20 décembre 2022
Deux cyclistes, dont un masqué, roulant sur la route, devant un commerce, des piétons sur le trottoir, on aperçoit une voiture - Le logo des JEMU en bas à droite
Les Journées d’Échanges sur la Mobilité Urbaine organisées par le Cerema en partenariat avec la Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau), se sont déroulées en distanciel, les 17 et 18 octobre 2022, avec une grande diversité d'acteurs du domaine (collectivités locales, agences d'urbanisme, services de l'État, bureaux d'études, laboratoires de recherche, opérateurs...).

Lors de la deuxième journée des Journées d'Echange sur la Mobilité Urbaine la fréquentation a été stable et se situait autour des 150 personnes connectées en moyenne. Les échanges ont été appréciés et riches.

Cette session est consacrée à un ensemble de travaux exploitant des données "historiques" d’une part, qui permettent de bien illustrer la décennie passée mais aussi de remettre les enjeux de la mobilité au sein du cadre plus global de la question climatique. L’après-midi a été l’occasion de présenter des travaux expérimentaux d’usage de nouvelles données dans un contexte hors restrictions de mobilité.

Comparer dans l’espace et dans le temps : la pertinence confirmée des "données historiques"

Mobilité des années 2010

Mathieu RABAUD a présenté l’ouvrage "Mobilité des années 2010", publié par le Cerema, retraçant la décennie passée. Certes le Covid 19 est passé par là mais on comprendra mieux les ruptures ou les accélérations de tendance dans le comportement de mobilité si la situation avant crise est bien posée.

C’est bien l’objet de cet ouvrage que le Cerema édite tous les 10 ans. Il montre aussi que certains phénomènes ont le temps d’apparaître…et de disparaître dans la même décennie, ou à quel point d’autres évoluent très lentement.

Frise de 2010 à 2020 présentant les événements marquant au niveau legislative/reglementaire, du contexte national et international, et des transports / mobilité ainsi que l'évolution du prix de l'essence et du diesel à la pompe

L’ouvrage aborde aussi bien l’évolution des outils de mesure de la mobilité, du cadre législatif qui régit les données ou la gouvernance des politiques de mobilité marquée en fin de décennie par la LOM, que les évolutions de l’offre de service ou de comportement des individus.

 

Emissions de CO2 relative aux déplacements domicile-travail

Corentin Trevien du SDES a présenté un outil d’estimation des émissions de CO2 des trajets domicile-travail, bâti à partir de sources statistiques et administratives : l’Enquête Mobilité des Personnes 2018-19 menée par le Ministère de la Transition Ecologique tous les 10 ans, le répertoire statistique des immatriculations enrichi des données du fichier des contrôles techniques, du répertoire des entreprises et le recensement de l’Insee.

Ces sources permettent d’estimer d’une part les émissions globales de CO2 "du réservoir à la roue" du parc automobile en circulation en moyenne annuelle à la commune, et d’autre part les émissions liées aux déplacements domicile-travail. Les méthodes d’estimation sont détaillées et il est précisé que côté domicile-travail, si l’EMP et le recensement font bien référence à la situation avant Covid, la prise en compte de la fréquence du télétravail est basée sur l’enquête Emploi de 2021. Les émissions dues aux véhicule électriques ne sont pas nulles. La méthode est mise en œuvre au travers d’un kit que pourront utiliser l’Insee et les DREAL à un niveau local.

Les premières études seront diffusées en 2023. Cet outil sera surement très utile aux collectivités pour évaluer les enjeux en terme d’émissions sur leur territoire. A ce jour, la diffusion de cet outil ne sera faite que vers les DREAL et l’Insee.

Flash Outils ! Le Mobiliscope…le retour !

Visualisation tableau de bord Lyon du mobilscope
Visualisation du tableau de bord de la ville de Lyon sur le Mobiliscope

Julie Vallée et Aurélie Douet ont évoqué ensuite le Mobiliscope, un outil qui permet d’analyser la population présente "à toute heure" dans une ville selon différents critères. C’est un outil libre qui ne peut être rediffusé qu’en libre.

 

Le Mobiliscope

 

Depuis 2019, le Mobiliscope intègre désormais plus de 50 villes françaises, 6 villes du Québec et 3 villes d’Amérique Latine. Le fait de résider dans un QPV ou pas et la composition des ménages s’ajoutent aux nombreux indicateurs déjà présents selon lesquels on peut mesurer l’homogénéité de la population présente à différents moments de la journée. Les tableaux de données peuvent être téléchargés.

