
En considérant l’influence des données démographiques sur l’évaluation des besoins fonciers dans la planification territoriale locale, comment le juge administratif encadre-t-il l'utilisation et la justification de ces données dans les documents d'urbanisme (SCoT/PLU-i) pour assurer le respect des objectifs de sobriété foncière et de lutte contre l'artificialisation des sols, tels que fixés par la loi 'Climat et résilience'?
Un travail de mémoire primé par le GRIDAUH
Lisa Bourdon, étudiante en Master 2 Droit et Métiers de l’Urbanisme Durable à la faculté de Droit et de Science Politique de l’Université Aix-Marseille a été stagiaire au Cerema entre avril et septembre 2024. Encadrée par David-Marie Vailhé, chef de projets stratégies territoriales et foncière à la Direction Territoires et Ville (Lyon), elle a contribué aux travaux de l’établissement sur les sujets fonciers et de planification stratégique.
Le mémoire intitulé "Encadrement juridique des données démographiques pour déterminer les besoins en logement dans les documents d'urbanisme" réalisé par Lisa Bourbon durant son stage a été récompensé par le prix du mémoire du Groupement de Recherche sur les Institutions et le Droit de l'Aménagement, de l'Urbanisme et de l'Habitat (GRIDAUH) le 17 décembre 2024 à la Maison du Barreau à Paris. Le GRIDAUH récompense à travers ce prix l’apport scientifique, la rigueur, la méthode et la qualité de la présentation du mémoire. Au même titre que le Cerema, le GRIDAUH a une partie de ses activités qui se rapporte aux institutions de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme.
Ce travail, qui explore les interactions entre cadre juridique et planification urbaine, trouve ses fondations à travers les missions menées au Cerema, axées sur les stratégies territoriales et foncières, en lien étroit avec les enjeux relatifs au "Zéro Artificialisation Nette" (ZAN) et au "Zéro Émission Nette" (ZEN).
Les missions du stage, un terreau fertile pour la production du mémoire
Le Cerema, acteur clé dans l'accompagnement des politiques publiques, dispose d’une expertise multidisciplinaire et propose des outils adaptés aux collectivités. Le sujet proposé par Lisa a été un moyen de creuser des sujets en cours en matière de lien et d'articulation entre documents d'urbanisme et justification des besoins (démographie, foncier etc), et avoir un éclairage juridique plus actualisé et précis. Le Cerema a accompagné le travail de défrichage de ce sujet peu, voire pas, abordé.
Ce stage s’est inscrit dans cette dynamique, au sein de la Direction Technique Territoires et Ville, où Lisa Bourdon a contribué à des travaux stratégiques et opérationnels sur plusieurs sujets :
1. Adaptation locale du Quiz ZAN, issu de l’« Expérimentation ZAN » piloté par l’Ademe et dont le Cerema fait partie de l’AMO nationale. Outil pédagogique destiné à sensibiliser les élus et techniciens sur les mécanismes et obligations liés à la gestion de l’artificialisation des sols, l’adaptation a consisté à tenir compte des spécificités du territoire du Pôle Métropolitain de Nantes Saint-Nazaire (44), l’un des 22 lauréats de l’expérimentation, et plus particulièrement du Pays de Blain.
Ainsi, ont été analysés et intégrés au quiz des dispositifs fiscaux et juridiques, tels que la taxe d’aménagement et la garantie communale, pour en démontrer la pertinence territoriale et leur capacité de mise en œuvre pour accompagner une trajectoire ZAN.
2. Rédaction de fiches juridiques pour le centre de ressources Outils de l'aménagement, notamment sur le sursis à statuer ZAN, un outil d’intervention pour les collectivités locales introduit par la loi du 20 juillet 2023. Ces fiches ont permis de clarifier les subtilités de ce dispositif pour les acteurs de l’urbanisme, contribuant à leur montée en compétence dans un contexte juridique en constante évolution.
3. Co-animation du groupe de travail "Planification et ingénierie privée", créé et piloté par le Cerema au sein du Réseau Planif Territoires, menant des entretiens avec des acteurs publics et privés pour identifier leurs besoins en formation en matière de planification territoriale en contexte d’élaboration et de mise en œuvre des trajectoires ZAN et ZEN.
Ces échanges ont nourri la conception de solutions pédagogiques innovantes, comme des jeux sérieux ou des méthodologies de veille jurisprudentielle adaptées, qui intégreront à terme un centre de ressources dédié.
4. Participation à l’élaboration d’une méthodologie de stratégie foncière, intégrant les outils et données internes du Cerema, pour accompagner les collectivités dans leurs stratégies de sobriété foncière et de planification territoriale.
Ces missions ont permis de valoriser la richesse des outils développés par le Cerema – qu’il s’agisse de plateformes comme Outils de l’aménagement, de méthodologies stratégiques, ou encore de supports pédagogiques – tout en affinant une approche systémique des enjeux juridiques et territoriaux.
Ce travail, au croisement des exigences théoriques et des besoins pratiques, a constitué une base essentielle pour la réflexion approfondie ayant mené à la rédaction du mémoire.
