Cet article du Cerema a été rédigé pour une publication par notre partenaire Techni Cités.
Des villes plus chaudes que les campagnes
Le milieu urbain est à l’origine d’un ensemble de phénomènes physiques qui viennent modifier le climat des villes. Ainsi, sont observées en ville des températures de l’air plus élevées que dans la campagne environnante : c’est l’îlot de chaleur urbain (ICU). Particulièrement marqué en période nocturne, l’ICU expose les habitants des villes à des températures plus élevées, qui ne permettent pas aux organismes de récupérer suffisamment durant la nuit, avec des risques pour la santé.
En France métropolitaine, la canicule de 2003 est à l’origine d’une surmortalité de 15 000 décès, liés à des coups de chaleur et à des pathologies (cardiovasculaires, respiratoires) dont l’intensité s’accentue avec les fortes chaleurs. L’ICU est également un enjeu sur le plan énergétique, du fait d’un recours accru de la climatisation, et enfin sur le plan de l’attractivité des villes. Comprendre les causes des ICU s’avère indispensable pour lutter contre ce phénomène.
Celui-ci s’explique par :
- Le stockage de la chaleur dans les matériaux urbains : constituant bien souvent la voirie, les espaces publics, les matériaux urbains comme le béton, l’asphalte, ou bien encore le bitume ont tendance à absorber le rayonnement solaire incident, en raison d’un faible albédo (pouvoir réfléchissant d’un matériau). Les matériaux urbains de ce type accumulent ainsi beaucoup de chaleur, qui est ensuite rejetée durant la nuit, expliquant l’intensité de l’ICU durant la nuit ;
- Le manque de végétal en ville : le végétal joue un rôle important pour rafraîchir, en raison de l’ombre portée, de la photosynthèse qui capte une partie du rayonnement solaire, et de l’évapotranspiration (perte simultanée d’eau par évaporation et transpiration permettant de rafraîchir). En milieu urbain, le végétal s’avère souvent moins présent, au profit de surfaces artificialisées ;
- La forme urbaine : plus le vent est rapide, plus l’air s’écoule rapidement, plus la sensation de fraîcheur s’avère importante. Certaines formes architecturales vont ainsi modifier le régime des vents, créant des zones abritées, ce qui s’avère utile l’hiver, mais malheureusement très inconfortable en été ;
- La chaleur induite par les activités humaines : les moteurs des machines industrielles et des véhicules constituent des sources anthropiques de chaleur. Dans la mesure où l’air frais qu’elle produit à l’intérieur va de pair avec un rejet d’air chaud à l’extérieur, la climatisation constitue elle aussi une source anthropique de chaleur, à tel point qu’elle est qualifiée de solution de mal-adaptation.
Le changement climatique ne constitue pas une cause du phénomène d’ICU, mais un facteur susceptible d’aggraver son intensité. Selon Météo France, la fréquence et la sévérité des vagues de chaleur augmenteront au XXIe siècle par rapport à la période 1981-2010, quel que soit le scénario considéré. Il est donc impératif pour les collectivités de concevoir dès à présent des villes pouvant diminuer l’intensité des ICU, voire créer des îlots de fraîcheur, afin de s’adapter à un climat futur avec des vagues de chaleur encore plus fréquentes et plus sévères.
