Cet article du Cerema est paru dans la revue Techni Cités.
La superficie des espaces publics à la charge d’une collectivité est considérable et ne cesse de s’accroître. Or, les collectivités sont confrontées à de nouveaux paradigmes liés notamment à des enjeux de réduction des ressources budgétaires et de raréfaction des ressources naturelles non renouvelables (énergie, granulats, eau…). Par conséquent, la gestion de leur patrimoine s’inscrit désormais dans une nécessaire recherche d’économie de moyens et de ressources.
Dans le même temps, les attentes et besoins des usagers évoluent vite et nécessitent l’adaptation rapide mais qualitative des espaces publics (développement des modes actifs, amélioration du cadre de vie, etc.). Aussi, comment optimiser les aménagements pour concilier attentes des usagers, économies de ressources et rapidité d’intervention ?
Face à cette problématique, les services techniques s’interrogent et testent de nouvelles manières d’aménager et de gérer les espaces publics. Chaque collectivité locale développe sa propre stratégie, ses propres solutions pour rationaliser au mieux ses ressources.
Dans la mise en œuvre et la gestion d’espaces publics, l’approche économe et qualitative conduit donc à un nécessaire changement de posture des parties prenantes (concepteurs comme gestionnaires).
Les approches présentées ici se focalisent sur l’optimisation des moyens à mettre en œuvre, la valorisation de l’existant, l’intérêt de l’implication des citoyens, les interventions frugales mais de qualité. Et il en existe sans doute d’autres.
Ces approches peuvent être qualifiées de "frugales", au sens où elles sont à la fois peu coûteuses en moyens, en matériaux et nécessitent peu de modifications du revêtement de sol. Mais elles améliorent avec efficacité et rapidité les fonctions et les usages d’un espace public.
Economiser les moyens à mettre en oeuvre
Alors que la mobilité ne cesse de progresser et les usages d’évoluer, les collectivités sont plus que jamais confrontées à une recherche permanente d’optimisation de leurs moyens et à la recherche de solutions leur assurant une certaine souplesse d’organisation.
Plutôt que de créer de nouvelles offres d’infrastructures et de services de transport, elles tendent à se tourner davantage vers le recyclage de leurs espaces publics, plus économe en moyens humains et financiers. Ce recyclage passe notamment par l’émergence de solutions d’adaptation de la voirie existante matérialisées par des transformations souvent plus légères et faciles à mettre en œuvre tout en étant qualitatives.
Par exemple, la volonté d’accroître la part du végétal dans une rue peu large et très minérale peut conduire à une intervention caractérisée par la conservation du fil d’eau, l’ajout de jardinières hors-sol le long de la chaussée, de mobiliers faciles à mettre en œuvre et duplicables, sans altérer le revêtement existant...
Pour répondre à des usages évoluant rapidement, une adaptation de l’existant à la place d’un projet neuf garantit souvent l’optimisation des coûts de mise en œuvre et des économies de moyens sans oublier les économies liées à une plus grande rapidité d’exécution et à une réversibilité envisageable à moyen terme.
Optimiser les moyens humains
Pour éviter de voir leurs espaces publics se dégrader faute d’interventions suffisantes, certaines collectivités cherchent également à optimiser leurs moyens humains et matériels dévolus à la gestion de ces espaces notamment en :
- Différenciant la gestion de leurs espaces verts ou le nettoiement de leur voirie ce qui revient à définir un niveau d’implication différent selon les sollicitations et les usages ;
- Mutualisant les moyens pour créer des économies d’échelle et viser des économies de fonctionnement et de structure. Par exemple, dans le cadre de l’entretien de la voirie communale, une organisation plus efficiente garantira une utilisation plus efficiente des ressources existantes par le biais de la mutualisation (des moyens humains sur plusieurs communes, de véhicules, commandes groupées de matériaux...) ;
- Prônant l’émergence de solutions innovantes et technologiques (éclairage public, mobiliers urbains...) dont l’intérêt résidera dans la réduction des interventions de maintenance : c’est le cas des corbeilles intelligentes autonomes énergétiquement (utilisation de l’énergie du soleil) mises en place dans l’hypercentre de Strasbourg qui ont pour fonction de compacter les déchets ce qui tend à réduire la fréquence de passage des agents d’exploitation.
Pour autant, économie de moyens ne veut pas nécessairement dire « économie sur l’ingénierie ». Au contraire, une réflexion plus approfondie doit permettre d’optimiser un aménagement.
Des démarches mêlant à la fois intervention artistique, requalification d’espace et implication citoyenne en donnant l’occasion d’écouter les usagers, de les mobiliser et de valoriser leurs savoir-faire peuvent être l’occasion de redynamiser un lieu avec un investissement faible (comparativement à une requalification complète de la chaussée). Certaines associations et certains collectifs de concepteurs se sont d’ailleurs spécialisés dans ce type d’interventions : le Bruit du frigo, le Collectif Etc, Coloco, les Saprophytes, Akpé... pour n’en citer que quelques-uns.
Favoriser l'implication citoyenne
Faire participer les riverains à la conception des espaces revient pour la collectivité à bénéficier de leurs conseils en tant que maîtres d’usages, à recueillir leurs avis au moyen d’animations et de tests voire à leur laisser une certaine liberté à proposer des projets dans le cadre du recours au budget participatif déployé notamment par la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Cette implication citoyenne est donc un moyen efficient d’aménager les espaces.
