Cette nouvelle expérimentation, inédite en France et en Europe, s’inscrit dans le cadre du projet ORSS "Observatoire des Routes Sinistrées par la Sécheresse" du Cerema.
Les départements, gestionnaires en charge de l’entretien des routes départementales, sont de plus en plus confrontés aux fissurations et dégradations liées à la sécheresse. En effet, les sols argileux très plastiques, sur lesquels sont construites ces routes, sont sensibles aux variations de teneur en eau au niveau des couches supérieures, fortement exposées aux conditions climatiques et aux facteurs de l'environnement proche.
Lors des périodes de sécheresse, cela entraîne sur les routes des désordres souvent matérialisés par des fissures longitudinales et des tassements différentiels proches des bords.
Les techniques classiques de réparation de chaussée n’étant pas adaptées au phénomène de Retrait et Gonflement des sols Argileux (RGA), les conséquences pour les gestionnaires sont ainsi importantes en termes de coûts d’entretien annuel. D’autre part, il y a un fort enjeu de sécurité des usagers, notamment les deux roues. Le Cerema mène depuis 2009 des travaux de recherche conséquents sur le phénomène de RGA et le développement des nouvelles solutions de remédiation pour adapter les routes au changement climatique.
La stabilisation chimique des sols argileux: le principe
Ainsi, dans le cadre de l’Observatoire des Routes Sinistrées par la Sécheresse (ORSS), le Cerema et le département du Loiret lancent une nouvelle expérimentation sur une portion de 400 m de la RD921. Il s’agit d’une solution de stabilisation des sols argileux sous la structure de chaussée par l’injection d’un produit composé d’eau, de potassium et de lignine (extrait de bois), développé par Keller France et appelé "RemediaClay®".
Les travaux de réalisation des planches d’essais et la pose de l’instrumentation tensiométrique sont prévus du 02 au 17 août 2021.
La stabilisation chimique des sols argileux sensibles au phénomène de retrait-gonflement est l'une des solutions de remédiation étudiée pour limiter les vulnérabilités des maisons et des routes exposées aux sécheresses. L'injection de solution ionique pour stabiliser la couche d'argile très plastique a été introduite pour la première fois par Blacklock et al. (1988). Depuis, de nombreux travaux de recherche ont utilisé divers agents chimiques par différentes méthodes d’application : (i) par saturation, (ii) par injection et (iii) par mélange.
Les agents stabilisants utilisés depuis peuvent être regroupés en 3 catégories (Petry and Little, 2002) :
- traditionnels, chaux et ciment,
- sous-produits, poussières de four à ciment/chaux et cendres volantes,
- non traditionnels, tels que les huiles sulfonées, les composés de potassium, les composés d'ammonium et de polymères, etc.
Les minéraux argileux présents dans le sol attirent les cations positifs en surface pour tenter de balancer la charge négative de l’argile. Le modèle de Güven (1992), cité dans Boisseleau et al. (2016), représente la particule d’argile, la surface négative de la particule argileuse avec des cations fixés et la double couche diffuse.
Quatre cations naturellement présents dans l’environnement sont connus pour avoir une énergie d’hydratation faible et un rayon faible. Il s’agit du potassium, de l’ammonium, du rubidium et du césium (Grim, 1968 et Norish, 1954). Mélangés avec de l’eau, le potassium et l’ammonium peuvent être utilisés pour modifier le comportement des argiles, sous les ouvrages existants endommagés, en réduisant leur sensibilité aux variations de teneur en eau dans le sol argileux. L’objectif est de limiter la vulnérabilité de ses ouvrages et les adapter aux effets du changement climatique.
Qu’est-ce que le RemediaClay® et comment est-il préparé sur le chantier ?
Parmi les nouvelles solutions de remédiation testées dans le cadre du projet ORSS, la stabilisation chimique des sols argileux par injection du RemdiaClay® est expérimentée in situ depuis le 9 août.. Le RemdiaClay® est une solution innovante développée par Keller France et brevetée sous la référence IPN : WO 2020/153974 A1. Elle est composée d’eau, de potassium et de Lignine (un composant du Bois).
La préparation de la solution finale à injecter se fait sur place grâce à une centrale de production spécialement adaptée par Keller France et installée sur le chantier. Les composants cités ci-dessus sont stockés séparément dans des cuves puis mélangés avec un dosage prédéfini et programmé via une table électronique. Le mélange ainsi obtenu est récupéré dans une autre cuve tampon pour être introduit dans un circuit hydraulique instrumenté avec des débitmètres.
Réalisaton des injections du RemediaClay® dans le sol argileux
Afin d’identifier les profondeurs à traiter, des essais de mécanique des sols ont été réalisés par le Cerema sur des prélèvements de sol sur la RD921, qui ont permis d’identifier des sols argileux de nature très plastique (indice de plasticité Ip > 40) jusqu’à 2,5 m de profondeur. Parmi les résultats de ces essais, l’amplitude moyenne de déformation de gonflement est d’environ 12% et l’amplitude de déformation de retrait est de l’ordre de 21%.
Les travaux d’injection du RemediaClay® sont réalisés par Keller France à l’aide d’une foreuse dotée d’un dispositif spécialement conçu pour cette expérimentation. Les injections sont appliquées dans le sol sous accotements suivant 2 ou 3 lignes à différentes profondeurs (1,5 m ; 2,0 m et 2,5 m). Ainsi, 3 planches d’essais de 385 m au total ont été définies :
- une première planche de 120 m confortée des deux côtés,
- une planche intermédiaire de 165 m non confortée (témoin), et
- une troisième planche de 100 m confortée d’un seul côté.
Y a-t-il un impact sur l’environnement et comment assurer le suivi de l’expérimentation ?
Avant de pouvoir réaliser cette expérimentation, des vérifications environnementales et sanitaires ont été effectuées sur le RemediaClay® par des laboratoires spécialisés et financées par Keller France. Une batterie de bioessais sur organismes terrestres et aquatiques a montré que le RemediaClay® est "non écotoxique", selon le protocole HP14. Le principe de la solution consiste à agir par des relations physico-chimiques sur la fraction argileuse très plastique des sols en place, pour les rendre moins sensibles à l’eau.
Il s'agit d'un premier test en France et en Europe pour conforter une route affectée par le RGA. Par conséquent, il faudrait à minima 3 périodes de sécheresse pour pouvoir analyser la durabilité du traitement et son impact environnemental en termes d'éventuels effets secondaires.
D’autre part, afin d’évaluer l’apport de cette solution, deux instrumentations tensiométriques seront mises en place par le Cerema et l’entreprise GreenCityZen. Il s’agit de sondes de succion implantées entre 0,5 et 2,5 m de profondeur permettant un suivi en continu et à distance.
Au total, 4 tranchées de 0,5 m de profondeur et 0,5 m de largeur ont été réalisées au niveau des accotements par le Département, afin de raccorder les sondes aux centrales d’acquisition au niveau de chaque instrumentation. Le suivi et l’interprétation des résultats sera assuré par le Cerema durant au moins 3 périodes de sécheresse, jusqu’en 2024 dans le cadre de l’ORSS.
En savoir plus :
Plusieurs médias ont consacré un article à cette opération: