17 mars 2022
Troupeau de vaches dans les champs
Thierry Degen - TERRA
Le projet de recherche CompAg, financé par l’Agence Nationale de la Recherche, a été initié en 2017. Il s’est intéressé à la compensation écologique en zone agricole, et en particulier à sa capacité à encourager la transition écologique des pratiques de production. Le rapport final a été rendu en janvier 2022, et une série de fiches thématiques pour les décideurs publics a été publiée.

Le projet CompAg a été coordonné par l’INRAE, et a impliqué le Cerema, le CNRS, l’Université Côte d’Azur, ainsi que la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, l’entreprise Agrosolutions et le réseau Terre de lien. Il avait pour objectif de déterminer dans quelle mesure les opérations de compensation écologique des projets d’aménagements peuvent contribuer à financer et/ou à accélérer la transition agro-écologique, et augmenter ainsi les bénéfices attendus de la compensation écologique.

 

Une opportunité pour la transition agro-écologique? 

Verger dans le sud de la France
Laurent Mignaux TERRA

La compensation environnementale est une obligation réglementaire qui concerne également des territoires agricoles. Le projet CompAg s’inscrit dans le cadre de l’obligation d’appliquer la séquence Eviter, Réduire, Compenser des impacts environnementaux les plus importants entraînés par les projets d’aménagement, et vise à prendre en compte les impacts dans leur globalité afin d’atteindre l’objectif de zéro perte nette de biodiversité inscrite dans la loi Biodiversité de 2016.

Le projet avait l’ambition de déterminer comment la transition écologique des pratiques agricoles pouvait être encouragée dans le contexte de la mise en œuvre de mesures compensatoires. L’enjeu était également de ne pas limiter les réflexions relatives aux mesures compensatoires aux seules espèces protégées comme c’est l’usage, et d’intégrer l’ensemble de la biodiversité et des fonctions écosystémiques présentes sur le site.

 

 

3 hypothèses à l'origine du projet :

Le projet CompAg était fondé sur 3 hypothèses qui ont guidé les travaux:

  1. La compensation écologique en milieu agricole doit pouvoir compenser à la fois les atteintes à la nature ordinaire et à la nature "extraordinaire". Pour déterminer l’offre de compensation disponible sur un territoire agricole, il est donc important d’identifier et de mesurer les fonctions et services écosystémiques rendus par ses agrosystèmes.
  2. L’évolution des pratiques vers une agriculture écologisée peut fournir un "gain écologique" conforme à l’obligation de compensation, qui doit s’intégrer à la logique productive de l’exploitation pour pouvoir reposer sur une activité économique pérenne, susceptible de perdurer pendant toute la durée des atteintes devant être compensées, comme l’exige désormais la réglementation.
  3. La constitution d’un mécanisme de compensation écologique par les changements de pratiques agricoles nécessite d’être encadrée juridiquement et évaluée d’un point de vue économique afin d’en garantir les effets recherchés : additionnalité écologique et transition agro-écologique.

 

champ de coquelicots

 

Etude de la bibliographie et études de cas

Une étude bibliographique portant sur 189 articles scientifiques a été réalisée et a permis de montrer que l’agriculture conventionnelle peut fournir des services écosystémiques même sur de petits espaces naturels. 

Cette étude bibliographique a également montré que la réflexion pour déterminer les mesures compensatoires est menée à l’échelle de la parcelle alors que l’appréhension des gains écologiques implique de réfléchir à des échelles plus larges, comme celle du paysage dans son ensemble.

L’analyse d’une cinquantaine d’études de cas a par ailleurs révélé deux situations types dans la mise en œuvre de mesures compensatoires par des agriculteurs : la remobilisation d’espaces délaissés ou marginaux pour y pratiquer l’élevage extensif, ou l’extensification voire l’arrêt de pratiques agricoles sur des espaces productifs, qui induit ainsi une diminution de la productivité de l’exploitation. 

