L’objectif de la première journée était de partager les outils mis en œuvre et les observations mesurées par les différents acteurs au cours de la crise sanitaire, ce retour d’expérience partagé offrant des perspectives sur les pistes à privilégier à l’avenir. Ces journées d’échanges ont connu une bonne participation avec en moyenne 150 personnes connectées au webinaire par jour. Les présentations ont été appréciées par les participants, notamment le détail apporté sur les outils.
Les outils de connaissance existants : adaptés ou adaptables
Cette session était centrée sur la résilience des outils de mesure habituels de la mobilité lorsqu’un choc se produit sur l’écosystème de la mobilité. Le besoin de connaître rapidement et fréquemment les conséquences sur les pratiques ne cohabitent pas toujours aisément avec le besoin d’installer une connaissance à long terme, nécessaire pour définir et évaluer les politiques de mobilité.
Stop ou encore ? Confinement, couvre feux, faire une EMC² ou non ?
Christophe Hurez du Cerema a rappelé par exemple que les EMC² permettent de fournir une "photo" détaillée des pratiques de mobilité quotidienne des habitants d’un territoire tous les 10 ans environ afin de prendre des décisions en terme d’investissement d’infrastructures ou d’aménagement. De ce fait, il était donc préférable de les suspendre pendant les périodes de confinements.
Mais quid des mesures de couvre-feux ? Les EMC² antérieures à la crise ont permis de montrer que 20% des déplacements et une personne sur deux pouvaient être affectés par ces mesures. Dans la mesure du possible, les collectes ont donc été raccourcies (arrêtées avant confinement), ou décalées dans le temps (commencées après la levée des mesures de restriction).
L’utilisation des données de trafic ou de comptage comme mesure de la mobilité perturbée
A l’échelle d’une agglomération
Les données de comptages en continu ont permis par contre de mesurer l’amplitude du choc. Arnaud Saillet pour la métropole de Grenoble ou Nathan Owinski pour la métropole de Lille disposaient de ces données mais le besoin de "savoir vite" a modifié leur production afin d’augmenter leur fréquence de diffusion et a parfois élargi le champ de la connaissance (compléter les comptages routiers d’autres données, besoin de faire parler différents types de données ensemble). Se comparer à d’autres collectivités était difficile (tableau de bord propre à chacune quand il existait), trouver les bonnes périodes de comparaison également, tant les contextes pouvaient varier dans le temps et l’espace.
A présent, tout cet arsenal de mesure est questionné : en a-t-on toujours besoin ? Sous quelle forme ? A quelle fréquence ? Il s’avère qu’un outil fait pour mesurer le court terme, qui plus est dans un contexte "anormal", n’est pas nécessairement optimal pour mesurer les tendances de long terme, et ce, même lorsque la mesure est réalisée en continu (cf. intervention de la MEL) : par exemple, il faut intégrer les changement d’offre dans l’analyse des séries, également l’extension éventuelle du champ de mesure etc.
A l’échelle nationale
Côté Cerema, Christophe DAMAS a relaté comment le premier confinement a permis de fédérer des forces pour la construction d’un outil d’observation des trafics nationaux, et de certaines grandes métropoles, pour celles qui pouvaient fournir des données. Cet outil a permis de donner des ordres de grandeur de l’évolution du trafic, des éléments de référence grâce à un traitement homogène de la donnée. Il s’améliorera et se pérennisera dans l’outil AVATAR
Comment adapter une enquête en continu en temps de crise ? L’exemple d’Ile-de-France Mobilité
Enfin, Marie Arbouet pour Ile-de-France Mobilité, a présenté comment l’EGT en continu a dû être stoppée brutalement en mars 2020, tout comme les EMC², et comment une enquête allégée a été mis en place très rapidement avec des fréquences de mesure très rapprochées. Le but était de comprendre les effets du choc de la crise sanitaire sur la mobilité des franciliens, et de repérer le moment du retour à une certaine "stabilité" des comportements.
