Le Cerema, Institut Carnot Clim'adapt, œuvre et mobilise les acteurs socio-économiques concernés pour développer les nouvelles solutions de remédiation pour la réduction des vulnérabilités du bâti exposé au RGA et sa résilience face au changement climatique.
Impacts et exposition au RGA en France : chiffres clés
En France, le dernier recensement établi par le ministère en charge de l’écologie [1] fin juin 2021 fait état de plus de 10,4 millions de maisons individuelles potentiellement très exposées au phénomène de retrait et gonflement des sols argileux (RGA), dont près de la moitié bâtie après 1976. De plus, le nouveau zonage national montre que l’exposition forte ou moyenne au RGA concerne désormais 48 % des sols métropolitains. Ainsi, trois-quarts des communes ont plus de 50% des maisons exposées selon les derniers chiffres de la Mission Risques Naturels [2].
Sur la base des chiffres publiés en 2021 par la Caisse Centrale de Réassurance [3], le coût moyen estimé des dommages assurés représente pour la sécheresse au moins 50% du coût moyen global, comparée aux autres catastrophes naturelles, sur chaque année depuis 2018 et atteint près de 77% en 2020.
Les routes sont également durement impactées par la sécheresse à travers des dommages caractérisés le plus souvent par des fissures longitudinales proches des bords et des déformations très significatives constituant un danger pour la sécurité des usagers. L'impact du changement climatique sur les routes va peser de plus en plus en termes de dommages et de coûts liés à l'entretien du réseau exposé.
La Cour des comptes a publié le 10 mars 2022 son rapport sur "L’entretien des routes nationales et départementales" [4] en citant les travaux du Cerema en partenariat avec les départements de la région Centre-Val de Loire en faveur de la résilience des infrastructures à l’épreuve du changement climatique [5].
Processus de retrait et de gonflement dans les sols argileux
Les processus naturels de retrait et de gonflement sont une succession de variations de teneur en eau d’un sol argileux sous l’effet de sollicitions hydriques et cycliques influencées par les conditions météorologiques de sécheresse et de précipitations. Par ailleurs, le phénomène de RGA dépend de la nature minéralogique du sol argileux et l’environnement proche dans lequel il se produit.
Pour comprendre comment se traduisent les processus de retrait et de gonflement d’un sol argileux, la figure 1 montre l’évolution de l’état d’un élément de sol idéalisé soumis à un cycle complet de séchage-humidification.
Sur la figure 1, un élément de sol saturé soumis dans un premier temps à un chemin de séchage (sécheresse) enregistre à la fois une déformation volumique (flèches rouges) dans le sens du retrait et une perte de masse liée l’évaporation de l’eau présente dans le sol. Cette première phase dite de "retrait" est caractérisée par le rapprochement des grains solides et se poursuit jusqu’à la limite de retrait notée wSL, à partir de laquelle le séchage se poursuit via l’évaporation.
Sur ce chemin de séchage, la teneur en eau du sol diminue et inversement, la succion augmente et le sol devient non saturé à l’état final. A noter que les cinétiques du retrait et du séchage dépendent, entre autres, des conditions hydriques du milieu. En effet, Ighil Ameur et Hattab (2019) ont observé des vitesses de retrait plus rapides à forte succion imposée à un échantillon de kaolinite initialement saturé. La succion du sol, pouvant être influencée par les conditions météorologiques et celles de l’environnement proche, est susceptible d’affecter la cinétique du retrait sous l’effet de la sécheresse.
Sur la figure 1, sur chemin d’humidification par infiltration d’eau (précipitations), le sol subi le phénomène de gonflement en deux phases (Reiffsteck, 1999) :
- la phase primaire, avec la migration ou de diffusion de l’eau dans le sol à partir de ses extrémités. Elle est plus ou moins longue suivant la nature du sol, son état de saturation selon le mode d’imbibition et l’état des contraintes. Elle peut durer de quelques heures à plus d’un mois.
