Mesurer la performance réelle des bâtiments : Une réflexion des acteurs du bâtiment sur les outils adaptés

22 février 2022
Isolation par l'extérieur d'un immeuble de plus de 15 étages
Daniel Coutelier - TERRA
Alors que la réglementation en matière de performances énergétiques et environnementales des bâtiments évolue, le Cerema et Novabuild ont organisé un forum auprès des adhérents pour recueillir leurs besoins en outils et solutions pour mesurer ces performances réelles des bâtiments lors de la construction ou de leur exploitation.

Dans le cadre du projet Sereine (Solution d'Evaluation de la PeRformance Energétique INtrinsèquE des bâtiments) du programme PROFEEL, le Cerema a organisé avec le pôle de compétitivité Novabuild un forum des adhérents pour les consulter sur les besoins en solutions de mesures.

Ce forum a eu lieu le 21 septembre à Nantes et a permis d'interroger ces acteurs du bâtiment (bureaux d'études, maitres d'ouvrage -promoteurs- bailleurs, architectes et maitres d’œuvre, opérateurs de mesure, et entreprises notamment la branche R&D) sur leurs pratiques en matière de mesure des performances réelles des bâtiments et sur les caractéristiques des outils qui seraient les mieux adaptés à cette mesure. Le Cerema présente les retours obtenus dans le cadre des échanges de cette journée, autour de deux questions principales.

 

Comment faire correspondre performances théoriques et performances réelles?

La première question posée aux participants, issus de différents métiers liés au bâtiment, de la construction à l'énergie, était la suivante:

Nous sommes en 2032, nous sommes parvenus à faire correspondre les objectifs de performance théorique avec les résultats réels. A votre avis et selon votre expérience, comment avons-nous fait ?

Plusieurs axes se dégagent des réponses apportées à cette question :

 

La mesure comme base de retour d’expérience pour mieux concevoir

Appareils de mesure de l'humidité dans un batiment test Le retour d’expérience est un levier important pour mieux concevoir et la mesure un des moyens de récolter du Retour d’EXpérience (REX) sur la performance réellement atteinte. Ainsi la multiplication de la mesure et l’exploitation du retour d’expérience sur celle-ci permet de mieux concevoir les bâtiments. De plus, les objectifs de conception et la performance théorique deviennent "réalistes".

Sur la conception, la majorité prône la simplicité, "dé-complexifier la technique" avec une "conception de bâtiments sobre et compacte" et des équipements "bien dimensionnés par rapport aux besoins" ainsi que "évolutifs, simple d’utilisation robustes et performants". Quelques-uns misent sur le bâtiment "intelligent qui par ses capteurs, analyse et ajuste les réglages".

 

La mesure comme moyen de vérification d’une démarche qualité ou d’un engagement

Pour y arriver apparait aussi l’importance de l’engagement sur le résultat ou a tout du moins de définir des objectifs en résultat (plutôt qu’en moyen) et donc de l’importance de la mesure de ceux-ci. 
Dans ce cadre, la mesure est importante à plusieurs titres :

  • Pour définir des objectifs réalistes, "atteignables", basés sur le retour d’expérience de la mesure. Voire, pour faire évoluer les méthodes de calculs afin de fixer des objectifs plus réalistes en intégrant l’usage. ;
  • Comme moyens de vérification de cet engagement ;
  • Et pour aller plus loin, dans la cadre d’une démarche qualité en cours chantier voire en exploitation. En effet, pour l’atteinte de la performance réelle, un commissonning "tout au long du projet depuis la conception jusqu’à 2 ans d’exploitation" doit être généralisé, avec notamment deux moments clefs :  la fin du chantier avec un "contrôle technique performance bâtiment"  et en exploitation avec un suivi des consommations "systématique" ;

 

De l'importance du temps accordé au chantier pour la bonne mise en œuvre

Pose d'isolant sur un mur intérieur
Arnaud Bouissou TERRA

Pour la bonne réalisation en cours chantier, outre la formation des acteurs, plusieurs leviers conjoints sont essentiels :

