Un peu d’histoire
Dès la fin des années 2000, il est rapidement apparu, une fois l’ADSL (Asymmetric digital subscriber line, ligne numérique asymétrique d’abonné) généralisé, que des foyers et des entreprises dont la ligne téléphonique était trop longue, n’avaient pas accès à l’ADSL. Pour les rendre éligibles, il suffisait de raccourcir ces lignes en rapprochant les équipements actifs des opérateurs (DSLAM : Digital subscriber line access multiplexer : multiplexeur d’accès des lignes numériques d’abonnés) des usagers. Pour ce faire, France Télécom a alors conçu une offre technique et commerciale, le NRA-ZO (NRA : noeud de raccordement des abonnés et ZO pour Zone d’Ombre de l’ADSL), qu’elle a proposée aux collectivités qui souhaitaient investir pour résorber les zones blanches de leurs territoires. L’opérateur historique réservait ses investissements sur fonds propres aux nouveaux quartiers, aux zones d’activités ou à la suppression des GMUX (multiplexeurs qui empêchaient à l’ADSL de fonctionner sur les lignes desservies par eux).
Pour réduire le coût de ces opérations, le sous-répartiteur (SR) transformé en petit NRA était la plupart du temps raccordé par une liaison cuivre équipée d’un modem, ce qui présentait plusieurs inconvénients :
- les opérations se faisaient sur devis, avec de fait, un jeu de concurrence très limité ;
- le débit descendant proposé aux usagers était limité à 2Mbit/s ;
- il n’était donc pas possible de bénéficier d’une offre de télévision ;
- il n’était pas possible de dégrouper ce nouveau NRA, ce qui évinçait de fait la concurrence si le NRA d’origine était, lui, dégroupé ;
- et accessoirement, la liaison entre le NRA et le NRA-ZO était facturée à la collectivité sous forme d’une location mensuelle.
En réponse à ces inconvénients, en 2011, l’Arcep a incité France Télécom à mettre au point une offre industrialisée dénommée PRM (Point de Raccordement Mutualisé) qui permette d’améliorer les performances du réseau xDSL (désigne l'ensemble des technologies de desserte) dans des conditions plus satisfaisantes et de mieux définir les aspects de propriété. On parle désormais de NRA-MeD (MeD : montée en débit). Certains qualifient même ces opérations de "montée vers le très haut débit" pour deux raisons :
- les abonnés les plus proches de ce nouveau NRA (si leur ligne de téléphone mesure moins d’un kilomètre) peuvent bénéficier d’un débit descendant supérieur à 30Mbit/s, ce qui qualifie le Très haut débit, selon la norme fixée par la Commission européenne,
- ces installations ouvrent la possibilité d’offres de raccordement en fibre de bout en bout pour des entreprises situées dans la zone arrière de cet ancien sous-répartiteur,
- sous certaines conditions, ces installations préparent l’arrivée in fine du FttH (fiber to the home).
Le gros intérêt de cette nouvelle offre (site orange.com) encore commercialisée et améliorée au fil des années, est que le raccordement de ces nouveaux sites est obligatoirement réalisé par un lien fibre optique avec le NRA d’origine, ce qui augmente les débits offerts et rend possibles l’offre de télévision et le dégroupage. Pour cette dernière possibilité, l’Arcep a prévu des mécanismes financiers pour encourager les opérateurs dégroupeurs au NRA d’origine à venir aussi dans le NRA-MeD.
Dans le cadre du plan France Très haut débit, la France a dû justifier auprès de la Commission européenne que de l’argent public, de l’Etat et des collectivités, soit investi dans cette solution technique, au même titre que tout autre dans le respect du principe de neutralité technologique. La France s’est engagée à ce que les investissements réalisés soient, en grande partie, réutilisables à terme pour le déploiement des réseaux FttH. Près de 5000 opérations de montée en débit sur cuivre sont financées par le Plan.
Bilan à la mi-2018
A ce jour, près de 2000 NRA-ZO et 3600 NRA-MeD sont en service, ce qui a rendu éligibles ou a fortement augmenté le débit d’un million de lignes téléphoniques. Une part importante des opérations de PRM a été validée dans le cadre du plan FranceTHD.
Ces opérations sont très inégalement réparties sur le territoire car elles ont été le résultat de décisions politiques des Conseils départementaux ou de Syndicats mixtes. Certains ont misé fortement sur cette solution technique, d’autres peu en la mixant avec d’autres solutions, comme la mise en place de réseaux THD radio ou le subventionnement de kits satellites pour les foyers et les entreprises, voire pas du tout.
Sur la carte, en rose, la production du dernier trimestre (lien vers le site ant.cerema.fr pour visualiser la carte en grand format (ouverture dans une nouvelle fenêtre)).
Toutes les opérations qui ont été incluses dans le cadre du mix technologique du Plan France Très haut débit, ne sont pas encore en service. Selon les estimations du groupe Numérique et Territoires du Cerema, il en resterait environ entre 1500 et 2000 à produire (lien vers le site ant.cerema.fr pour visualiser le graphique en grand format).
Pour être complet, il faut aussi signaler que, dans le cadre de l’appel à projets France THD, 430 NRA ont été raccordés en fibre, au bénéfice d’un peu plus de 100 000 lignes, et qu’un peu moins de 500 NRA-ZO ont été raccordés en fibre optique pour 95 000 lignes, ce qui constitue également des opérations de montée en débit du réseau cuivre.
Dégroupage
Par rapport aux NRA-ZO qui ne sont aujourd’hui, selon les chiffres communiqués par l’Arcep, dégroupés qu’à 22%, les NRA-MeD montrent leur bien meilleure capacité à maintenir la concurrence à la sous-boucle avec un taux de dégroupage de 69%, même si ce pourcentage reste inférieur au taux de dégroupage des NRA d’origine qui s’établit à environ 90%.
