Cette étude a notamment pour objectifs de réaliser un état des lieux des tarifications solidaires et d’élaborer des recommandations pour le déploiement de ce type de tarification dans les réseaux de transports collectifs urbains.
Quelques premiers résultats sont présentés ci-dessous, dans l’attente de la finalisation de l’étude complète.
Pour garantir une offre de mobilité aux populations défavorisées, les autorités organisatrices de la mobilité mettent en œuvre depuis longtemps des politiques tarifaires adaptées. La tarification des réseaux de transport collectif est ainsi utilisée comme un outil de politique sociale.
Ces tarifications dites "sociales" correspondent ainsi à l’octroi de réductions tarifaires ou de gratuités à des catégories de personnes considérées, a priori comme vulnérables. L’attribution de ces réductions accordées aux usagers se base le plus souvent sur des critères d’âge, de statut, mais également sous conditions de revenus.
Or, ces tarifications sociales peuvent générer deux types d’inégalités entre usagers :
- Certains critères peuvent intégrer des individus qui ne souffrent pas ou peu de contraintes financières ;
- Ils peuvent exclure également certains usagers qui, tout en répondant aux critères de revenus, ne répondant pas aux conditions de statuts, comme les travailleurs précaires par exemple.
Face à ces limites, et à la suite notamment des lois relatives à la solidarité et au renouvellement urbains ("loi SRU") et généralisant le revenu de solidarité active ("loi RSA"), qui ont incité à privilégier les avantages tarifaires sous conditions de revenus davantage qu’au statut, plusieurs réseaux de transports ont ainsi développé des tarifications dites "solidaires".
Basées sur les revenus et la composition de l’ensemble du foyer, elles permettent de mieux prendre en considération la capacité contributive des ménages. Les réductions tarifaires sont accordées par "palier" selon les revenus du foyer, et peuvent soit être basées sur le quotient familial (QF) des familles (dispositif de la CAF) ou reposer sur des dispositifs "ad hoc" en se fondant sur les niveaux de ressources fiscales des ménages hors QF CAF.
Les objectifs et méthode de l'étude Cerema - GART
En 2018, le Cerema et le GART ont lancé conjointement une étude sur la tarification solidaire des réseaux de transport public urbain. Elle a notamment pour objectifs de :
- Réaliser un état des lieux et mettre en exergue les "bonnes pratiques" de déploiement de tarifications solidaires :
- Recenser les pratiques de tarification solidaire mises en place par les autorités organisatrices de la mobilité, avec des retours d’expériences concrets ;
- Dresser un bilan qualitatif et quantitatif des tarifications solidaires déployées dans les réseaux de transport public, afin d’objectiver les effets de ces tarifications (évolution du nombre de titres vendus ou des recettes tarifaires, par exemple) et de mettre en évidence les difficultés de mise en œuvre de la tarification solidaire, de sa définition à sa gestion opérationnelle au quotidien ;
- Mettre à disposition une "boîte à outils" et élaborer des recommandations de manière à :
- Fournir de l’information et des retours d’expériences aux autorités organisatrices de la mobilité qui envisagent l’évolution de leurs gammes tarifaires vers une tarification solidaire;
- Permettre à ces AOM de disposer d’une "palette d’outils" pour l’élaboration de leur propre tarification solidaire, de la phase de définition à la gestion opérationnelle concrète ;
- Formuler des préconisations et recommandations pour la définition et la mise en œuvre d’une tarification solidaire.
Pour les besoins de l’étude partenariale, une définition précise de la tarification solidaire a été retenue par le Cerema et le GART, illustrée par les 3 critères présentés dans le schéma ci-dessous:
Partant de cette approche, 22 réseaux cumulant les trois critères de la tarification solidaire, telle que définie dans le cadre de l’étude, ont été retenus dans le recensement effectué en 2018, au moment du lancement de l’étude conjointe.
Deux phases complémentaires d’analyses ont été menées dans le cadre de cette étude conjointe Cerema-GART :
- Le Cerema a réalisé en 2018 des études de cas détaillées, sur la base d’entretiens auprès de quatre autorités organisatrices de la mobilité ayant mis en œuvre une tarification solidaire sur leur réseau de transport collectif, afin d’analyser les caractéristiques de ces tarifications, et d’en tirer un premier retour d’expériences : Grenoble, Quimper, Strasbourg et Voiron.
- En complément, une enquête Cerema-GART a été lancée, toujours en 2018, auprès de l’ensemble des 18 autres réseaux ayant mis en place une tarification solidaire. Les éléments recueillis par cette enquête permettront de compléter l’analyse produite dans les études de cas.
Quelques résultats issus des quatre études de cas sont présentés ci-dessous, dans l’attente de la finalisation de l’étude complète.
Premiers enseignements des études de cas
Contexte de mise en œuvre des tarifications solidaires
Il ressort de l’analyse des quatre réseaux de transport collectif étudiés que la mise en place d’une tarification solidaire ne vient pas palier une absence de tarification sociale.
Au contraire, les tarifications solidaires sont souvent instaurées par des réseaux qui possèdent déjà des tarifications sociales et commerciales développées. Cependant, la complexité de gestion de ces tarifications ou leur incapacité à intégrer certains profils d’usagers peuvent amener les AOM à se tourner vers la tarification solidaire, qui permet une meilleure prise en compte de la capacité à payer du ménage ainsi qu’une progressivité des niveaux de réduction.
L’impact de la mise en place d’une tarification solidaire sur la tarification sociale initiale est variable d’un réseau à l’autre. Si la mise en place de la tarification solidaire amène à la suppression d’autres tarifs "sociaux" (chèque-transport, tarification usagers non imposables…), les tarifications solidaires peuvent toutefois cohabiter avec d’autres formes de titres réduits (comme les titres familles).