Dans un contexte d’optimisation des dépenses de fonctionnement, de plus en plus de collectivités proposent en outre à leurs concitoyens de devenir davantage responsables de leurs espaces publics de proximité (rues, quartiers...):
- D’une part, en les faisant participer à l’entretien des espaces verts, comme c’est le cas dans le cadre de la démarche "Jardins à adopter" mise en œuvre à Grenoble ;
- D’autre part, en s’appuyant sur des applications mobiles telle que "Bouge ma ville" qui offrent la possibilité aux usagers constatant des défauts d’entretien ou de propreté de les signaler directement aux services techniques.
Toutes ces actions visent une optimisation du temps consacré par la collectivité à la gestion de leurs espaces en contrepartie de laquelle de nécessaires temps d’accompagnement ne sont pas à négliger.
En un mot, intégrer le citoyen dans la gouvernance des projets de voirie et d’espaces publics est un moyen pour répondre plus finement aux besoins et aux usages mais implique de la part des services techniques de la collectivité de changer de posture en ajustant leurs pratiques historiques.
Valoriser l'existant
En réaction à la prise de conscience de la raréfaction des ressources naturelles, les modes de concevoir et d’aménager la voirie et autres espaces publics ont fortement évolué ces dernières années avec l’émergence des politiques publiques en faveur de l’économie circulaire. De plus en plus de collectivités fixent des objectifs environnementaux dans leur programme d’aménagement, s’appuyant sur des chartes environnementales afin de préserver les ressources naturelles et de faire des économies sur un plan budgétaire.
Dernièrement, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015 a donné des objectifs chiffrés (art. 79) visant à une gestion économe des ressources naturelles basée sur les principes de réemploi, de réutilisation et de recyclage des déchets issus des travaux de voirie.
Plutôt que de faire table rase de l’existant, le réemploi a pour finalité de redonner, au sein d’un projet d’aménagement, une valeur économique et une fonction à une ressource existante (mobilier urbain, revêtements...) devenue soit obsolète, soit inutilisée, soit en fin de vie, et a pour vertu de réduire les nuisances liées au chantier puisqu’il concourt à limiter l’approvisionnement en matériaux neufs.
L’analyse fine de l’existant est incontournable pour identifier les ressources potentiellement réemployables.
À Saint-Étienne, le concept d’économie inventive, développé par l’architecte Alexandre Chemetoff, s’appuie sur le principe du réemploi des matériaux standards issus du site pour créer au sein du parc François-Mitterrand des cheminements piétons, des mobiliers urbains, etc. À Lyon, la conception du mobilier du parc Blandan, par les paysagistes de l’agence Base, s’est appuyée sur la réutilisation des matériaux de déconstruction de l’ancienne caserne militaire.
Mis à part ses atouts environnementaux, le réemploi conduit souvent à revoir la manière d’aménager en mobilisant des compétences qui n’ont pas toujours l’habitude de travailler ensemble et en suscitant une certaine inventivité de la part de la maîtrise d’œuvre et des entreprises. Le réemploi peut aussi porter sur l’espace existant en l’affectant à plusieurs usages selon la période (heures de la journée, saisons...), ce qui rompt à la logique inflationniste "un espace pour un usage".
Par exemple, la ville d’Arcachon exploite au maximum les potentialités d’usage de ses espaces comme une gare routière scolaire devenant un parking relais durant la période estivale moyennant une légère adaptation de l’existant et un réemploi d’équipements de parking stockés in situ.
Favoriser des interventions frugales et qualitatives
Par des interventions légères mais qualitatives, des petites transformations d’espaces publics peuvent rétablir rapidement des usages liés à la vie de quartier et améliorer le confort pour tous les usagers qui se déplacent ou qui séjournent sur l’espace public.
Pour aller au-delà d’un simple aménagement fonctionnel ou de mise en sécurité, il est important que les améliorations portent sur les ambiances du lieu. L’objectif est de donner envie aux usagers d’investir l’espace. En plus d’un embellissement, de nouvelles fonctions sont souvent ajoutées : des mobiliers pour s’asseoir confortablement, des espaces pour jardiner, des lieux pour organiser des événements festifs... avec des usages diversifiés et pas uniquement liés à la circulation.
C’est le cas du concept des Petits espaces publics autrement (Pepa) développé depuis 2013 par les services techniques de Montreuil visant à limiter les techniques constructives lourdes et coûteuses au profit de petits aménagements simples et légers améliorant rapidement le cadre de vie d’une rue ou d’un quartier. Le recours à des aménagements temporaires, éphémères, voire réversibles est régulièrement utilisé pour concevoir des aménagements frugaux et apporter une réponse rapide aux attentes citoyennes.
Des actions événementielles ou artistiques sont une manière d’interroger les usagers sur leurs rapports à l’espace public. Des interventions temporaires et transitoires ont plutôt valeur de test avant un aménagement définitif ; impliquant un retour en arrière possible et un droit à l’erreur. Ils peuvent aussi être saisonniers, comme le fait la ville de Genève avec son programme Urbanature : du mobilier et des bacs plantés sont disséminés le printemps et l’été sur de nouvelles places pour les rendre plus accueillantes et agréables, tout en montrant leur potentiel de reconversion.
Par Nicolas Furmanek, chargé d’études aménagement & adaptation de la voirie au changement climatique Cerema, et Cédric Boussuge, chargé d’études espaces publics Cerema
L'article dans la revue Techni Cités: