La double action mixte : une innovation qui répond aux enjeux de sécurité et de durabilité des ouvrages d’art
Les catastrophes récentes survenues sur les ponts français et étrangers rappellent les risques inhérents à des structures destinées à être de plus en plus sollicitées, par un trafic routier dont l’importance augmente d’années en années ou par des sollicitations climatiques (température, vent, pluie) pouvant accélérer le vieillissement des matériaux.
Les gestionnaires d’ouvrages ont pour obligation de surveiller et d’entretenir le patrimoine à leur charge afin de garantir la sécurité des usagers. La conception d’ouvrages neufs doit intégrer ces problématiques d’entretien futur, de durabilité et de sécurité.
C’est dans ce but que le Cerema a développé et mis en œuvre le principe de double action mixte dans les études de conception du viaduc du Lot à Mende : cette innovation permet d’augmenter la robustesse de l’ouvrage sans augmentation de son coût de construction.
Le contexte du projet : le contournement de Mende
Dans le cadre de l’aménagement de la RN88 reliant Toulouse à Lyon via l’A75 la DREAL Occitanie réalise une voie de contournement de l’agglomération de Mende appelée « Rocade Ouest de Mende ».
Ce contournement nécessite le franchissement de la vallée du Lot sur une longueur de plus de 300 m. La DREAL Occitanie, maître d’ouvrage de l’opération, a confié au Cerema la conception d’un viaduc permettant de franchir cette brèche.
En avril 2016, le Cerema a remis au maître d’ouvrage ainsi qu’au Service d’Ingénierie Routière (SIR) de Mende, maître d’œuvre de l’opération, un projet de viaduc innovant comprenant un tablier à Double Action Mixte, une première en France pour un pont routier.
La solution innovante du Cerema
Pour répondre au besoin, le Cerema a conçu un viaduc à double action mixte de cinq travées de 53,0 m, 3 × 75,0 m et 45,0 m pour des piles de 22,5 m de hauteur au plus haut. Le pont aura donc une longueur de 323 m. Il franchira le Lot ainsi qu’une voie ferrée à desserte locale.
Les appuis du pont sont fondés en profondeur grâce à une série de 44 pieux. La solution présentée permet de répondre aux différents enjeux de l’opération, à commencer par :
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un coût réduit ;
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une robustesse importante acquise grâce à l’innovation en double action mixte ;
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un respect des contraintes du site, notamment des contraintes environnementales et la présence de zones humides à proximité du chantier ;
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un traitement approprié des risques de glissement de terrain au niveau des talus.
Les travaux ont débuté en août 2018 et se sont achevés en juin 2021. Le marché a été remporté par le groupement GTM/Eiffage Metal/Vinci.
Le principe de double mixité
Les ponts dits « mixtes acier-béton » font partie des ouvrages les plus intéressants du point de vue technico-économique et sont actuellement parmi les plus utilisés pour les constructions neuves dans les gammes de portées allant de 40 à 120 m.
Ils reposent sur la complémentarité des matériaux béton et acier et sur leur rapidité et leur facilité de construction.
La double action mixte est une technique innovante consistant à connecter une dalle en béton sur les semelles inférieures des poutres métalliques dans les zones situées à proximité des piles afin de donner un surplus de robustesse à la structure, lui conférant ainsi une meilleure sécurité.
Une innovation au service de la durabilité et de la sécurité
L’intérêt de la Double Action Mixte est d’augmenter le niveau de sécurité de la structure sans en augmenter le coût. Ce principe est utilisable sur les ponts dits « bipoutres mixtes » et permet de conférer une ductilité à des zones qui en sont habituellement dépourvues, en l’occurrence les zones du tablier situées au voisinage des piles intermédiaires. En connectant également une dalle en béton en partie inférieure des deux poutres principales, le tablier devient plus résistant aux instabilités, ce qui permet ainsi d’augmenter la robustesse globale de l’ouvrage.
Le coût de la dalle étant compensée par la diminution de la quantité d’acier de charpente nécessaire, le coût de l’ouvrage reste identique. À coût comparable, un bipoutre Double Action Mixte présente un niveau de sécurité supérieur à un bipoutre classique.
de l’étude de la faisabilité à l’exécution
Le Cerema a assuré pour le compte du maître d’ouvrage une mission pluridisciplinaire couvrant l’ensemble des étapes du projet, depuis les premières études de conception jusqu’à l’exécution et les premiers temps de mise en service.
L’étude et la réalisation d’une déviation routière comportant un ouvrage d’art nécessite la mobilisation de compétences dans les domaines des structures, des matériaux, de la géotechnique, des terrassements, de l’hydraulique et de l’instrumentalisation, que le Cerema a pu apporter dans un premier temps en menant directement les études de conception et dans un second temps en offrant une assistance au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre dans les phases de contractualisation du marché de travaux, de contrôle de l’exécution de ces travaux et du suivi de cette innovation technique.
Nourrir l’innovation par le retour d'expérience
Dans le but d’enrichir la connaissance du fonctionnement en double action mixte et d’encourager l’innovation, le Cerema a intégré à son intervention un suivi de l’ouvrage lors de ses premières années de service. Ainsi, dès sa construction, l’ouvrage sera équipé par les équipes du Cerema d’une instrumentalisation qui permettra de mesurer ses déformations et de mieux analyser son comportement réel. Cette démarche scientifique permettra de constituer un retour d’expérience et de nourrir les règles de l’art concernant la double action mixte.
Un appui méthodologique assuré par le Cerema
Ce type d’ouvrage n’a jamais été réalisé en France pour des ponts routiers. La conception de ce projet a été assurée et pilotée par le Cerema, qui s’est notamment appuyée sur les travaux de recherche et de méthodologie ayant mobilisé les compétences de l’ensemble de l’établissement pendant plus de trois ans, à travers la constitution d’un groupe de travail interne dédié à la double action mixte.
Cette action collective a débouché sur un rapport d’études ayant valeur de guide méthodologique pour les aspects techniques innovants non traités par les règles de l’art usuelles. Ainsi, cet appui méthodologique a pu être exploité lors des phases de rédaction de pièces techniques du marché et d’études d’exécution de l’ouvrage. Ce document sera prochainement disponible sur le site du Cerema.
Le viaduc a été livré en juin 2021 et sera mis en service début 2023, après l’achèvement des travaux de la rocade. Le coût du viaduc s’élèvera à 9,7 millions d’euros hors taxe pour un coût global de la rocade estimé à 30 millions d’euros cofinancé par l’État (50 %), la Région (19 %), le Département (19 %) et la ville de Mende (12 %).