- la phase secondaire, liée à l’hydratation progressive des minéraux argileux et correspond à un processus de cinétique lente. Sur ce chemin d’humidification, la teneur en eau du sol augmente et inversement, la succion diminue et tend vers zéro lorsque le sol devient saturé à l’état final à la fin du cycle complet de séchage-humidification.
Évolution du phénomène RGA sous l’effet du changement climatique
La question de l’impact du changement climatique sur la sinistralité sécheresse et le phénomène de RGA a été anticipée il y a quelques années à travers des études prospectives et des modélisations sous différents angles (climatique, assurantiel et phénoménologique). Plat et al. (2009) ont étudié ce sujet dans le cadre du Groupe de Travail Risques Naturels, Assurances et Changement Climatique en soulevant les quelques questions suivantes :
- le phénomène de RGA va-t-il s’intensifier ? Affectera-t-il les constructions jusque-là épargnées ? Engendrera-t-il des désordres plus conséquents sur les maisons sinistrées ?
- Y aura-t-il une modification de l’extension géographique affectée par le RGA ?
- Quel sera l’impact de l’augmentation de la fréquence des sécheresses sur les désordres occasionnés ?
Le phénomène de RGA s’intensifie naturellement et durablement avec l’accentuation des cycles de séchage-humidification qui, en se produisant d’une manière encore plus aléatoire, fragilisent davantage les propriétés hydromécaniques des sols argileux.
De plus, les sécheresses plus longues et intenses engendreront une dessiccation plus profonde, estimée aujourd’hui aux deux premiers mètres proches de la surface exposée à l’évapotranspiration. Ceci nécessitera une prise en charge plus lourde et plus coûteuse en termes de travaux de confortement. En fonction de la qualité de construction des ouvrages exposés et la configuration de leur environnement proche, cela peut en effet affecter des constructions épargnées dans le passé et induire des désordres conséquents.
L’augmentation de la fréquence des sécheresses extrêmes constatée ces six dernières années aura pour conséquences, l’augmentation de la vulnérabilité du bâti et un effet cumulatif des désordres. Ainsi, ces désordres cumulés nécessiteront alors des travaux lourds et coûteux.
Pour les dégâts sécheresse indemnisés par les assureurs, la nouvelle projection de la Fédération Française de l’Assurance aboutit au triplement de la charge moyenne annuelle (13,8 MD€ entre 1989 et 2019) à hauteur de 43 MD€ et estime à 17,2 MD€ la part de l’effet du changement climatique à horizon 2050 [6].
Impacts sociologique et psychologique du RGA sur les sinistrés (cas de l’habitat individuel)
Si le phénomène de RGA est étudié et documenté en France depuis plusieurs années, il y a encore une méconnaissance des sinistrés et des acteurs locaux sur l'impact de la sécheresse et du RGA sur le bâti et les dispositions constructives pour s'en prémunir. Les sinistrés se sentent ainsi bien souvent démunis face aux coûts des travaux et à l’impact psychologique que peut induire la dégradation de leurs habitations. De plus, sans accompagnement, les sinistrés méconnaissent les procédures d’indemnisation en cas de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle (cat-nat) et les aides exceptionnelles auxquelles ils pourraient être éligibles en l’absence de reconnaissance cat-nat.
Prenons l’exemple de la commune de Cour-Cheverny dans le Loir-et-Cher qui n’a toujours pas été reconnue cat-nat sécheresse et ce depuis 2015. Paradoxalement, la commune compte plus de 96% de maisons fortement ou moyennement exposées au RGA. Avec des fissures béantes, ouvertes de quelques centimètres et qui s’aggravent de sécheresse en sécheresse, le maire et ses administrés sinistrés sont dans l’incompréhension quant à la non reconnaissance cat-nat de leur commune [7].