 

Définir un modèle de démarche de compensation en territoire agricole

prairie en rhone AlpesA travers quatre axes de travail, l'objectif était de déterminer un modèle de démarche de compensation adapté aux territoires agricoles, fondé sur 74 indicateurs de services écosystémiques procurés par l'agriculture conventionnelle :

  1. Le premier axe visait à définir le concept de "nature ordinaire" dans une perspective opérationnelle afin d’outiller sa prise en charge dans les pratiques: il s‘agit d’espaces de nature qui ne sont pas protégés, ont un fonctionnement peu complexe et sont en relation avec les activités humaines. Dans la même perspective, cette partie a permis de faire l’état des connaissances sur le potentiel de gains écologiques de l’agriculture conventionnelle à travers la production de services écosystémiques : régulation des nutriments dans le sol, lutte contre les animaux ravageurs de cultures, pollinisation, séquestration du carbone, fourniture de biodiversité sont les services écosystémiques les plus souvent attendus selon l’étude bibliographique. Au total, 74 indicateurs différents de services écosystémiques dans les agrosystèmes conventionnels ont été identifiés.
  2. Le deuxième axe visait à évaluer le consentement des agriculteurs vis-à-vis du portage de mesures compensatoires (4423 agriculteurs ont été interrogés en 2017), et proposait une définition de la nature ordinaire pouvant être appropriée dans la mise en œuvre concrète de la compensation. 
  3. Le troisième axe était une analyse sociologique et juridique de la mise en œuvre actuelle de compensation écologique en milieu agricole afin d’éclairer les limites qui se manifestent lors du passage de la théorie à la pratique. Ce travail a fait apparaître que certaines mesures compensatoires sont largement privilégiées : l’entretien de prairies et moins souvent la création de haies et d‘habitats écologiques. Ces mesures peuvent avoir un impact négatif sur la production et entraîner des compensations, mais elles peuvent aussi contribuer à un gain de production. L’acceptation des mesures est fortement liée à la disponibilité du foncier.
  4. Le quatrième axe se projette dans l’amélioration de la compensation écologique, en modélisant une application qui prendrait en compte l’incertitude de l’efficacité des mesures (nécessitant donc davantage de surfaces) et l’enjeu de maintien de la structure du paysage.

Le Cerema a particulièrement contribué à l'identification et à la caractérisation des projets et mesures compensatoires qui concernent des territoires et acteurs agricoles, grâce à sa connaissance des outils de capitalisation des mesures ERC. Il a apporté son expertise relative au processus d'instruction des autorisations administratives, et mis en relation les différentes équipes avec les agents des services instructeurs concernés par cette thématique.

Enfin, il a piloté la rédaction de la fiche 4 relative aux exploitations possibles des bases de données capitalisant les mesures ERC, et participé activement à la phase de compilation et de rédaction finale des livrables. 

8 recommandations

A l’issue des travaux, les partenaires du projet ont formule 8 recommandations à destination des acteurs scientifiques et techniques de la séquence Eviter, Réduire, Compenser :

  • Recommandation 1. Appliquer la séquence ERC à la nature ordinaire,
  • Recommandation 2. Adopter une approche centrée sur les fonctions et services écosystémiques saisis par des indicateurs intégrateurs, pour outiller la prise en compte de la nature ordinaire.
  • Recommandation 3. Élargir le regard pour mesurer les services écosystémiques : plusieurs parcelles au minimum, le paysage dans l’idéal, en vue de construire les compensations écologiques de manière à maintenir la structure paysagère globale.
  • Recommandation 4. Élargir le regard sur les pratiques agricoles en co-construisant avec l’exploitant une stratégie globale permettant d’atteindre les gains écologiques attendus, sans engendrer de nouvelles pertes écologiques.
  • Recommandation 5. Articuler compensation écologique et compensation collective agricole dans une perspective de transition agro-écologique.
  • Recommandation 6. Améliorer la robustesse juridique et la qualité des contrats de mise en œuvre de la compensation en précisant les engagements de l’agriculteur et en prévoyant leur possibilité d’évoluer.
  • Recommandation 7. Améliorer la pratique liée à l’outil GeoMCE en optimisant son alimentation, en facilitant le versement des données par les aménageurs et en ouvrant l’accès aux acteurs de l’aménagement et au public.
  • Recommandation 8. Éviter les atteintes est l’objectif prioritaire, une compensation conforme à l’ensemble des critères posés par la loi étant techniquement quasiment impossible.