entre-deux-Mers, illustrent la mise en œuvre de programme de cartographie des sols à des échelles fines.
Des échanges ont eu lieu à la suite de cette présentation au sujet de la diffusion des connaissances acquises sur les sols lors d’études liées à des projets d’aménagement. Il est précisé que le bureau d’études n’est pas propriétaire de la donnée, mais c’est bien le maitre d’ouvrage de l’étude. Par ailleurs, intégrer des données de sols sur ces plateformes de diffusion peut s’avérer couteux pour les bureaux d’études.
Méthodologie pour définir les multifonctionnalités potentielles des sols
Elodie Moulin – Cerema
Cette méthodologie a été appliquée sur le territoire de la Communauté de communes Marenne Adour Côte Sud (MACS), composée de 23 communes, qui fait face à des enjeux liés à l’étalement urbain, aux risques naturels (inondations, feux de forêt) et à la nécessité de préserver sa riche biodiversité. La communauté de communes souhaite tendre vers une sobriété foncière en intégrant des approches durables : lutte contre la surchauffe urbaine, désimperméabilisation des sols, plantation d’arbres et création d’une "ville éponge" pour gérer les eaux pluviales. Une meilleure connaissance des sols et de leurs fonctions écologiques est cruciale pour guider les décisions d’aménagement.
La méthodologie MUSE analyse les fonctions écologiques des sols selon quatre axes : réservoir de carbone, régulation du cycle de l’eau, réservoir de biodiversité et production de biomasse. Cette approche se décline en zones rurales et urbaines. En milieu rural, les sols sont évalués à partir d’indicateurs issus du Référentiel régional pédologique (RRP), à une échelle de 1/250 000, pour la fonction régulation du cycle de l’eau et source de biomasse. Pour la détermination du stock de carbone et du potentiel de biodiversité, la méthode s’appuie, respectivement, sur un outil, ALDO, ou une base de données EcoBioSoil. En milieu urbain, les données sont plus rares, la méthode s’appuie donc sur l’hypothèse liant la profondeur des sols et la hauteur de la végétation, pour en traduire une capacité fonctionnelle.
Ce projet a mis en lumière, sommairement, la dualité des sols du territoire : des sols au sud, proches de l’Adour, présentant un fort potentiel agronomique, mais leur infiltrabilité est inversement proportionnelle à ce potentiel, la situation est inverse sur les sols proches du littoral.
Le projet CartoMUSE vise à opérationnaliser cette méthodologie via une cartographie accessible sur le portail en ligne, Géoportail, prévue dans un an.
Les échanges qui ont suivi la présentation ont permis d’évoquer la méthodologie TypTerres qui cherche à traduire les données sur les sols en termes de propriétés agronomiques afin de proposer des cultures adaptées à leurs caractéristiques. Cependant, cette approche reste limitée à certaines régions. En Nouvelle-Aquitaine, la méthodologie Typterres est en cours de déploiement sur les départements 17, 24 et 33 (Projet porté par la Chambre régionale d’agriculture Nouvelle-Aquitaine en collaboration avec Bordeaux Sciences Agro)
Il a également été précisé que les diagnostics doivent intégrer les habitudes des agriculteurs et les aspects sociaux pour surmonter les résistances locales. Par exemple, dans les Landes, l’idée répandue que tous les sols sont idéaux pour la culture du maïs nécessite une analyse plus nuancée. Enfin, il est essentiel de sensibiliser les aménageurs à la multifonctionnalité des sols : certaines fonctionnalités spécifiques (ex. : biodiversité) peuvent être sous-estimées dans une approche simpliste, ce qui pourrait biaiser les décisions d’aménagement.
Utilisation des sols comme outil de compréhension dans le contexte rural
Laurent Rigou et Geneviève Rigou – ASUP Sols et urbanisme
Les territoires ruraux qui représentent 88 % des communes françaises mais seulement 33 % de la population, se caractérisent par la prédominance des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF). Ces territoires, souvent perçus de manière schématique en termes de sols, nécessitent une meilleure prise en compte de leur diversité et de leurs usages pour répondre aux défis contemporains, notamment en matière d’aménagement, d’agriculture et de gestion patrimoniale.