Les sinistrés, parfois regroupés en collectifs ou faisant appel à des associations, expriment leur inquiétude face à chacune des situations qu’ils vivent désormais au quotidien avec parfois des situations critiques, comme perdre son travail de garde d’enfants en raison des fissures importantes et visibles dans son lieu de travail (sa maison) ou encore aller au travail en craignant que la structure fissurée du garage automobile s’effondre sur les employés. Il est donc important de considérer les impacts sociologique et psychologique, imputables aux conséquences de la sécheresse et au phénomène de RGA sur le bâti, dans la réponse globale et la gestion de ce phénomène par les pouvoirs publics et les acteurs socio-économiques concernés.
Solutions d’adaptation au changement climatique
1. Actions de prévention, information et sensibilisation :
Les professionnels de la construction ne sont pas toujours suffisamment informés et formés sur le phénomène de RGA, sa bonne caractérisation et les bonnes pratiques constructives pour la prévention des dommages sécheresse. Ainsi, pour toute nouvelle construction de maison, la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP) a publié en novembre 2021 une plaquette de communication à destination du public sur la nouvelle réglementation (art. 68 de la loi ELAN et ses trois arrêtés d'application) et les bonnes pratiques pour construire en terrain argileux sensible au phénomène de RGA [8]. A noter que les bonnes pratiques citées dans cette plaquette, pour limiter l'impact de l'environnement proche, sont également à considérer pour le bâti existant exposé au RGA.
Pour une gestion et une diffusion efficientes de l’information et de conseil sur la sécheresse et le phénomène de RGA, il convient de coordonner les services en charge des risques naturels dans les collectivités et les services de l’Etat à l’échelle locale afin de mieux renseigner et orienter les habitants qui en sont demandeurs. Par ailleurs, il est recommandé de sensibiliser les propriétaires de maisons vulnérables (construites en zones d’exposition RGA forte ou moyenne) pour prendre les dispositions nécessaires afin de limiter l’impact des facteurs de l’environnement proche de la maison pour réduire sa vulnérabilité face au RGA.
2. Solution MACH - MAison Confortée par Humidification :
Dans la perspective de développer de nouvelles solutions de remédiation, alternatives aux techniques de réparation classiques, le Cerema a expérimenté à l’échelle d’une maison test sinistrée, entre fin 2016 et fin 2020, une solution innovante nommée MACH [9].
Le principe de la solution MACH vise à maintenir un état hydrique équilibré au niveau du sol de fondation pendant les périodes de sécheresse. Cela consiste à réhydrater le sol de fondation durant la sécheresse par les eaux de pluie, préalablement récupérées et stockées pendant la période humide.
Il s’agit d’une solution résiliente et d’adaptation au changement climatique permettant de stabiliser les dommages existants (de faible ampleur) et empêcher la survenance de nouvelles fissures.
Les résultats observés durant les 4 années de sécheresses intenses de 2017 à 2020 sont satisfaisants tant en termes de stabilisation d’ouverture des fissures existantes que d’absence d’apparition de nouvelles fissures sur les façades confortées [10]. Cette solution est à la fois écologique, efficace, peu couteuse, et donc accessible à tous les sinistrés.
À titre indicatif, le procédé expérimental MACH a été mis en place pour un coût total de 15 k€ HT, soit un coût nettement inférieur à celui d’un confortement en sous-œuvre traditionnel. Cette technologie, actuellement testée en stabilisation post-sinistre, pourrait également être mise en œuvre en phase de prévention pour éviter la survenance de dommages des bâtiments exposés [11].
3. ORSS – Un observatoire inédit pour la résilience des infrastructures routières :
Les techniques classiques de réparation de chaussée n’étant pas adaptées au phénomène de RGA, les conséquences pour les gestionnaires sont ainsi importantes en termes de coûts d’entretien annuel. D’autre part, il y a un fort enjeu de sécurité des usagers. Le Cerema, en partenariat avec les départements de la région Centre-Val de Loire, développe de nouvelles solutions de remédiation pour limiter les vulnérabilités des routes affectées par le phénomène de RGA dans le contexte du changement climatique.