Des outils de diagnostic de la surchauffe urbaine
Une collectivité peut se demander si elle est concernée par les ICU, quelles sont les zones à forts enjeux, et déterminer l’efficacité des solutions qu’elle souhaite mettre en place. Le guide de méthodes de diagnostic de surchauffe urbaine publié par l’Ademe présente différents outils et méthodes à l’échelle de la ville et du quartier, dont :
- Les mesures fixes : il s’agit de mesurer en deux points (ville et campagne) la température d’air, mais aussi des paramètres tels que l’hygrométrie et la vitesse des vents entrant dans le bilan énergétique d’une surface urbaine. Cette mesure peut se faire par l’installation de capteurs en instrumentant un point précis. Ce type d’approche a l’avantage d’être assez simple à mettre en oeuvre. Il permet d’évaluer en un point, voire un réseau de points, l’effet de certaines solutions de rafraîchissement, ou bien encore de quantifier de façon ex-ante l’ICU en certains lieux d’une agglomération. Cependant, ces mesures fixes n’offrent que difficilement la possibilité de réaliser un diagnostic sur l’ensemble du territoire ;
- La télédétection, consistant à obtenir une information sur des objets en analysant des données collectées par des instruments n’étant pas en contact direct avec ces objets. Concrètement, il s’agit ici d’utiliser de l’imagerie satellitaire ou aérienne pour reconstituer les températures de surface du milieu urbain. Cette méthode nécessite une analyse du rayonnement infrarouge thermique pour passer des températures de brillance aux températures de surface en connaissant l’émissivité des matériaux, et donc une connaissance de l’occupation du sol. Elle offre l’avantage de couvrir une grande zone urbaine, ce qui peut permettre de réaliser un diagnostic sur l’ensemble d’une agglomération, utilisable dans le rapport de présentation d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). Actuellement, les capteurs embarqués sur satellite ne permettent pas d’obtenir nativement des images avec une résolution spatiale inférieure à environ 70 m. Il existe cependant des bureaux d’études qui proposent des méthodes de combinaison avec des images haute résolution dans le visible qui permettent d’obtenir une résolution spatiale de 10 m. Les images aéroportées, quant à elles, permettent d’atteindre des résolutions spatiales d’une dizaine de mètres mais sur une zone d’observation plus petite et avec une répétitivité temporelle beaucoup moins importante que les visites journalières disponibles par exemple avec le satellite Sentinel-3. La future mission Trishna (lancement prévu en 2024-2025) permettra des acquisitions d’images de température de brillance à une résolution d’environ 50 m avec un temps de revisite minimale de trois jours. Ce type d’approche ne rend pas compte de ce qui se passe en dessous des surfaces de canopée végétale, ou bien encore au niveau des surfaces verticales, qui vont également impacter l’ICU ;
- Les modèles physiques de simulation du climat urbain : il s’agit d’outils permettant de modéliser les phénomènes physiques qui interviennent dans le climat urbain, en résolvant les équations de bilan énergétique. Des outils comme Envi-Met ou Solene Climat ont une résolution de 0,5 à 1 mètre permettant de comparer différentes solutions pour un projet d’aménagement, de façon très fine (autour de l’emplacement d’un arbre, la localisation d’un bâtiment, etc.). Le modèle TEB (Town Energy Balance) de Météo France modélise les phénomènes selon une maille de 125 m de côté, ce qui permet plutôt de déterminer de grandes orientations pour un projet d’aménagement, ou les règles/préconisations sur certains secteurs d’un PLUi. Ces modèles fournissent des informations très utiles pour les aménageurs et les urbanistes, mais nécessitent du temps (en calcul ou en recueil de données), qui doit être prévu en amont par rapport aux exigences d’avancées d’un projet urbain.
Des modèles empiriques de simulation du climat urbain existent également. Calés sur la base d’études antérieures, ils mettent en corrélation des paramètres urbains (forme urbaine, occupation du sol, etc.) avec les caractéristiques climatiques locales. Ces outils très simplifiés sont utilisables pour un quartier (Score ICU d’ECIC, Indi-EN de Tribu), pour identifier certaines zones particulièrement concernées par l’ICU à l’intérieur des tissus urbains.
Des solutions de rafraîchissement urbain
Face aux ICU, les villes disposent de solutions, pour lesquelles les chercheurs et les praticiens ont un certain recul sur leur efficacité et leurs cobénéfices.
Le Cerema et le bureau d’études Tribu ont ainsi élaboré pour le compte de l’Ademe un guide qui dresse un panorama complet des solutions disponibles :
Les solutions vertes :
Le champ des solutions fondées sur la nature (SFN), qui font appel au végétal et à l’eau : arbres, parcs, ouvrages paysagers de gestion des eaux pluviales (noues, jardins de pluies), plans d’eau et rivières.
D’une façon générale, le rafraîchissement sera d’autant plus important que le taux de végétalisation est important. Toutefois, pour que cet effet rafraîchissant s’exerce durant l’été, il faut qu’il y ait de l’eau en quantité suffisante pour le végétal, dont les besoins peuvent être importants pour éviter le stress thermique lors de fortes chaleurs.