Le mémoire, de la planification territoriale à la posture du juge administratif, les enjeux fonciers comme boussole
L’encadrement juridique des données démographiques dans les documents d’urbanisme constitue un enjeu majeur pour la planification territoriale. Les collectivités locales s’appuient sur ces données pour estimer les besoins futurs en logements, infrastructures et services publics. Le mémoire de Lisa Bourdon place le constat de la croissance démographique comme un aspect central de la planification urbaine qui permet d’anticiper l’évolution des territoires et d’adapter les projets d’aménagement aux besoins des populations. Au cœur des réflexions se trouve donc la notion de "besoin", notamment la relation entre l’enveloppe foncière jugée nécessaire pour répondre aux dynamiques démographiques et économiques d’un territoire, et celle disponible au regard des objectifs de limitation de la consommation foncière. Ce croisement contribue à déterminer le calibrage des projets urbains et territoriaux, obligeant à une articulation fine entre données chiffrées, cadre juridique et vision stratégique.
Les données démographiques, fournies principalement par des organismes comme l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), jouent un rôle crucial dans la prise de décisions en matière d’urbanisme. Ces informations, qui incluent des projections sur l’évolution de la population, sont utilisées pour orienter les politiques locales, telles que la création de logements ou la gestion des espaces publics. Toutefois, la loi ne prévoit pas de méthode spécifique pour leur utilisation, laissant aux collectivités une certaine liberté dans l’interprétation et l’intégration de ces données dans les documents d’urbanisme tels que le Plan Local d’Urbanisme (PLU) ou le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT).
Cette absence de cadre méthodologique peut parfois conduire à des divergences entre les projections démographiques et la réalité du terrain. Il est essentiel que les données utilisées soient à jour et reflètent fidèlement la situation locale. L’utilisation de données obsolètes, peut avoir des conséquences importantes telles qu’une surconsommation d’espaces, ce qui entre alors en contradiction avec les objectifs de sobriété foncière fixés par la loi Climat et Résilience. Adoptée en 2021, cette loi introduit des objectifs ambitieux en matière de protection des sols, en visant notamment la réduction de l’artificialisation des sols. L’objectif étant d’atteindre un état de "Zéro Artificialisation Nette" (ZAN) d’ici 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF) d’ici 2031, par rapport à la décennie de référence 2011-2021. Cette trajectoire implique que les collectivités locales réinterrogent et redéfinissent le cas échéant leur stratégie en matière de développement territorial, pour favoriser notamment le renouvellement urbain et la densification des zones existantes.
L’intégration des objectifs ZAN dans les documents d’urbanisme nécessite donc une réévaluation des méthodes utilisées pour estimer les besoins en logements et en infrastructures. Le rôle du juge administratif dans ce contexte est crucial. En effet, il a été constaté sur les derniers mois que de plus en plus de contentieux liés à l’annulation de documents d’urbanisme, tels que les PLU(i) ou SCoT, se fondent sur des prévisions démographiques jugées insuffisamment justifiées ou obsolètes [1]. Le juge exige des collectivités locales qu’elles justifient clairement les choix effectués en matière d’aménagement, notamment en ce qui concerne les besoins en fonciers en lien avec les prévisions démographiques. L’actualité et la fiabilité des données démographiques utilisées dans ces documents deviennent alors des critères déterminants pour la légalité du document d’urbanisme.
L’encadrement juridique des données démographiques dans les documents d’urbanisme est un enjeu stratégique pour les collectivités territoriales, qui doivent conjuguer le développement urbain avec les impératifs de protection des sols. La rigueur dans la collecte, l’analyse et l’utilisation des données démographiques est essentielle pour garantir la pertinence des projets d’aménagement, tout en respectant les objectifs de sobriété foncière imposés par le cadre législatif actuel.
Une planification territoriale à réinventer
Ce mémoire conclut que "la précision des données, leur pertinence locale, et leur articulation cohérente avec les objectifs de sobriété foncière sont des éléments clés pour éviter les recours contentieux et surtout garantir la viabilité des projets d'aménagement. Dans ce cadre, il est essentiel que les collectivités locales adoptent une approche prudente, méthodologique et ancrée dans la réalité des données pour aligner leurs documents d’urbanisme avec les obligations juridiques de ZAN et les attentes sociétales en matière de développement durable".
Alors que la gestion du foncier est au centre des préoccupations, les prévisions démographiques s’imposent comme un outil indispensable mais exigeant. Loin d’être de simples supports techniques, elles structurent la légalité des documents d’urbanisme et conditionnent leur mise en œuvre.
Dans un cadre législatif en pleine mutation, les collectivités doivent s’adapter à des attentes renforcées. Cette évolution, bien qu’exigeante, constitue également une opportunité pour repenser la planification territoriale et construire un modèle d’aménagement durable, en adéquation avec les besoins réels des populations et les impératifs environnementaux.

|Par Lisa Bourdon (Juriste spécialisée en droit de l’environnement et de l’urbanisme – Université Aix-Marseille) et David-Marie Vailhé (Urbaniste, chef de projet stratégies territoriales et foncières – Cerema)
[1] Cf Deux annulations des Cours administratives d’appel concernant le PLUi de Questembert communauté et le ScoT de l’agglomération Thionvilloise.