Ce multi-partenariat inédit est nommé ORSS, Observatoire des Routes Sinistrées par la Sécheresse [12]. ORSS à ce jour est un partenariat régional co-financé entre le Cerema et cinq départements (Cher, Indre, Indre-et-Loire, Loir-et-Cher et Loiret), 8 sites expérimentaux et 16 planches d’essais, 11 solutions de remédiation testées et au total 2,5 km de routes confortées. La contractualisation se fait indépendamment entre le Cerema et chacun des départements pour une durée de 5 ans.
En fonction de la partie confortée des éléments qui composent la route, les solutions de remédiation peuvent être classées en trois catégories :
- Catégorie 1 : elle consiste à agir sur la structure de chaussée afin de la renforcer pour reprendre la remontée de fissures [13] ;
- Catégorie 2 : elle consiste à agir sur l’environnement proche de la route pour limiter les effets des facteurs amplificateurs de la dessiccation tels que l’évapotranspiration au niveau des accotements et l’influence racinaire de la végétation à proximité [14] ;
- Catégorie 3 : elle consiste à agir directement sur le sol argileux via un traitement en profondeur pouvant atteindre 4,00 m pour réduire par des relations physico-chimiques sa sensibilité au RGA et conserver un état hydrique équilibré [15].
De plus, une instrumentation avec des capteurs de succion accompagne la mise en place de ces solutions pour analyser et évaluer leur efficacité et leur durabilité.
[1] SDES (2021) Nouveau zonage d'exposition au retrait-gonflement des argiles : plus de 10,4 millions de maisons individuelles potentiellement très exposées. Article web du ministère en charge de l’écologie en France.
[2] MRN (2022) Référentiels de résilience du bâti aux aléas naturels. Ouvrage web de la Mission Risques Naturels.
[3] CCR (2021) Actualité des événements cat nat : Retour sur les événements 2019-2020. Article web de la Caisse Centrale de Réassurance.
[4] Cour des comptes (2022) L’entretien des routes nationales et départementales. Rapport public thématique.
[5] Cerema (2022) Les Fiches "Résilience des infrastructures" : RGA. Fiche n°01 consacrée au phénomène de RGA et son impact sur les infrastructures routières.
[6] France Assureurs (2021) Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050. Rapport d’étude.
[7] France Télévisions (2020) Une commune ravagée par la sécheresse n'est toujours pas reconnue en état de catastrophe naturelle. Article web de France Info.
[8] DHUP (2021) Sols argileux, sécheresse et construction. Article web du ministère français en charge de l’écologie.
[9] Cerema (2019) Stabilisation du phénomène de retrait-gonflement des sols argileux sous les habitations : un système innovant par infiltration d’eau de pluie.
[10] Ighil Ameur (2021) Experimental analysis of shrinkage-swelling phenomenon of clays -application to an individual house affected by drought under climate change effects. ASCE EMI-PMC International Conference (virtual event), New York, USA.
[11] MRN (2021) La solution MACH : MAison Confortée par Humidification du Cerema. 9ème épisode des « Minutes de l’innovation cat-nat et climatique » de la MRN et de France Assureurs.
[12] Cerema (2020) Adapter les routes aux impacts du changement climatique : l'Observatoire des Routes Sinistrées par la Sécheresse.
[13] Cerema (2021) Route exposée au retrait-gonflement des sols : Evaluation d'une technique de confortement par pose de blocs de Compostyrène®.
[14] Cerema (2021) L'injection de résine expansive pour conforter les routes exposées aux sécheresses expérimentée par le Cerema et le département d'Indre-et-Loire.
[15] Cerema (2021) Le Cerema et le département du Loiret lancent une expérimentation avec le procédé RemediaClay® pour stabiliser les routes exposées à la sécheresse.
En savoir plus :
Cour des comptes (2022) Sols argileux et catastrophes naturelles : des dommages en forte progression, un régime de prévention et d'indemnisation inadapté. Communication au Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale: