Luc Chrétien, chef de la division Biodiversité, eau et aménagement au Cerema, est intervenu le 15 octobre lors du congrès de l'association Hortis. Il a présenté une étude menée par le Cerema avec l'Etablissement Public Foncier de Lorraine, sur la prise en compte de la biodiversité et notamment des espèces protégées dans les friches, et le potentiel de ces espaces pour les mesures compensatoires.
Prendre en compte la biodiversité des friches
Objet foncier longtemps ignoré et peu considéré, la friche est actuellement l’objet d’un regain d’attention de la part de la société. L’évolution du regard porté sur cet espace résulte de plusieurs facteurs:
- D’une part, en termes d’urbanisme, la politique de la ville évolue dans le sens d’une moindre consommation des milieux agricoles et naturels. En ce sens, la friche constitue une opportunité de "construire la ville sur la ville". Elle devient un enjeu foncier.
- D’autre part, la prise de conscience écologique, notamment le constat de l’effondrement de la biodiversité et de la nécessité de préserver les continuités écologiques, modifie la perception de la friche, qui peut donc constituer en plus d’un enjeu foncier, un enjeu écologique.
En effet, la friche se caractérise par le temps long, qui bien souvent va permettre, au fil des dégradations des installations humaines anciennes et de la reconquête par la végétation, le développement parfois spectaculaire des espèces sauvages, qu’elles soient animales ou végétales.
Toutefois la friche ne redevient pas un milieu naturel : fortement marquée par les activités humaines, elle devient un milieu particulier, marqué par des conditions pédologiques et hydrologiques particulières, et par une pollution présente et très variable dans l’espace. Ces espaces sont à la fois fortement colonisés par les espèces exotiques envahissantes, porteurs de biodiversité "ordinaire", et bien souvent lieux de refuge d’espèces rares ou menacées.
L’Etablissement public foncier de Lorraine (EPFL), établissement public de l’État, a vocation à mettre en place des stratégies foncières, afin de mobiliser du foncier et de favoriser le développement durable et la lutte contre l’étalement urbain. L’activité de l’EPFL a amené cet établissement, dans le contexte de l’évolution des industries lorraines notamment, à prendre en charge de nombreuses friches, aussi bien dans le tissu urbain que dans des espaces plus ruraux.
Historiquement, le rapport de l’EPFL à la biodiversité a essentiellement consisté à "gérer la problématique" relative aux espèces protégées. En effet, la présence d’espèces protégées (espèces végétales, insectes, oiseaux, reptiles, amphibiens, mammifères dont chiroptères, …) peut avoir un fort impact sur la capacité à aménager un site et donc sur l’objet même de l’activité de l’EPFL.
Le code de l’environnement protège les spécimens des espèces protégées, mais aussi pour beaucoup d’espèces, leurs habitats de reproduction ou aires de repos. Il en résulte qu’un projet susceptible de porter atteinte à ces éléments, doit s’inscrire dans la séquence visant à "éviter, réduire, compenser" ces impacts, fortement cadrée par la loi.
Une étude du Cerema sur des friches gérées par l'EPFL
L’EPFL et le Cerema ont donc souhaité s’intéresser au rapport existant entre la gestion des friches, et la prise en compte de la biodiversité. Comment l’établissement aborde-t ’il la question ? Quel est le ressenti des charges d’affaires de l’EPFL face à cette problématique ? Quelles mesures peut-on préconiser pour aller vers une démarche proactive, avec pour ambition de faciliter l’aménagement des sites tout en préservant mieux l’environnement ?
Au travers de la visite et de l’étude approfondie d’une dizaine de sites gérés par l’EPFL, le Cerema émet dans le cadre de cette étude, des propositions d’actions et d’organisation : il s’agit en particulier d’anticiper la prise en compte de la biodiversité, par des diagnostics aussi précoces que possible, mais aussi par un zonage des espaces en cinq catégories qui permettra d’orienter les actions.
Il est par ailleurs nécessaire d’acculturer l’établissement avec la question de la biodiversité, en la matière il sera important de tirer parti des acquis de l’EPF du Nord-Pas-de-Calais.
Il est également nécessaire d’appréhender la question de la biodiversité dans le temps long, c’est-à-dire de tenir compte des dynamiques à l’œuvre ou en cours pour guider l’action. Il est à ce titre nécessaire de définir clairement des modalités d’actions pour la gestion temporaire des friches, notamment pour les espaces ayant vocation à être valorisés par des aménagements impactants (artificialisation).
La libre évolution, généralement pratiquée, se traduit par un développement finalement rapide de fruticée, puis d’espaces boisés semi-ouverts qui risquent de constituer un piège écologique le jour de l’aménagement. Ainsi, l’opérateur crée lui-même la situation qu’il cherchait initialement à éviter (multiplication des espèces protégées, coût d’aménagement important, lourdeur administrative). Des solutions de gestion alternative, notamment quand c’est techniquement possible la gestion prairiale, méritent d’être examinées.
Dans un second temps, le Cerema et l’EPFL s’intéressent au potentiel des friches lorraines en matière de compensation environnementale.
Le sujet de la compensation est extrêmement complexe et s’appréhende différemment pour chaque site ; l’ambition est ici de définir une méthodologie permettant d’identifier, parmi un demi-millier de friches constituant l’observatoire régional, celles qui, de par leurs caractéristiques écologiques et géographiques générales, et de par leur implantation dans le territoire, peuvent présenter des enjeux importants en termes de compensation.
La méthode développée repose sur le croisement, d’une part, d’indicateurs de pression d’aménagement (données issues de l’observatoire de l’artificialisation), et d’indicateurs écologiques. Concernant les indicateurs écologiques, les bases de données naturalistes n’ont pas été retenues, car trop disparates pour être réellement pertinentes ici. Ont été considérés, les types de milieux présents dans les friches, leur diversité, la proximité de réservoirs de biodiversité, la proximité de corridors écologiques d’importance régionale.
L’approche reste imparfaite (d’une part, pour des raisons pratiques, les sites de moins de 1 ha ont été exclus, d’autre part on n’aborde pas la plus-value écologique possible sur chaque friche, qui nécessitera une étude détaillée sur chaque site), mais elle permet déjà d’identifier des sites présentant un potentiel.
Il est aussi visé d’apporter des éléments à un suivi des friches à grande échelle qui se met en place au niveau régional comme au niveau national, pour une meilleure intégration de la question de la biodiversité.