  • Le temps : "Les calendriers chantiers sont assouplis et intègrent les contraintes externes (météo, etc.)"
  • Une démarche qualité avec des jalons de vérification pendant la phase chantier et mesures et corrections le cas échéant ;
  • On a instauré une fonction "responsable de la performance énergétique" en phase chantier, comme cela peut exister pour l’étanchéité à l’air pour de plus gros chantiers ;
  • Ajout d’une nouvelle "phase de mise en service et test in situ pendant 3 mois" (avec ou sans occupants) ;

 

De l'importance de la mise au point et du suivi en exploitation

Comme pour le chantier, la mise en service et l’exploitation doivent s’inscrire dans une démarche qualité avec de la mesure ou des vérifications, et des corrections le cas échéant.
La phase de mise en service est très importante, et devrait être identifiée comme telle : ajout d’une nouvelle phase de mise en service et "test in situ pendant 3 mois avant arrivée des occupants" pour certains ou alors "Intégrer une période de "calibrage" des équipements aux usages"  pour d’autres, les deux n’étant pas incompatibles. 

De plus, pour l’atteinte de la performance réelle, le suivi en exploitation est incontournable. Il sera basé sur un protocole précis et fiable de suivi des consommations et de l’utilisation du bâtiment
Enfin, un outil en temps réel pour les particuliers et le suivi des dépenses énergétiques permettrait un meilleur suivi, voire un meilleur pilotage après livraison (« sensibilisation, suivi des indicateurs ») et un échange et dialogue avec les usagers.

 

De l'importance de la formation/ des acteurs et de l’appropriation des utilisateurs

Posts-its des réponses à la question de l'atelier
Réponses à cette première question lors de l'atelier 

Pour atteindre la performance réelle des bâtiments, l’implication, la responsabilisation et la formation de tous les acteurs (Conception, travaux, exploitants, usagers) est indispensable : "Toute la filière (MOA, MOE, entreprise, exploitant) travaille ensemble et est formée"

  • Sur chantier :  "Les artisans sont formés et accompagnés dans la mise en œuvre de la performance sur le chantier"
  • En exploitation "Les utilisateurs connaissent le fonctionnement du bâtiment et des équipements". Pour cela apparaît important l’accompagnement des utilisateurs : une "assistance est systématiquement mise en place" pour les utilisateurs, on a "formé les occupants pour la gestion du bâtiment" et ils ont bénéficiés de l’ "aide à l’appropriation du bâtiment". Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que les utilisateurs soient pris en compte et "intégrés tout au long du projet". Leurs "besoins sont au premier plan" du projet.

Ainsi au final la méthode de commissionnement se devra d’être inclusive, intégrant au contrôle, l’implication, la formation et la sensibilisation. 

 

Imaginer l'outil adapté à la mesure de la performance réelle sur chantier et en exploitation

La seconde question posée aux participants était la suivante :

Des chercheurs ont trouvé le moyen de réaliser des mesures de performance réelle. Quelles raisons vous amèneraient à utiliser cet outil ?

 

Quels objectifs ?

Ordinateur et dossier de diagnostic de performance énergétique du batiment
Arnaud Bouissou - TERRA

A quoi servirait cette mesure ?
De manière générale, la mesure contribue à la "montée en compétence de tous les acteurs de la construction" en ce qu’elle permet "de comprendre les écarts" entre la prévision et la performance réellement obtenue.

De plus, selon le cycle de vie du bâtiment, la mesure apporte un bénéfice à tous les acteurs à différentes étapes de la vie du bâtiment : 