Perspectives
Réutilisabilité des infrastructures déployées
Tous les acteurs conviennent qu’une opération de montée en débit sur le réseau cuivre est une solution d’urgence pour améliorer le quotidien des usagers, dans l’attente d’une solution pérenne, qui sera très probablement le déploiement sur le territoire concerné d’un réseau FttH.
Dans la perspective du déploiement de ce réseau, se pose légitimement la question de la réutilisabilité des investissements consentis par les collectivités.
Or, on constate que sur les 1950 NRA-ZO mis en service à ce jour, 1550, soit 80% d’entre eux, ont moins de 300 lignes, et sur les 3600 NRA-MeD mis en service à ce jour, 2821 NRA-MeD, soit les ¾, sont dans le même cas. Ce graphique illustre la répartition par taille des NRA-MeD en service (lien vers le site ant.cerema.fr pour visualiser le graphique en grand format).
On remarque que les SR de 200 à 300 sont, statistiquement, légèrement sur-représentés et que les tous petits, à moins de 50 lignes, sont délaissés. Il en existe tout de même 150.
A ces NRA-MeD, il faut ajouter leurs prédécesseurs, les NRA-ZO, qui sont au nombre de 2000, dont la répartition par taille n’est pas meilleure (1500 ont moins de 300 lignes) et 150 sont très petits avec moins de 50 lignes. A cela s’ajoute la difficulté qu’il en reste environ un millier encore raccordés en cuivre.
Pour les locaux actuellement desservis par ces NRA-ZO encore reliés en cuivre, leur desserte par un réseau FttH présentera les mêmes difficultés que ceux qui sont restés raccordés à un NRA historique car ni la dalle béton, ni l’armoire ne seront réutilisables. Quant à la disponibilité d’un accès au réseau électrique, elle sera peu utile, les sites concentrant des lignes FttH étant essentiellement passifs (lien vers le site ant.cerema.fr pour visualiser le graphique en grand format).
Rappel réglementaire
La décision n°2010-1312 de l’Arcep relative au déploiement du FttH en dehors des zones très denses demande aux opérateurs de construire des points de mutualisation (PM) de 1000 lignes. Si cela s’avère impossible, ils doivent faire au moins 300 lignes et l’opérateur qui déploie le réseau (opérateur d’infrastructure) doit proposer un accès en amont sur un point de raccordement distant mutualisé (PRDM) qui regroupe au moins 1000 lignes.
Pour être complet, il faut signaler que l’Arcep avait envisagé des exceptions à cette taille minimale de 300 lignes. Dans la même décision, elle écrivait :
Par ailleurs, sur des poches d’habitation isolées, la portée des équipements actifs peut constituer un facteur limitant et contraindre à installer de petits points de mutualisation contenant des équipements actifs. Il convient, dans ce cas, de prévoir une exception stricte à cette borne inférieure de 300 logements ou locaux à usage professionnel, liée à la disposition de l’habitat. Si l’opérateur d’immeuble souhaitait faire jouer cette exception, il conviendrait qu’il consulte au préalable les autres opérateurs sur l’opportunité de localiser le point de mutualisation à un niveau plus en aval dans le réseau, et qu’il soit en mesure de justifier son choix notamment par la disposition locale de l’habitat. En tout état de cause, l’opérateur d’immeuble doit alors proposer une offre de raccordement distant permettant de raccorder ce point de mutualisation dans des conditions économiques raisonnables.
Conclusion
Avec à terme plus de 7500 sites réalisés pour améliorer les performances du réseau cuivre depuis la fin des années 2000, le bon usage des deniers publics veut que les sociétés qui seront en charge de faire l’ingénierie des réseaux FttH pour les territoires qui ont bénéficié de ces travaux, s’efforcent de réutiliser au maximum les infrastructures existantes, qui sont :
- un fourreau de réserve entre le NRA d’origine et le site de montée en débit ;
- le câble de fibre optique reliant ces deux sites, s’il a été suffisamment dimensionné pour accueillir plusieurs FAI FttH ;
- l’accès au réseau électrique.
Quand la collectivité a financé un câble d’au moins 36 fibres, 12 étant réservées pour la montée en débit, des opérateurs peuvent utiliser les fibres surnuméraires pour offrir du THD à des entreprises situées dans la zone d’emprise du NRA-MeD, avant même l’arrivée du FttH.
Certains de ces sites pourront avoir la fonction réglementaire de point de mutualisation (PM) avec, dans la grande majorité des cas, l’obligation de proposer en amont un Point de raccordement mutualisé (PRDM) regroupant au moins 1000 lignes raccordables car ils desserviront moins de 1000 lignes. Pour les sites de moins de 300 lignes, l’opérateur d’infrastructure devra faire jouer l’exception prévue par l’Arcep, ou peut-être leur donner seulement la fonction de point d’aboutement (PA), un étage de concentration de lignes entre le point de branchement optique (PBO) (dernier équipement de réseau avant le raccordement final du client) et le PM, PA utilisé par certains opérateurs dans leur ingénierie de réseau.
Enfin, que dire du devenir des centaines de NRA-ZO, souvent de petite taille, qui sont encore reliés en cuivre à leur NRA d’origine ? Il est fort probable qu’aucun des investissements consentis par les collectivités soit réutilisable pour déployer le réseau FttH public.
A ces questions s’ajoute la montée en puissance des appels à manifestations d’engagement locaux (AMEL) où un opérateur privé va déployer un réseau FttH en zone publique. La réutilisabilité des opérations de montée en débit sur cuivre du plan FTHD pour ces déploiements pourrait soulever des questions juridiques relatives aux aides d’Etat qui ont fait l’objet de discussion avec la commission européenne.