Enfin, si la tarification solidaire n’a pas comme objectif d’accroître les recettes commerciales du réseau, les réseaux veillent cependant à en limiter l’impact financier. La mise en place de la tarification solidaire amène donc parfois à des évolutions des titres plein-tarif dans une logique de rééquilibrage des recettes commerciales entre catégories d’usagers.
Choix du type de Quotient familial (QF)
Les quatre tarifications solidaires étudiées comme pour la majorité des AOM déployant une tarification solidaire, sont basées sur le Quotient Familial (QF) calculé par la CAF [1].
Pour les quatre réseaux, le choix de ce QF semble s’être imposé de lui-même plutôt que de résulter d’une comparaison approfondie de différentes options.
Dans le cas du réseau de Voiron, le choix du QF de la CAF a été conditionné par la nécessaire concordance de la tarification du réseau urbain avec la tarification proposée sur le réseau du département de l’Isère (lequel avait fait le choix d’une tarification solidaire basée sur le QF de la CAF).
Plusieurs raisons peuvent guider l’utilisation des QF de la CAF, notamment :
- Une grande partie des bénéficiaires de la tarification solidaire sont allocataires de la CAF (80% dans le cas du réseau de Grenoble). Pour ces usagers, l’obtention de l’abonnement est alors relativement simple, l’attestation de QF délivrée par la CAF étant acceptée comme justificatif pour l’instruction du dossier. Cette démarche simplifiée permet aussi à l’AOM d’éviter une surcharge de travail de ses services instructeurs.
- L’aspect reconnu et externe de ce QF évite à l’AOM d’avoir à justifier son résultat par rapport à l’usager. Le réseau de Grenoble écrit explicitement dans son instruction (version de 2016) que le QF fourni mentionné sur l’attestation de ressources de la CAF ne peut être contesté par le demandeur auprès des services sociaux de la collectivité. Un calcul spécifique de QF n’est donc possible que pour les non allocataires.
En outre, le QF CAF peut être utilisé par d’autres services publics de la collectivité. Les ménages connaissent alors ce QF et ont l’habitude de le communiquer pour bénéficier de réductions pour l’accès à ces services publics.
Seuils et prix des tarifications solidaires étudiées
Chaque réseau définit les spécificités de sa tarification solidaire, en fonction des objectifs et de la population de son territoire, à partir des éléments suivants :
- Type de quotient familial (QF) utilisé ;
- Seuils de QF à mettre en place en fonction des populations ciblées ;
- Taux de réduction pratiqués ;
- Variété des titres rendus accessibles au travers de la tarification solidaire.
Les quatre tarifications solidaires étudiées sont basées sur le QF CAF pour lequel chacun des réseaux a défini des "tranches" de QF donnant droit à des taux de réduction plus ou moins importants. Ces tranches de QF sont en nombre variables d’un réseau à l’autre :
- 4 tranches de QF donnant droit à réduction dans le cas des réseaux de Quimper et Grenoble
- 3 tranches de QF donnant droit à réduction dans le cas des réseaux Strasbourg et Voiron.
Le QF "maximum" d’éligibilité à la tarification solidaire varie entre 661€ (Grenoble) et 810€ (Voiron).
L’analyse des tarifs montre que le réseau de Grenoble propose des tarifs solidaires plus bas que ceux de Quimper et Strasbourg pour un plein tarif plus important.
Impact de la tarification solidaire
L’analyse de l’impact de la tarification solidaire sur la fréquentation d’un réseau dépend fortement du positionnement de cette tarification vis-à-vis des anciens tarifs sociaux et/ou de la tarification commerciale. Le passage à la tarification solidaire peut néanmoins faire craindre une baisse de la fréquentation dans le cas des réseaux revenant sur un certain nombre de titres gratuits.
Cependant, pour l’ensemble des réseaux étudiés, aucune baisse significative de la fréquentation n’est observée les années suivant la mise en place d’une tarification solidaire :
- Certains réseaux ne connaissent pas de baisses visibles de leur fréquentation (Strasbourg, Voiron, Quimper) même lorsque la tarification solidaire s’est faite en revenant sur d’importantes tarifications gratuites (Strasbourg, Voiron) ;
- Lorsqu’une baisse de la fréquentation est observée (Grenoble), le nombre de voyages revient à son niveau initial l’année suivante.
Dans la plupart des cas, ces chiffres de fréquentation globaux masquent cependant une évolution des profils des usagers des réseaux de transports collectifs.
Les abonnés solidaires représentent, au sein des réseaux étudiés, un tiers (Grenoble, Quimper) à plus de la moitié (Strasbourg) des abonnés.
la suite
Le Cerema et le GART poursuivent l’analyse de l’enquête réalisée auprès de l’ensemble des réseaux ayant mis en œuvre une tarification solidaire. Les enseignements tirés de ce travail seront ainsi valorisés prochainement avec la publication d’un rapport conjoint.
En parallèle, et à l’initiative de la DGITM, des groupes de travail techniques seront organisés afin d’échanger à la fois sur les pratiques et les préconisations liées à la mise en œuvre de la tarification solidaire dans les réseaux de transports collectifs urbains. Ces ateliers permettront également de travailler avec différentes parties prenantes nationales (Caisse nationale des allocations familiales, Agence nationale de la cohésion des territoires, Direction générale des collectivités locales, …) et locales concernées par les dispositifs de tarification solidaire à des améliorations pour faciliter sa mise en œuvre et dépasser les limites et difficultés rencontrées par les réseaux précurseurs.
[1] En 2020, seules deux AOM utilisent des QF spécifiques : les réseaux d’Aurillac et de Rennes