Pour favoriser le report du transport de marchandises et matériaux vers la voie d’eau, les gestionnaires en améliorent sans cesse la compétitivité, la sécurité et l’adaptation aux besoins nouveaux des ports fluviaux. Leurs projets, souvent innovants, intègrent les aspects techniques, environnementaux et économiques. Parallèlement, les navigants cherchent à optimiser et planifier leurs trajets et leurs chargements par une meilleure connaissance des profondeurs d’eau disponibles, de leur temps de trajet et du trafic.
Cependant, les fleuves et les estuaires sont des éléments naturels avant d’être des infrastructures de transport. Le théâtre d’interactions entre les phénomènes naturels (marée, crues, transport sédimentaire) et les interventions humaines (dragage, navigation, ouvrages) rendant complexes leur compréhension et leur maîtrise. Pour ces raisons, et comme tous les autres modes de transport, la navigation connaît un besoin croissant d’échanger en temps réel des informations concernant le trafic et le transport, ainsi que les conditions météorologiques.
Ainsi, sur les grands fleuves, les gestionnaires mettent en place des services d’information fluviaux (SIF), plateformes internet harmonisées mais tenant compte des environnements spécifiques à chaque fleuve, pour fluidifier le trafic et aider les navigants à préparer ou gérer leurs trajets.
Clair sous quille : déterminer la hauteur d'eau
Sur l’estuaire de la Gironde, le Cerema a étudié avec le Port de Bordeaux et d’autres partenaires un outil de modélisation numérique afin de prévoir la hauteur d’eau disponible entre le fond et le bateau, appelée "clair sous quille". Cet estuaire est particulier du fait de la présence d’un bouchon vaseux mobile faisant varier de manière saisonnière la profondeur disponible et gênant la navigation. Les navires doivent donc recourir à des pilotes expérimentés et des moyens radar pour détecter les fonds.
La prévision de l’évolution des fonds et du clair sous quille aidera les navigants à programmer leurs trajets et horaires avec un enfoncement adapté du bateau, et le gestionnaire à optimiser les dragages du chenal. À terme, cette démarche permettra d’augmenter les tirants d’eau des navires acceptés par le port de Bordeaux sans impact environnemental, car ceux-ci ne craindront plus d’être bloqués par un tirant d’eau insuffisant. Prévoir le clair sous quille est complexe : il faut connaître à la fois le niveau d’eau en fonction de la marée, la position du fond variant en fonction du mouvement des sédiments vaseux et de l’enfoncement du bateau. L’étude utilise des modèles numériques sophistiqués – 2D ou 3D – et a approfondi plusieurs difficultés techniques ou scientifiques :
- la prévision de la marée,
- le comportement de la vase,
- l’influence du courant sur le transport de sédiments,
- l’enfoncement dynamique des navires en fonction de leur vitesse et de la densité de sédiments dans l’eau.
La prise en compte du dragage et l’effet de la houle sont des points restant à approfondir.
La gestion des écluses
Sur la Seine, les gestionnaires (VNF et Haropa) ont aussi constitué un SIF. Afin de compléter à terme les informations, plusieurs études innovantes sont en cours. Elles illustrent le rôle des prévisions dans l’optimisation de la navigation.
L’estuaire de la Seine est moins concerné que la Gironde par la variation quotidienne des fonds, et la difficulté principale réside dans le passage sous les ponts, notamment a marée haute. La prévision précise du niveau d’eau doit permettre de connaître la hauteur libre disponible sous les ponts. Les pilotes ont déjà comme usage de remonter la Seine jusqu’à Rouen lorsque les courants de marée sont favorables et en tenant compte des ponts, mais une meilleure prévision leur permettra d’améliorer les heures de départ et leur chargement.
Cette information est précieuse par exemple pour le transport de conteneurs sur plusieurs couches car, ces chargements étant relativement légers, les bateaux ont un faible enfoncement mais une hauteur importante. Un modèle hydraulique numérique mis au point par le Cerema réalise cette prévision à 36 heures en tenant compte de la marée, de la surcote marine, du vent et du débit de la Seine.
La gestion des écluses est aussi un enjeu. La Seine, comme d’autres grands fleuves français, est aménagée pour faciliter la navigation. Depuis le XIXe siècle, ont été progressivement construits des barrages de navigation augmentant les profondeurs disponibles. Ces barrages ont souvent remplacé les anciens moulins pourvus de seuils fixes. Ils répondent aux objectifs de maintenir le niveau d’eau lorsque le débit est faible ou moyen, et de s’effacer pendant les crues. En parallèle, une ou des écluses ont été construites afin que les bateaux franchissent les chutes d’eau ainsi créées.
Anticipation du temps de parcours
Sur la Seine, l’influence de la marée s’arrête au premier barrage rencontré en remontant le fleuve (Poses, dans l’Eure, à 106 km de l’embouchure). Au-delà, les bateaux sont aussi confrontés à l’attente aux écluses pendant que d’autres bateaux les utilisent, souvent dans le sens inverse. L’anticipation du temps de parcours des bateaux est alors un enjeu important afin d’améliorer l’accueil du bateau dans les ports de destination et l’intégration logistique.
Elle peut se faire en se basant notamment sur:
- les caractéristiques du bateau (vitesse, puissance),
- la vitesse du courant dépendant du débit de la rivière,
- le trafic
- les ouvrages présents.
Pour mettre au point ce modèle d’estimation, ont été utilisés les trajets d’une centaine de bateaux réalisés pendant plusieurs années, établis en analysant les données "radio" d'identification de la position des bateaux. Le traitement mathématique de ces masses considérables de données met en évidence des corrélations, en utilisant des méthodes d’"apprentissage automatique" relevant de l’intelligence artificielle.
Avec l’outil obtenu, le temps de parcours est estimé en moyenne à 10 % d’incertitude, mais cette précision pourra encore être améliorée.
La gestion des écluses peut, elle, être optimisée en proposant des scénarios de remplissage par les bateaux minimisant les attentes et les manœuvres. Il faut pour cela prévoir le temps d’arrivée possible des bateaux en fonction de leur vitesse et du courant, puis comparer les scénarios possibles de remplissage de l’écluse selon les bateaux considérés comme prioritaires, en recherchant le scénario qui minimise la somme des attentes.
Dans un second temps, le scénario étant choisi, il peut être proposé aux bateaux d’adapter leur vitesse et d’arriver lorsque l’écluse est disponible, afin d’éviter des attentes et économiser l’énergie.
Par Fabrice Daly, directeur du département Infrastructures et transports au sein de la direction Eau mer et fleuves du Cerema