A l’avenir, le Mobiliscope continuera d’intégrer les villes françaises ayant réalisé des EMC² mais aussi les enquêtes d’Ile de France Mobilités réalisées pendant la crise sanitaire ainsi que les zonages d’étude qui permettent de travailler sur la ville. Néanmoins, ces évolutions ne pourront se faire que si l’outil trouve des financeurs : son maintien et son développement dans le temps n’est pour l’instant pas assuré à court terme.

Les télétravailleurs avant le Covid : des personnes mobiles comme les autres ?

Fabrice Hasiak a présenté une étude réalisée par le Cerema à partir de la base unifiée des EMD-EMC² (enquête réalisées entre 2011 et 2019) pour mieux connaître les télétravailleurs et leur mobilité avant la crise sanitaire.  Rappelons qu’avant cette date, le télétravail était très rare : en 2019, un jour moyen de semaine seulement 1% des actifs étaient en télétravail chez eux sur le champ de cette étude qui ne contient pas l’Ile de France, notons-le.

Cette étude permet de mesurer la mobilité des télétravailleurs lorsqu’ils sont en télétravail d’une part, et lorsqu’ils se déplacent vers leur lieu de travail d’autre part. Avant le Covid, les télétravailleurs parcouraient en moyenne deux fois plus de km que les actifs non télétravailleurs pour se rendre sur leur lieu de travail soit 29km en moyenne. Les jours de télétravail, 23% ne sortent pas du tout de chez eux contre 4,5% pour les autres actifs.

Par contre, les jours où ils se rendent au bureau, ce taux baisse à 1,6%. Si le télétravailleur à domicile passe moins de temps à se déplacer et parcourt moins de distance le jour télétravaillé, il continue d’utiliser la voiture dans 56% des cas pour ses déplacements, même si la part de la marche est deux fois plus importante pour eux que pour les autres actifs (actif au lieu de travail télétravailleur ou non). Sur le champ des villes des EMD-EMC², si le télétravail un jour moyen de semaine devait s’établir à 5% (contre 1% avant covid), alors on peut espérer une chute de 3 points des km parcourus en voiture, modulo des hypothèses de comportement stable des télétravailleurs et des autres actifs. A vérifier avec BaroMob et les nouvelles EMC² !

Impact des mobilités sur le télétravail en Ile-de-France

Olivier Richard de l’APUR a fait un travail similaire sur l’Ile de France seulement à partir des données du recensement, de l’EGT et de l’enquête Sumer de la Dares (2019) afin d’estimer l’impact du télétravail selon 3 scenarios sur le nombre de déplacements effectués.

Notons que dans cette région la part des cadres est plus importante qu’ailleurs en France, et que ces derniers sont la majorité des télétravailleurs. Les cadres prennent les transports en commun pour aller travailler dans 37% des cas. Dans le scenario le plus optimiste, 11% des déplacements seraient évités par le télétravail dont trois quarts sont des déplacements qui auraient été effectués par les cadres, et plus de la moitié en transport en commun.
Cette analyse est enrichie d’une analyse sur l’éventuelle mobilité résidentielle qui pourrait être générée par ce télétravail massif. Les premières analyses montrent que les franciliens sont plutôt restés dans la région. Si ce changement de résidence se manifeste par un desserrement vers la grande couronne, l’effet rebond sur la distance parcourue en voiture n’est pas négligeable. Il reste donc important de bien organiser le rabattement vers les gares.

De nouvelles sources de données sont actuellement explorées par l’APUR pour estimer l’augmentation du temps passé chez soi comme l’étude fine des compteurs d’eau (pour l’instant possible uniquement sur Paris).

Territorialiser et transversaliser les données de mobilités pour mieux planifier l’aménagement des territoires. 

information multimodale en gareBenoît Gay a posé le cadre de la réflexion des données à mobiliser, pour quelles décisions et à quelle étape de la vie des projets. Tout d’abord, il faut mobiliser des données éclairantes pour établir un diagnostic. Il faut également que les élus puissent se saisir de données partagées avec les techniciens pour dessiner des orientations politiques de leurs projets.

Ensuite, la construction d’un plan d’action nécessitera d’établir des indicateurs qu’il faudra pouvoir mettre à jour et suivre dans le temps. Enfin, il faudra penser bien en amont du projet quelles données on mobilisera pour évaluer la politique publique. Du côté technique Olivier Schampion constate que les données peuvent être nombreuses, mais hétérogènes et parfois parcellaires. Pour donner du sens et faire parler ces données entre elles, la modélisation permet de synthétiser les données.