Malgré un questionnaire administré permettant d’estimer les indicateurs habituels de mobilité, il reste difficile de déduire les causes des changements observés : plusieurs facteurs sont entremêlés et la comparaison à l’enquête précédente demeure délicat sachant que le contexte des restrictions était souvent différent…
Il a fallu aussi adapter le questionnaire : comment mesurer facilement des concepts comme le télétravail -organisé ou non, désiré ou non-, très peu répandu avant la crise sanitaire par exemple ? Ile-de-France Mobilité a décidé de reprendre la collecte de l’EGT en 2023 avec des questions en suspens comme la pertinence du "jour moyen de semaine" dans un contexte de généralisation du télétravail pour une partie des actifs par exemple.
A la recherche de nouvelles données
Cette session met en valeur l’utilisation de nouvelles données pour appréhender la mobilité perturbée par les restrictions mises en place du fait de la pandémie. La donnée massive promet l’exhaustivité à toute heure et partout, tient-elle ses promesses au-delà de son utilisation dans le cadre exceptionnel qui était donné ? Massif aussi, l’outil OpenEMC² promet la mise en ligne illustrée de dizaines d’enquêtes ménage à l’horizon 2023 afin de partager au mieux cette donnée publique. Enfin, les nouvelles données, c’est aussi tout simplement de nouvelles enquêtes : l’enquête BaroMob livrera ses premiers résultats sur la situation de la mobilité post-covid.
Suivi des impacts des restrictions de mobilité dues au covid sur les mobilités
Mathieu Fernandez de la DGITM a présenté un retour sur la collecte de données dans le cadre de la mise en place d’un tableau de bord des mobilités pour le cabinet du ministre au moment du premier confinement. A cette occasion, ont été expérimentées d’autres méthodes de travail, d’autres types de données comme les données massives (agrégations de traces GPS, données billettiques, opérateurs de téléphonie mobile). Le besoin était d’avoir une vision assez macro de l’évolution de tous les modes de transport presque en temps réel (hebdomadaire).
Cet observatoire présentait des données assez hétérogènes dont il fallait réussir à faire la synthèse pour fournir une analyse pertinente. Au final, aujourd’hui un bilan est fait pour décider de continuer ou non à mettre à jour cet outil, pour qui et à quelle fréquence car il s’avère que ces données nécessitent malgré tout un effort de collecte et un coût non négligeables.
Utilisation des données d’opérateurs de téléphonie mobile pour la statistique publique
Lino Galiana et Marie-Pierre De Bellefon de l’INSEE ont présenté le contexte d’utilisation des données de téléphonie mobile par les services de l’Etat : depuis plusieurs années, le conseil national de l’information statistique demande à mieux estimer la population présente pour mieux calibrer les services à la population rendus par les acteurs locaux. Côté mobilité, ces données pourraient permettre de mieux comprendre les interactions entre territoires et les comportements quotidiens (ou saisonniers) des individus, vers leur lieu de travail et vers les centres de loisir via une estimation des déplacements.
Les premiers travaux réalisés sous l’égide d’Eurostat ont produit des résultats sur les forces et faiblesses de ces données avec des études des programmes et des articles mis à disposition de tous.
L’annonce du premier confinement a été très brutale. Le contexte particulier du Covid a permis à l’Insee de disposer de données agrégées plus récentes des trois opérateurs "gratuitement" fin d’évaluer les flux de population "déplacée" suite à cette annonce. Les délais de production et de diffusion ont été contraints, la disposition de seules données agrégées de chaque opérateur dont il n’est pas possible de décortiquer les traitements en a fait également une opération exceptionnelle pour l’Insee.
De plus, comme pour les expériences relatées précédemment, la situation de référence était compliquée à déterminer sur toute la période. Après expertise, il a été nécessaire a minima de rapprocher les données de téléphonie mobile du recensement de la population car ces données ne produisaient pas des estimations de populations résidentes cohérentes. Depuis, l’opération n’a pu être répétée car les modalités d’accès à ces données ont changé : la donnée agrégée est payante et le travail de recherche avec Orange sur des données plus détaillées est fortement ralenti par des questions juridiques d’accès aux données.