Les représentations des sols diffèrent selon les acteurs :
- Pédologues : vision tridimensionnelle intégrant surface, profondeur et temporalité (pédogenèse).
- Agriculteurs : approche fonctionnelle basée sur la biomasse, les rotations culturales et le comportement des sols (ex. infiltration d’eau, humidité).
- Administrations : perspective réglementaire liée à l’urbanisme et à la consommation de l’espace.
- Propriétaires fonciers : les sols comme patrimoine économique, objet d’épargne ou de transmission.
- Élus locaux : rôle central dans l’arbitrage des usages des sols, en équilibrant leurs différentes fonctions (agricoles, sociales, environnementales).
Des études archéologiques montrent que l’utilisation des sols dans les territoires ruraux est historiquement rationnelle. Par exemple, dans le Gers, l’organisation agricole reflète le "continuum pédologique", où chaque type de sol est mobilisé selon ses fonctions spécifiques. De même, dans les causses, les sols calcaires superficiels sont dédiés au pâturage, tandis que les sols plus épais servent à la culture céréalière.
Le croisement des connaissances scientifiques et empiriques est déterminant. Lors d’une expérimentation avec l’université de Caen et l’Inrae sur une aire de captage AEP, les agriculteurs ont été invités à venir enrichir les diagnostics pédologiques. De par leur expérience, ils identifient les spécificités locales des sols, telles que leur comportement face aux intempéries. Ces échanges favorisent une compréhension fine des sols. A la suite de la présentation, un témoignage a mis en avant que les agriculteurs sont parfois réticents à partager ces connaissances, notamment dans le cadre de projets d’urbanisme.
Deux obstacles majeurs limitent la gestion des sols en territoires ruraux :
- Coût élevé des études pédologiques, qui sont souvent inaccessibles à ces territoires aux ressources limitées.
- Manque de compétences techniques pour produire des cartographies précises des sols.
Parmi les outils disponibles, le diagnostic agricole et forestier reste sous-utilisé. Il permet pourtant d’analyser le fonctionnement des ENAF à des échelles adaptées (ex. 1/5000 ou 1/7000) et de proposer des solutions conciliant les intérêts des différents acteurs.
Les échanges qui ont suivi la présentation ont mis en lumière qu’avec le changement climatique, il devient impératif d’adapter les cultures aux sols, renversant ainsi l’approche traditionnelle consistant à adapter les sols aux cultures. Cette transition exige une prise en compte multidisciplinaire des sols et de leurs fonctions, y compris leur rôle patrimonial, économique et social. Par exemple, les pressions liées à la réglementation ZAN (zéro artificialisation nette) et les tensions autour de la transmission des terres compliquent l’arbitrage des élus entre les usages agricoles et urbains.
Pour une gestion efficace et durable des sols, il est essentiel d’intégrer les connaissances scientifiques, les savoirs citoyens et les représentations locales. Les approches participatives, bien que parfois perçues comme non scientifiques, apportent une richesse documentaire et contextuelle précieuse. La multidisciplinarité et les échanges ouverts entre acteurs sont des leviers essentiels pour relever les défis liés à l’aménagement des territoires ruraux.
Session 2 : Intégration des sols dans les outils de l’aménagement - Retours d’expérience
Quali-ZAN : un outil opérationnel au service de la Zéro Artificialisation Nette
Quentin Vincent – Sol et Co
Le diagnostic pédologique donne une information à l’instant T, mais sur ce qui n’existe pas on se base sur le plan masse pour estimer les fonctions écologiques. Développé pour répondre, dans un premier temps, aux besoins de l’Établissement Public d’Aménagement (EPA) Marne, l'outil Quali’ZAN se concentre sur les échelles opérationnelles (notamment les ZAC) et évalue les pertes et gains de fonctions écologiques avant et après un projet d’aménagement.