Bien utilisée, la modélisation permet aussi de convaincre, de prendre de la hauteur car la vision long terme est privilégiée. Cependant cet outil n’est pas maitrisé partout sur le territoire et comporte ses limites. Mais du côté des élus, la crise sanitaire a accentué le besoin d’avoir des données de connaissance de court terme mises à jour régulièrement, d’où la curiosité portée aux nouvelles données massives.

Ces dernières promettent fraicheur et "exhaustivité" tout en répondant peut être aussi aux objectifs de long terme, et peut être en étant moins chères... La question du prix et de la mise à disposition de données "expliquées" déjà retravaillées est une question pour les techniciens qui ont l’habitude de mieux maitriser la production des données sur lesquelles ils travaillent.

Mais des problèmes techniques se posent tout de même : pas de référence nationale à laquelle se comparer avec ces nouvelles données, des difficultés à interpréter les modes de transport, difficulté à raccrocher les flux de mobilité aux caractéristiques des personnes. Ce dernier point est important dans le cadre de l’élaboration de la politique publique car cette connaissance contribue à mieux identifier les publics, les leviers de la politique.

D’un territoire à l’autre, le besoin de données "sur mesure"

Cette session illustre les questions posées par Benoit Gay et Olivier Schampion : comment les nouveaux jeux de données peuvent-ils éclairer les différentes étapes de l’élaboration de la politique publique à différents niveaux ? Une réflexion ouverte sur les besoins de connaissance face aux grands enjeux clôturera cette dernière session.

 

Quel rôle pour les données massives de traces GPS de téléphonie mobile dans une réflexion territoriale en matière de mobilité ?

Retour d’expériences de l’Agence Scalen (Nancy) et de Marseille Métropole

Carte avec des punaisesJulien Gingembre et Camille Lalevée ont présenté le retour d’expérience de l’utilisation des traces GPS, issues d’applications smartphone très diverses (météo, presse, recherche d’hôtel etc.) et sont agrégées pour donner à voir les flux de déplacements sur un territoire donné. Le contexte d’utilisation de ces traces était une démarche initiée en 2021 de connaissance de la part modale du vélo sur le territoire du Sud Meurthe et Moselle, des pôles générateurs de déplacements et des axes routiers, le tout devant alimenter un observatoire dans le temps. A ce moment-là, les PLUi et Scot devaient aussi être révisés au moment où le tramway nancéen est en fin de vie.

La mise en place de ce système d’information, la production des résultats et la formation des techniciens à leur usage s’est étalée sur un peu plus d’un an pour disposer des livrables finaux. Cela a nécessité de nombreux échanges et d’autres types de données ont été utilisées pour fiabiliser les résultats. In fine, s’il est difficile de donner une photographie précise de l’usage des modes, ces données ont permis d’éclairer la question de la saisonnalité ou de fréquentions des espaces à des niveaux micro. Pour les intervenants, cet outil est donc bien complémentaire de l’EMC² mais ne peut pas à ce jour le remplacer.

Vincent Meyer de Marseille Métropole confirme la place de ces données dans l’écosystème de la connaissance de la mobilité. L’expérience marseillaise montre qu’il est bien nécessaire de définir le besoin en amont par rapport aux outils déjà disponibles. Beaucoup de types de données existent mais elles sont souvent propres à un seul mode ou pas assez précises à un niveau fin, et in fine peu de prestataires savent travailler ces données dans un but de connaissance de la mobilité.

Un important travail d’étalonnage a été mené pour essayer de mettre en avant les biais systématiques ou non observés dans ces données. Les écarts observés sont divers et il est nécessaire de les analyser localement et globalement. La conclusion de ce travail d’étalonnage montre que la robustesse de ce type de données de traces GPS peut être améliorée si on dispose d’autres données pour les caler, qu’ils s’agisse de comptages ou d’une EMC², et comment il peut améliorer certains indicateurs produits par ces données traditionnelles.

Analyser les dynamiques territoriales de mobilité avec des données de téléphonie mobile, le cas de la Région Grand Est

Mathieu Jacquot du Cerema a présenté une analyse des dynamiques territoriales de mobilité au niveau de la région Grand Est avec des données de téléphonie issues de deux opérateurs de téléphonie mobile (ou FMD). L’étude commandée par la Région doit permettre d’aider à identifier les bassins de mobilité que la région doit mettre en place suite à la mise en place de la LOM. Les données FMD sont produites pour alimenter l’outil "Bassin de déplacement" mis au point par le Cerema[1] et utilisé jusqu’à présent avec les EMC².

L’utilisation des FMD montre que les points de faiblesse de ces données sont l’estimation des flux transfrontaliers et la sous-estimation des flux intra-zone (petits déplacements). Cette situation est due à deux facteurs : d'une part les déplacements de courte durée ne sont pas pris en compte (moins de 15 min à 1 h 00 selon les cas), d'autre part la finesse de localisation des origines/destinations se fait à l'échelle des antennes, avec des problèmes de recouvrement entre antennes proches. Par contre, pour une description des flux entre EPCI de la région, la dynamique de formation des bassins et la photo finale produite est pertinente et intéressante. Le domaine de pertinence continuera d’être exploré par le Cerema à l’avenir pour des études ponctuelles.

 

Prospective sur les outils et les analyses à développer face enjeux sociaux et environnementaux de la régulation de la mobilité

Caroline Gallez, directrice de recherche à l’UGE, est intervenue pour conclure et synthétiser ces échanges. En repartant de l’historique de l’appareil de mesure de la mobilité en France, elle a replacé cet outil des enquêtes ménage dans un écosystème de production de donnée utile aux modèles de prévision dans la logique "predict and provide", rendant de fait cet outil très formaté. Néanmoins, elles ont permis de mettre au jour les grandes tendances de mobilité à l’œuvre dans notre pays depuis quelques décennies.

Les indicateurs mesurés permettent d’approcher les interactions sociales et spatiales dans le temps. Par exemple, durant ces quarante dernières années, on a pu mettre en évidence des constantes importantes : le nombre moyen de déplacement/jour est assez stable pendant que les distances parcourues explosent. Outre les impacts environnementaux de l’augmentation de ces distances, ces tendances doivent nous faire réfléchir sur la dépendance à la mobilité que créé un système de transport de plus en plus performant. Cette recherche de performance a des conséquences inégalitaires car l’accès à la vitesse et la possibilité de choisir sa mobilité n’est pas partagée dans la population surtout dans un contexte d’augmentation des coûts de carburant.

La capacité d’anticiper reposera sur notre capacité à continuer à documenter les situations sociales diverses et à coupler les données de mobilité avec d’autres sources. A ce jour, les nouvelles données restent assez pauvres pour outiller ce besoin d’anticipation à long terme.

Dans cette réflexion, il semble que la mobilité doive être analysée à différentes échelles :

  • Il faut mieux penser l’habitabilité des territoires afin de les rendre plus résilients par rapport à cette dépendance à la mobilité ; pour cela il faut que les EMC² étendent leur périmètre pour mieux comprendre les espaces en bordure de zones denses, et dégager quand c’est possible des multipolarités
  • A une échelle intermédiaire du côté de la planification, il faut développer une vision plus micro qui prend en compte l’accessibilité à l’échelle des bassins de vie
  • Il faut aussi mieux les lier les analyses de mobilité résidentielle, qui conditionne fortement ensuite la mobilité quotidienne, face au besoin d’accès à l’emploi.
  • A l’échelle individuelle, il faut mieux identifier les groupes sociaux et les caractériser finement : lorsque l’immobilité vs l’hypermobilité est mise en évidence, il faut toujours se demander si ce comportement est subi ou choisi. Par exemple, les hyper mobiles sont aussi des femmes de ménage qui doivent travailler à différents endroits dans la journée et qui habitent souvent loin de ces lieux ; a contrario les immobiles sont aussi aujourd’hui le cadre en télétravail parce qu’il peut pratiquer le télétravail dans de bonnes conditions et par ailleurs a un accès à pas mal de service s’il le désire car il habite le centre-ville ou peut le gagner très facilement.

Ces réflexions à mener doivent par exemple être prises en compte dans la mise en place des ZFE-m mais aussi beaucoup plus largement pour repenser l’aménagement du territoire de demain adapté aux enjeux climatiques et sociaux.

Stéphane Chanut, responsable du domaine "Mobilité" au Cerema, a conclu cette journée en remerciant l’ensemble des intervenants et des participants pour ces deux journées intenses de partage d’expérience, de débats et d’analyse malgré la mise en place du distanciel. Ces discussions ont montré que la connaissance de la mobilité ne se résume pas à l’existence de mesures ou de données mais qu’il est indispensable de les faire parler, les confronter et de les choisir pour leur domaine de pertinence démontré. Ces journées auront également confirmé l’apprentissage en œuvre sur la mesure de la mobilité en situation perturbée mais mesure également l’importance du temps long dans l’analyse de la mobilité, et sa prise en compte pour bâtir des politiques publiques adaptés aux futurs enjeux.

 


[1] Bassins de déplacement : http://mappemonde.mgm.fr/118gv7/

Retrouvez les actes de la journée du 17 octobre