Flash Outils ! OpenEMC²
L’outil OpenEMC² (version bêta) est présenté par Margot Periard du Cerema. Cet outil permet de visualiser les résultats de l’exploitation standard d’une EMC², produite habituellement par le Cerema sous forme d’une centaine de tableaux, sous forme de cartes ou de graphiques. Il sera ouvert à tous et permettra de composer le zonage d’étude de son choix.
BaroMob post-covid : présentation de l'enquête et des premiers résultats
Cet outil de connaissance partenarial développé par le Cerema, l’université Gustave Eiffel, et l’Ademe a été initié à la suite du premier confinement, pour évaluer les différents effets produits sur la mobilité par le contexte de pandémie : la baisse de fréquentation des transports en commun, la mise en place du télétravail obligatoire sur le territoire, l’évolution des comportements d’achat via internet, et le coup d’arrêt porté aux déplacements longue distance. Le travail de conception de l’outil de collecte et la collecte elle-même ont été réalisés par l’IFOP.
BaroMob vise à connaître les nouveaux schémas d’organisation de la mobilité quotidienne (télétravail, pratiques d’activité de consommation via internet), et permet d’étudier la comparabilité avec des indicateurs existants. L’enquête s’est déroulée une fois toutes les restrictions levées (fin février 2022) hors vacances scolaires.
Barbara Christian a présenté les contraintes : couvrir l’ensemble du territoire (pas seulement les villes) et produire des résultats par typologie de territoire, construire des indicateurs comparables à ceux déjà existants dans la mesure du possible, essayer de mesurer des comportements avant/après. Puis le protocole de collecte de données en deux phases a été présenté : la première étant une enquête téléphonique auprès de 4000 personnes et la deuxième phase celle de l’enquête par internet auprès d’un millier de personnes issues des 4000 personnes de première phase.
Concernant la pratique du télétravail, ces données ont révélé une augmentation massive de la pratique du télétravail : de 3 à 23% entre 2017 et 2022 et il concerne tous les types de territoires, plus seulement l’Ile-de-France. Par contre, les cadres sont clairement surreprésentés dans cette sous population de salariés télétravailleurs. Encore trois quarts des salariés ne télétravaillent pas : 86% parce qu’ils ne peuvent pas. Le télétravail semble s’être organisé plutôt à la semaine dans trois quarts des cas, à raison de 2 jours par semaine, soit sur des jours fixes soit sur des jours variables. Les télétravailleurs déclarent presque deux fois plus souvent ne pas être sorti de chez eux du lundi au vendredi que les autres actifs, par contre ils sortent légèrement plus souvent le week-end.
Dans les centres-villes, ils détiennent un abonnement de transport en commun dans 36% des cas, soit deux fois plus que les autres actifs. Ils utilisent également moins fréquemment leur voiture surtout lorsque leur ménage n’en a qu’une seule. Parmi les télétravailleurs qui ont la même occupation principale en 2020 et 2022 et qui n’ont pas déménagé, 30% ont un abonnement de transport en 2020 et 25% en 2022 soit une légère baisse.
Fabrice Hasiak a pu exploiter les données mobilité récoltées sur une semaine sur un petit millier d’individus afin d’évaluer la multi-modalité pratiquée par les personnes. Cette analyse des déplacements à une échelle hebdomadaire révèle que si un jour de semaine en moyenne une personne mobile utilise 1,25 modes mécanisés différents, elle en utilise 1,91 sur la semaine. Seulement 6 à 11% de personnes utilisent au moins deux modes mécanisés sur un jour moyen contre 34% sur la semaine. Cette richesse de comportement révélée par Baromob pourra être étoffée avec de futures analyses.