- Diagnostic en amont : basé sur les caractéristiques agro-pédologiques actuelles, les milieux présents et des scénarios proposés (via le plan masse).
- Indicateurs : six finalités sont calculées à partir de plusieurs indicateurs, avec un niveau de fiabilité attaché en fonction des données disponibles. Par exemple, pour le stockage de carbone, des références comme l'outil ALDO (similaire à la méthode MUSE) sont utilisées.
L’outil d’analyse attribue un score qualitatif pour chaque finalité de "pas du tout favorable" à "extrêmement favorable", permettant une vision globale des impacts potentiels.
Cette démarche favorise une planification plus détaillée et contextualisée par rapport à des approches strictement globales, souvent limitée à la simple planification des pertes de fonctions écologiques.
Sols et documents de planification : retours d’expérience et mise en œuvre
Xavier Marié, Sol & Paysage
Face à la question de l'anthropisation des sols, à laquelle on se heurte en particulier dans le cadre de projets d'aménagement, il va être nécessaire de créer un cercle vertueux en connaissance de sols tout au long du processus de transformation des sols en lien avec l’urbanisation. L'objectif est de sensibiliser également les élus à l'importance fonctionnelle des sols, au-delà de leur valeur foncière.
Une étude de terrain menée à Ris-Orangis a permis de réaliser une cartographie détaillée des sols urbains, mettant en évidence des sols non imperméabilisés et parfois non modifiés par l'homme, ce qui va à l'encontre de la vision classique des sols urbains comme entièrement anthropisés (voir cartographie dans la présentation). Cette évaluation des fonctionnalités des sols a aidé à orienter les choix d’aménagement, notamment en soulignant la présence de sols multifonctionnels, comme ceux proches des stations de transport en commun.
Un des points clés est la réflexion sur la multifonctionnalité des sols, qui dépasse la simple évaluation d’un score. Il s'agit d'une approche dynamique, où les sols, même anthropisés, peuvent conserver des fonctionnalités écologiques et urbaines importantes. Par ailleurs, la question des arbitrages politiques dans l'urbanisme est soulevée, notamment concernant l'utilisation de sols multifonctionnels dans des zones de haute pression foncière. Ce point a été mis à nouveau en avant lors des échanges avec la salle.
Conclusion :
Catherine Léonard du Cerema a clôturé la journée en rappelant que les sols sont une ressource non renouvelable à l’échelle humaine, ils sont sous pression, et que cela renvoie à la validité de l’approche de compensation concernant cette ressource. Il est rappelé que des données et des ressources existent sur la connaissance des sols disponibles aux niveaux national et régional. Il existe un enjeu de capitalisation et de diffusion de la connaissance sur les sols qui renvoie aux moyens : des bureaux d’études de téléverser leurs données, rôle des maîtrises d’ouvrage publiques dans la collecte et la mise à disposition de leurs données, etc.
A l’échelle d’un projet d’aménagement, la précision des bases de données et le volume de données restent insuffisantes, des observations pédologiques (sondages et fosses) sont nécessaires. Des méthodes (MUSE, Quali-ZAN) existent, elles sont à affiner en fonction des territoires et des données disponibles, mais elles restent des outils d’aide à la décision et n’affranchissent pas de faire preuve de discernement dans l’usage des résultats.
En effet, un sol peut être identifié comme peu multifonctionnel et pour autant avoir une fonctionnalité importante en matière de biodiversité. Il faut prendre en compte les perceptions différentes du sol en fonction des territoires (ruraux/urbains) et des acteurs (agriculteurs, propriétaires fonciers...), des stratégies d’acteurs à décrypter, à contextualiser. Le volet sciences sociales n’est pas à négliger dans ces démarches : aspect culturel, terroir, expertise locale, vécu/ressenti des sols, regard sur les usages. Des changements de paradigme sont en cours : vers l’adaptation de la culture au sol et non plus du sol à la culture.