Cet article du Cerema a été initialement publié par notre partenaire TechniCité.
Les routes sont durement impactées par la sécheresse, qui provoque des dommages très significatifs pouvant constituer un danger pour les usagers, notamment via le phénomène de "retrait-gonflement des sols argileux", dit RGA. Ainsi, l’impact du changement climatique sur les routes va peser davantage en termes de coûts liés à l’entretien du réseau exposé.
L'impact du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux sur les chaussées
Les processus naturels de retrait et de gonflement sont une succession de variations de teneur en eau d’un sol argileux sous l’effet de sollicitations hydriques et cycliques influencées par les conditions météorologiques de sécheresse et de précipitations. Par ailleurs, le phénomène de RGA dépend de la nature minéralogique et de l’environnement proche dans lequel il se produit.
Un élément de sol saturé soumis dans un premier temps à un chemin de séchage (sécheresse) enregistre à la fois une déformation volumique dans le sens du retrait et une perte de masse liée à l’évaporation de l’eau présente dans le sol. Cette première phase dite de "retrait" est caractérisée par le rapprochement des grains solides et se poursuit jusqu’à la limite de retrait, à partir de laquelle le séchage se poursuit via l’évaporation. Sur ce chemin de séchage, la teneur en eau du sol diminue et inversement, la succion augmente et le sol devient non saturé à l’état final.
Sur un chemin d’humidification par infiltration d’eau (précipitations), le sol subit le phénomène de gonflement en deux phases :
- D’abord, la phase primaire, avec la migration ou la diffusion de l’eau dans le sol à partir de ses extrémités. Elle peut durer de quelques heures à plus d’un mois.
- Ensuite, la phase secondaire, liée à l’hydratation progressive des minéraux argileux et correspond à un processus de cinétique lente. Sur ce chemin d’humidification, la teneur en eau du sol augmente et inversement, la succion diminue et tend vers zéro lorsque le sol devient saturé à l’état final à la fin du cycle complet de séchage-humidification.
Le phénomène de RGA s’intensifie naturellement et durablement avec l’accentuation et le dérèglement des cycles de séchage-humidification qui, en se produisant d’une manière encore plus aléatoire, fragilisent davantage les propriétés hydromécaniques des sols argileux. De plus, les sécheresses plus longues et intenses engendreront une dessiccation plus profonde, estimée aujourd’hui aux deux premiers mètres proches de la surface exposée à l’évapotranspiration.
Ceci nécessitera une prise en charge plus lourde et plus coûteuse en termes de travaux de confortement. En fonction de la qualité de construction des ouvrages exposés et la configuration de leur environnement proche, cela peut en effet affecter des constructions épargnées dans le passé et induire des désordres conséquents.
L’augmentation de la fréquence et l’intensification des sécheresses, constatée plus particulièrement post-2015, aura pour conséquences l’augmentation de la vulnérabilité du bâti et un effet cumulatif des désordres.
Les routes construites sur des sols argileux sensibles au phénomène de RGA subissent l’impact de la sécheresse de différentes manières :
Pour comprendre comment le phénomène de RGA affecte les routes, le Cerema en collaboration avec le conseil départemental du Loir-et-Cher dont le patrimoine routier est particulièrement affecté, a instrumenté en 2009 trois portions de routes départementales "test" afin de suivre en continu les variations de succion du sol sous chaussées. L’instrumentation tensiométrique a été réalisée par implantation de quatorze sondes de type Watermark sur un demi-profil de chaussée à des profondeurs allant de 0,70 à 4 mètres. Les sondes sont connectées à une centrale d’acquisition permettant un suivi en continu des données.
Les résultats obtenus ont été présentés sous forme de cartographies en fonction du temps. Les mesures de succion du sol montrent que la dessiccation (jaune à rouge) s’amorce sous accotement, influencée par la succion des racines et l’évapotranspiration, puis se propage vers le centre de la chaussée qu’elle n’atteint pas, ce qui explique la localisation des fissures longitudinales le plus souvent proches des bords de chaussée. À noter que la "zone active" enregistre de fortes valeurs de succion à la date du 21 octobre 2009 (rouge). Une fois la sécheresse passée, la réhydratation du sol de fondation se fait progressivement jusqu’à la resaturation observée le 24 novembre 2009 (bleu).
Les routes ne sont pas assurées. La charge de leur entretien revient à l’État à travers leurs gestionnaires, les départements par exemple pour les routes départementales. Il devient ainsi urgent d’intégrer l’impact des sécheresses successives et intenses sur les routes dans une politique globale de résilience face au changement climatique pour s’orienter vers l’adaptation et l’atténuation de leurs vulnérabilités.
