Quelles valorisations territoriales des sédiments de dragage portuaires ? Retour sur la journée technique à Lorient

Vers une obligation des ports à étudier des alternatives à l’immersion
A l’échelle nationale, 30 millions de tonnes de sédiments marins sont dragués chaque année (matière sèche). 5 % des sédiments dragués sont concernés par un stockage (installation de stockage de déchets) ou une valorisation à terre, et 0,8 % de la quantité totale des sédiments dragués en France qui a été réutilisée après extraction au cours de l’année 2017. La principale filière de valorisation est le rechargement de plage.
Lorsque la qualité et les volumes le permettent, des solutions de remise en suspension ou d’immersion sont privilégiées. Elles sont alors encadrées par une autorisation préfectorale qui oblige les gestionnaires portuaires à évaluer la qualité physico-chimique des matériaux destinés à être dragués. Ainsi, des seuils de niveau de pollution N1, N2 et N3 relatifs aux teneurs en métaux lourds et polluants ont été définis par le ministère en charge de l’environnement afin d’orienter les voies de gestion des sédiments dragués.
La question de la durabilité de la pratique de dragage et d’immersion des sédiments - qui reste la voie de gestion largement dominante - est régulièrement questionnée en raison des conflits entre les usagers (ports, pécheurs, aquaculteurs, plaisanciers, touristes,…), de la saturation des zones d’immersion ou de la proximité des zones d’immersion avec des sites d’intérêt écologique (ex : site Natura 2000).
Par ailleurs, la valorisation à terre des sédiments est encouragée par divers textes de loi visant à économiser les ressources, à développer l’économie circulaire, source d’emplois et de cohérence sur les territoires et à minimiser l’impact des opérations d’immersion des sédiments dragués sur le milieu marin en lien avec la biodiversité marine et les activités (conchyliculture notamment).
Dans ce contexte, les gestionnaires portuaires sont amenés, en anticipation du renouvellement de leur autorisation de dragage et d‘immersion, à engager des réflexions et des recherches pour le développement de solutions de valorisation à terre des sédiments pouvant être considérés comme pollués. Le Cerema est investi sur la problématique globale de gestion des sédiments portuaires tant à l’échelle nationale sur les volets prévention des pollutions, suivi et optimisation des dragages qu’à l’échelle locale auprès des territoires sur le volet gestion post-dragage et opportunité de valorisation locale des gisements. Ce positionnement permet d’envisager des passerelles entre territoires et entre le local et national, afin de favoriser le partage d’expériences ainsi que l’évolution des pratiques.
La CTT co-organisée par le Cerema et Lorient agglomération en partenariat avec les régions Bretagne et Pays-de-la-Loire a eu pour objectifs :
La valorisation à terre des sédiments, une affaire d’économie circulaire et de coopérations territoriales

La valorisation à terre des sédiments de dragage correspond à une démarche d’économie circulaire qui croise la ressource disponible avec les besoins locaux. C’est une affaire de territoires car les choix de voies de valorisation à étudier/ expérimenter/ construire dépendent des projets politiques en cours, de la vision et des valeurs portés par les élus territoriaux. Elle nécessite du temps et de la coopération entre acteurs engagés sur le sujet et notamment une coopération territoriale pour mutualiser certains investissements et pour avancer collectivement vers des stades opérationnels.
La valorisation terrestre des sédiments de dragage s’inscrit à la croisée de plusieurs complexités et plusieurs enjeux pour les territoires : environnementaux, techniques, économiques (coût d’investissement de plateforme de ressuyage et de transit), réglementaires ; d’acceptabilité sociale en lien avec le statut de déchet pris par les sédiments une fois gérés à terre. Elle est conditionnée par le respect de l’innocuité sanitaire et environnementale, l’utilité de l’opération et des obligations de traçabilité.
2/ Un investissement financier initial à partager
La création de filières de valorisation est un processus au long cours qui nécessite plusieurs années (phase de R&D, expérimentation en laboratoire puis pilote pré-industriel...), qui est coûteux (constructions de plateformes expérimentales…) et incertain du point de vue de la rentabilité économique, les réflexions étant souvent lancées en avance de phase par rapport aux débouchés réels sur les territoires. Le coût global d’un projet de valorisation peut être conséquent au regard des différentes phases nécessaires pour avancer (caractérisation, expérimentations) et nécessite aussi de travailler à la recherche de financement (ex : ADEME, Fonds d’Investissement pour la mer…).
Les dynamiques à l’œuvre dans le grand Ouest
Le littoral de la façade Nord Atlantique Manche Ouest est caractérisé par une dynamique sédimentaire forte qui engendre un envasement ou ensablement important dans les ports, milieux favorables aux dépôts sédimentaires.
La problématique d’envasement ne se limite pas aux aménagements littoraux. Les ports fluviaux sont également soumis à un envasement important nécessitant la planification d’opérations de dragage régulières.

La CTT a permis de mettre en lumière de multiples démarches et réflexions engagées dans le grand Ouest sur le sujet. Ces réflexions se construisent à plusieurs échelles de collectivités : agglomération, département, région, port…. Elles concernent aussi bien des réflexions macro de long terme liées aux stratégies de gestion pluriannuelles des dragages (plan de Gestion Opérationnelle des Dragages (PGOD) de la rade de Lorient, schéma directeur des opérations de dragage des côtes d’Armor) que des essais ciblés de formulation associés à des expérimentations de valorisation échelle 1 – un gisement un/des usages (résultats du projet Eco-Béton de Sédiments Marins du port de Vannes ; résultats du projet suricate sur les sédiments de la Rance, sédiments du port de Morlaix communauté).
L’aménagement du polder de Brest est également un exemple réussi de valorisation des sédiments dragués.

Dans le contexte ligérien, le grand port maritime de Nantes-St Nazaire (GPMNSN) est un acteur économique majeur sur le sujet. Des réflexions exploratoires ont été engagées pour envisager la valorisation terrestre d’une partie des sédiments de dragage (environ 7 millions tonnes annuel) mais qui n’ont pas été développées plus avant faute de filières matures sur le territoire ligérien. Autre acteur ligérien incontournable, le syndicat mixte des ports de l’Atlantique, qui a également engagé une réflexion sur la mutualisation et l’optimisation de ses opérations de dragages.
Ces réflexions et acquisition de connaissance se construisent dans différents cadres : convention de R&D, appel à manifestation d’intérêt, partenariats ...
L’articulation des démarches aux différentes échelles territoriales et dans le temps ainsi que le partage régulier des résultats sont des enjeux clés pour réussir la construction d’un pôle de valorisation territoriale des sédiments.
Que manque-t-il aujourd’hui pour dépasser le stade de l’expérimentation ? Des constats aux idées pour la suite
"L’expérience à petite échelle marche toujours. On refait les mêmes expériences qu’il y a 10 ou 15 ans. Le plus dur est de passer à une échelle 1."
"Il y a une certaine maturité en sites pilotes. Mais un constat d’échec : les filières économiques n’ont pas encore été créées."
Une gouvernance à bonne échelle, associant tous les acteurs pertinents
- Une vision globale terre-mer : pour avoir une gestion à terre mutualisée, il faut aussi avoir un plan de gestion en mer des sédiments (PGOD)
- Une vision politique partagée sur le sujet
Des soutiens financiers sur des programmes de R&D qui intègrent les sciences sociales et humaines
- Nécessité de favoriser l’acceptabilité sociale en lien avec la démonstration de l’innocuité sanitaire et environnementale pour les différents usages
- Des programmes d’aides financières dédiés sur ce sujet
Une réglementation aidante
- Un cadre réglementaire plus clair, notamment sur la sortie du statut de déchet et l’accompagnement à l’expérimentation
Un mutualisation de gisement, de foncier, de moyens financiers
- Créer un modèle économique rentable et compétitif et une mutualisation des moyens
- Créer et mutualiser des centres de stockage et de prétraitement pour créer des stocks de matières qui pourront ensuite être utilisées
- Disposer de foncier pour traiter les sédiments ; une solidarité territoriale pour le foncier
- Gérer du volume et gérer le transport
- Marquage CE des matériaux constitutifs des bétons et produits routiers : comment gérer ce frein vis-à-vis de la réglementation ?
Une feuille de route "Grand Ouest" à construire : quels engagements de chacun pour constituer un pôle de valorisation territorial des sédiments dragués ?
"Il faut qu’on arrive à rassurer mais surtout qu’on arrive à valoriser. Tel est le sens de l’histoire."
"Il y a une aspiration forte de la société de faire des déchets un produit valorisé."
Les lignes bougent en lien avec les acteurs économiques qui s’approprient les gisements portuaires pour expérimenter des voies de valorisation. Ce ne sont plus seulement les acteurs publics qui portent le sujet. Pour autant il y a un vrai besoin d’accompagnement pour encadrer les expérimentations et harmoniser les exigences en terme de suivi des incidences des opérations de dragage sur le milieu et les usages, en terme de démonstration de l’innocuité sanitaire et environnementale pour les diverses voies de valorisation ou encore en terme de traçabilité des gisements une fois à terre.
Le Cerema s’est engagé auprès des territoires et en lien avec les services de l’état pour créer les conditions de filières économiques locales de valorisation au côté des acteurs économiques et académiques. En la matière, la question de la coopération territoriale est cruciale. Les acteurs privés, institutionnels, académiques ont tous leur place pour contribuer au développement de filières de valorisation. La gestion des sédiments de dragage demande de développer une vision intégrée du sujet.
Il y a nécessité d’articuler un ensemble de compétences pour organiser le montage de filières de valorisation :
- Techniques : caractérisation des gisement, traitement, formulation
- Réglementaires : rendre lisible et applicable une réglementation de plus en plus complexe à mettre en œuvre pour les collectivités et gestionnaires portuaires. Il y a un réel besoin d’accompagnement et de simplification des textes pour ce centrer sur des éléments.
- Sociales : qui, comment et à quel niveau associer les parties prenantes ? Comment construire une acceptabilité sociale pour l’usage d’un matériau qui prend le statut de "déchet" une fois sorti de l’eau ?
- Économiques : qui porte ce coût de créer des filières de valorisation entre acteur public et privé ? Quel niveau d’investissement et quel part de risque acceptable ?
La conférence a notamment fait émerger le souhait partagé de :