La question de la disponibilité en eau peut donc se poser, notamment pour des territoires à climat aride ou méditerranéen.
Les solutions grises :
Relatives aux infrastructures urbaines (revêtements, mobilier urbain, bâtiment), ces solutions peuvent être des fontaines et jets d’eau, des formes urbaines bioclimatiques, l'arrosage des espaces urbains, des panneaux solaires, un revêtement urbain à fort albédo, l'isolation thermique/inertie des bâtiments...
Les infrastructures urbaines ne sont pas à négliger, dès lors que l’on est sur des espaces publics contraints pour lesquels les SFN sont difficiles à mettre en oeuvre (perte de visibilité due aux arbres dans le cas du pôle multimodal de Nice Saint-Augustin (Alpes-Maritimes), charges d’exploitation que doit supporter la dalle à Paris La Défense) ;
Les solutions douces :
Elles agissent sur les usages et les pratiques de la ville, à l’échelle individuelle et collective. Ces solutions agissent sur deux types de leviers. D’une part, la diminution des rejets de chaleur liés aux activités humaines comme la climatisation, ou les déplacements motorisés (modes doux, conduite apaisée, véhicules électriques, etc.).
D’autre part, la réduction de la vulnérabilité des personnes face aux fortes chaleurs, via des mesures individuelles ou sociétales d’adaptation aux fortes chaleurs (ouverture des fenêtres la nuit, utilisation de systèmes de rafraîchissement alternatifs à la climatisation, alertes et campagnes d’information).
Au niveau d’un projet d’aménagement, ce n’est pas forcément un seul type de solutions, mais bien plusieurs types de solutions qui peuvent ainsi être mobilisés. Quelle est l’efficacité des solutions en matière de rafraîchissement urbain ?
La réponse dépend de l’échelle considérée. Il y a ainsi l’échelle du piéton, avec des solutions qui vont améliorer son ressenti et son confort thermique. Il y a également l’échelle de la ville, où le déploiement général d’une solution va modifier le micro microclimat urbain. Cette distinction est importante, dans la mesure où certaines solutions ont un impact très faible en matière de confort pour l’usager, mais peuvent s’avérer très pertinentes à grande échelle pour lutter contre les ICU et rafraîchir la ville dans son ensemble.
Ainsi, les revêtements à albédo élevé constituent une solution appropriée de lutte contre les ICU, dès lors qu’ils sont généralisés. Pour le confort du piéton, l’efficacité est cette fois-ci plus discutable, dans la mesure où les revêtements à albédo élevé peuvent dégrader le ressenti thermique du piéton, en raison d’un plus grand rayonnement renvoyé vers le piéton.
En matière de rafraîchissement urbain, l’efficacité s’apprécie au regard de la période considérée. Une solution peut s’avérer plus efficace le jour que la nuit. À l’échelle du piéton, en période diurne, l’arbre joue un rôle positif en matière de rafraîchissement urbain, en raison de l’ombre portée et de l’évapotranspiration. En période nocturne, l’effet est plus faible, voire défavorable, en raison de l’obstacle au vent que peut représenter une couverture arborée.
Pour bien apprécier l’usage d’une solution, il faut dans l’idéal bien prendre en compte l’ensemble des cobénéfices et impacts négatifs, en termes de biodiversité, de ressource en eau, de coût global, de stockage carbone, de santé, etc. Cette analyse peut amener à des conclusions qui ne sont pas totalement univoques. Ainsi, de façon globale, les arbres contribuent à améliorer la qualité de l’air, en absorbant certains polluants gazeux et en interceptant de façon temporaire les particules. Notons également que les effets positifs décrits précédemment peuvent être contrebalancés par des effets négatifs : émissions de composés organiques volatils par certaines espèces d’arbres, réduction de la vitesse des
vents pouvant entraîner localement une augmentation de la concentration des polluants ou émissions de pollens allergisants.
C’est toute cette complexité d’échelle, de temporalité, de cobénéfices et d’impacts qu’une collectivité ou un aménageur doit avoir en tête pour faire appel à des solutions pertinentes et efficaces en matière de rafraîchissement urbain. Chaque solution doit être adaptée au contexte urbain, ce qui nécessite une ingénierie, pour pouvoir aider les collectivités à faire les meilleurs choix.