Un observatoire inédit
Les techniques classiques de réparation de chaussée ne sont pas adaptées pour faire face au phénomène RGA et son évolution dans le contexte du changement climatique. Les conséquences pour les gestionnaires sont ainsi importantes en termes de coûts d’entretien annuel avec un fort enjeu de sécurité des usagers, notamment les deux-roues.
Le Cerema, Institut Carnot Clim’adapt, mène depuis 2009 des travaux de recherche conséquents sur le phénomène de RGA et le développement de nouvelles solutions de remédiation pour adapter les routes au changement climatique. Depuis 2017, le Cerema, en partenariat avec les départements de la région Centre-Val de Loire, développe de nouvelles solutions d’adaptation pour réduire la vulnérabilité des routes exposées au phénomène de RGA dans le contexte du changement climatique. Ce multipartenariat inédit est nommé "Observatoire des routes sinistrées par la sécheresse" (ORSS).
En fonction de la partie confortée des éléments qui composent la route, les solutions d’adaptation expérimentées dans le cadre de l’Observatoire peuvent être classées en trois catégories :
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Catégorie 1 : agir sur la structure de chaussée afin de la renforcer pour reprendre la remontée de fissures ;
- Catégorie 2 : agir sur l’environnement proche de la route pour limiter les effets des facteurs amplificateurs de la dessiccation tels que l’évapotranspiration au niveau des accotements et l’influence racinaire de la végétation à proximité ;
- Catégorie 3 : agir directement sur le sol argileux via un traitement en profondeur pouvant atteindre 4 mètres pour réduire par des relations physico-chimiques sa sensibilité aux variations de teneur en eau et conserver un état hydrique équilibré.
De plus, une instrumentation avec des capteurs de succion accompagne la mise en place de ces solutions pour analyser et évaluer leur efficacité et leur durabilité pendant au moins quatre ans.
Une cartographie interactive en ligne recense l’ensemble des sites d’expérimentation ORSS et permet de suivre l’avancement du projet avec des informations régulièrement mises à jour : la catégorie de la solution, la localisation du site, les zones traitées, la date des travaux, etc.
Une fois les travaux de mise en œuvre d’une solution d’adaptation terminés, un protocole de suivi de l’expérimentation est systématiquement mis en place pour une durée d’au moins quatre ans.
Ce protocole inclut à ce stade :
L'ORSS en quelques chiffres
- 5 départements de la région Centre-Val de Loire partenaires : Cher, Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher et Loiret.
- Plus de 1,56 million d’euros investis dont 542 000 euros en études, 951 000 euros en travaux et 72 000 euros en instrumentation
- 8 sites d’expérimentation et 15 planches d’essais.
- 15 solutions testées dont 7 procédés innovants.
Cartographie ORSS en ligne :
Étanchéification des accotements
Les premiers renseignements des expérimentations les plus avancées montrent par exemple que l’étanchéification verticale (solution n° 4, catégorie 2) jusqu’à 2,5 m de profondeur dans un contexte localisé très dense en végétation en bordure de chaussée n’a pas suffi pour limiter l’action racinaire d’accentuation de la dessiccation pendant la sécheresse.
En revanche, l’étanchéification horizontale des accotements (solution n° 5, catégorie 2), avec géomembrane ou enduit de surface, montre des résultats très encourageants car après les sécheresses 2020, 2021 et 2022, aucun signe de fissuration ou de tassement différentiel n’a été observé.
La démarche ORSS vise à développer les nouvelles solutions d’adaptation économiques et durables pour limiter les vulnérabilités des routes exposées au RGA face aux effets du changement climatique et ainsi réduire les coûts des dommages pour les gestionnaires.
En parallèle à l’ORSS, l’intérêt à l’échelle nationale est de recenser les routes sinistrées par la sécheresse et les solutions d’adaptation expérimentées par les gestionnaires dans d’autres régions de France pour alimenter une nouvelle base de données, RGA-Routes. De fait, six autres directions territoriales du Cerema travaillent actuellement avec les départements pour étendre la démarche ORSS.
Par ailleurs, un groupe de travail interne nommé "Résilience des routes exposées au RGA et leur adaptation au changement climatique" a été lancé en commun les travaux en cours et en développement pour partager les retours d’expériences et coordonner l’action du Cerema en réponse aux gestionnaires en quête de nouvelles solutions pour la réduction des vulnérabilités de leur patrimoine routier exposé aux sécheresses, de plus en plus précoces, récurrentes et intenses sous l’effet du changement climatique.
L’objectif de l’Observatoire in fine est de produire un guide des nouvelles solutions d’adaptation pour conforter les routes sinistrées par la sécheresse. Cet ouvrage proposera le panel complet des solutions testées avec un bilan détaillé pour chaque procédé expérimenté.