A l'occasion de sa publication, son auteur Mathieu Rabaud répond à 3 questions sur ce travail et les enjeux pour les collectivités.
L'ouvrage "Mobilités du quotidien : Comprendre les années 2010 - 2020 pour mieux appréhender demain" est une rétrospective de la décennie 2010-2020 en termes de mobilités: un document de référence pour les acteurs du domaine, aussi bien publics que privés. Mathieu Rabaud, Chef de projet Connaissance et Analyse de la mobilité au Cerema et auteur de l'ouvrage, a répondu à 3 questions :
Cet ouvrage est le fruit d'une analyse approfondie de la mobilité urbaine de la décennie 2010-2020. Quelles sont pour vous les éléments les plus marquants?
Le retour des modes actifs fait incontestablement partie des éléments marquants. La marche est de plus en plus présente dans les discours et cela se traduit par une augmentation de sa part modale, ce qui signifie qu'une proportion plus importante des déplacements du quotidien est réalisée à pied. Dans le centre des agglomérations, c'est même souvent le premier mode de déplacement !
Le vélo quant à lui est encore plus présent que la marche dans les discours, mais son usage est en mutation profonde et sa pratique globale apparait stable. En fait, on assiste certes à une hausse du recours au vélo chez les actifs, notamment dans les zones urbaines, mais aussi à une baisse de l'usage chez les plus jeunes, particulièrement en périphérie. Il y a aussi beaucoup de choses à dire sur l'automobile, dont l'utilisation évolue de manière contrastée selon les territoires, mais pas forcément selon le clivage classique rural/urbain que l'on pourrait imaginer...
Un autre élément marquant est le développement de nouvelles offres de mobilité. Avant 2010, il n'était pas aussi fréquent de louer un vélo à assistance électrique, d'utiliser une trottinette électrique ou encore de remplir sa voiture de covoitureurs. Tout simplement parce que ces modes (ou services) n'existaient pas ou alors très peu. On notera d'ailleurs que nombre de ces services de mobilité sont opérés par des entreprises plutôt issues du numérique que des transports, ce qui bouleverse les pratiques pré-existantes des pouvoirs publics quant à l'organisation de la mobilité.
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Quelles sont les dernières évolutions dans les moyens d'observer les mobilités au niveau des territoires?
Pour observer la mobilité, il faut des données. On peut obtenir ces données soit de manière intégrée au service (station de comptage, volume de vente de titres de transport...), soit en réalisant une collecte spécifique (enquête) ou encore de manière indirecte (usage de données tierces comme celles de la téléphonie mobile). Ces trois familles de données ont subi des évolutions plus ou moins importantes sur la période considérée.
- Les données intégrées au service sont de plus en plus jalousement conservées par les opérateurs qui les produisent, surtout lorsqu'ils ne sont pas contractuellement obligés de les mettre à disposition. Les opérateurs en tirent un avantage compétitif lorsqu'ils se trouvent sur un marché libéralisé. Le besoin d'une régulation dans la production et la diffusion de données de transport et de mobilité se fait de plus en plus présente afin que cette connaissance profite à tous ceux qui doivent organiser la mobilité sur un territoire.
- Les collectes spécifiques ont dû s'adapter à un contexte plus compliqué économiquement et des évolutions sociétales qui ne facilitent pas forcément leur réalisation. Par exemple, les enquêtes ménages déplacements ont évolué pour devenir les Enquêtes Mobilités Certifiées Cerema, plus accessibles tout en restant aussi rigoureuses et pratiques pour analyser la mobilité et la comparer dans le temps et l'espace.
- Les données utilisées indirectement ont vu leurs sources se développer aussi rapidement que la société s'est numérisée avec notamment des capteurs divers et variés. Si des exploitations très intéressantes sont possibles, il faut rester conscient des limites de ces données et des potentielles difficultés à les reproduire dans le temps ou l'espace au gré des évolutions technologiques pour l'évaluation des politiques publiques à moyen terme. Il faut aussi accepter d'abandonner les indicateurs classiques de mobilité que l'on n'arrive pas à estimer de manière satisfaisante pour d'autres plus adaptés à ces nouvelles données, et donc à travailler sur des objectifs formulés différemment.
Toutes ces évolutions se font de plus dans un contexte où les règles concernant la protection des données personnelles se sont renforcées au niveau européen, limitant les croisements et les mises en relation dans le but de protéger la vie privée de chacun.
Quels enjeux principaux se dessinent pour les années à venir, pour les collectivités ?
Les collectivités en charge de l'organisation des mobilités vont devoir avant toute chose réussir à tourner la page du Covid qui a notamment fortement impacté la fréquentation des réseaux de transports collectifs (qui avaient bien progressé durant la décennie en terme de niveau de service, d'offre et d'usage) et à s'adapter aux évolutions sociétales qui en découlent (hausse du télétravail, explosion des services de livraisons à domicile, etc.).
Il va leur falloir également réussir à gérer d'une manière satisfaisante les nouveaux modes de déplacement et les services associés, en dialoguant avec des entreprises issues d'autres domaines que les transports. Trouver des règles du jeu équitables, qui permettent l'innovation et le développement de solutions intéressantes sans pour autant spolier les autres usagers de l'espace public ou les autres opérateurs de transport.
Enfin, et c'est évidemment le plus grand challenge, réussir à développer une mobilité répondant aux défis de l'urgence climatique qui soit écologiquement (il n'y a pas que les gaz à effet de serre à prendre en compte...), économiquement et socialement acceptable. Cela nécessite des choix politiques forts, suivis par des actes concrets sur le terrain et une continuité des ces actions dans le temps quel que soit le niveau d'intervention (local, régional, national voire européen). D'importants efforts sont encore à mener pour parvenir à nos objectifs à long terme.