  • Conception du bâtiment : la mesure permet d’améliorer "la conception des projets futurs avec ce retour d’expérience" pour le maitre d’œuvre ou le constructeur, ce qui permet pour eux à terme d’"Améliorer la qualité de la construction et d’être reconnu pour ça " et par conséquent d’avoir des "commandes en augmentation". Pour le maitre d’ouvrage ou le propriétaire, la mesure est très "utile en diagnostic pour orienter le programme de travaux" et permet aussi de rassurer "avec des résultats garantis".
  • Exploitation/ gestion : 
    • Pour un gestionnaire de parc de bâtiment, la mesure permet d’ "avoir une vision globale (aide à la décision sur un parc)"
    • Pour l’occupant, un outil de mesure en continu "donnera une possibilité forte de faire l’information/formation sur la performance réelle d’un bâtiment habité". Elle pourra permettre dans ce cas, à l’occupant "d’améliorer son usage du bâtiment". Un autre service pourrait être proposé à l’occupant, celui du confort garanti tout inclus : "abonnement à un forfait de kWh confort garanti".
  •  Travaux / Réception : La mesure en cours ou fin de chantier permet le "contrôle de la qualité du bâti pour dissocier les responsabilités en cas de surconsommations".  Cela permet à chaque entreprise d’attester la bonne réalisation de ses travaux. Pour le maitre d’ouvrage, cela permet de vérifier que son "bâtiment a bien été conçu et construit." Et enfin, en cas de défauts, cela "a un vrai impact !", puisque cela va "induire des actions pour corriger les écarts constatés". Enfin, dans l’acte de construire ou de rénover "la Mesure permet de fédérer chacune des parties prenantes du projet vers cet objectif", ce qui est un facteur clef de réussite.

En conclusion, deux types de solutions de mesures se dégagent :

  • En exploitation, la mesure continue pour "piloter" la consommation d’énergie du bâtiment et vérifier le cas échéant l’engagement sur la performance.
  • et à réception, une ou des mesures pour vérifier les travaux réalisés.

 

Quelles fonctionnalités ?

Concernant la solution de suivi en exploitation :

La mesure devra être en "continu, fiable et pérenne pendant toute la durée de l’engagement". L’outil donnera une possibilité forte de faire la "formation / information sur la performance réelle d’un bâtiment habité". Il devra être "intégré dans des équipements de base" (exemple : chaudières, chauffage…) et permettre un "diagnostic gratuit, automatique et continu". L’outil intègrera aussi la "cybersécurité" et le respect des données personnelles.

Cet outil se devra d’être "intuitif et simple à utiliser", pour pouvoir être mis à disposition des occupants qui souhaitent se l’approprier (massification). De même, il doit être abordable financièrement et facile à être mis en œuvre et à maintenir. Les résultats seront fiables et permettront de trouver des solutions d’optimisation. En cas d’engagement sur la performance, la comparaison des résultats à un référentiel d’engagement devra être simple.


L'outil pour la mesure sur chantier ou à réception :

La solution permettant la vérification de la performance des travaux réalisés à réception (ou en cours de chantier) devra pouvoir s’intégrer facilement dans le projet et au processus de gestion de chantier
Ce sera un "outil simple, fiable, financé et transportable". Sur le chantier, on demandera une "praticité de mise en œuvre" et une "faible intrusivité". La durée de la mesure sera courte (1 journée ?) et il existera une "hotline disponible" et la fiabilité de mesure sera de  +/- 10%.

La méthode d’analyse sera reproductible et rapide. Les résultats devront pouvoir être analysé par des "non techniciens".  Le retour d’expérience de son utilisation sera communiquant.    

 

Quel coût et quelle facilité d'accès à l'outil ?

Maison en fin de constructionDeux positions se dégagent sur la prise en charge du coût de la mesure, pas nécessairement antinomique, dans les deux cas, la mesure étant "aidée financièrement":

  • Il est demandé la possibilité de facturer une telle prestation "à aides financières" aux maîtres d’ouvrages "clients". En effet, une certaine indépendance vis à vis du résultat de la mesure plaide pour le fait que le coût soit pris en charge par le Maitre d’ouvrage, et non pas par le constructeur ou les entreprises concernées, si besoin est avec des subventions. Ceci n’est valable que pour une démarche volontaire du maitre d’ouvrage. Si la mesure était réglementaire, le maitre d’ouvrage ne serait plus indépendant par rapport au résultat de la mesure (on a vu des particuliers refusant de payer la prestation de mesure d’étanchéité à l’air, si son résultat s’avérait non réglementaire).
  • Un autre point de vue est que - au vu des enjeux climatiques, la collectivité devrait prendre en charge cette vérification.  Par exemple : c’est la ville qui instruit le permis de construire, et qui ferait la mesure après le chantier.  Quand la ville fait le contrôle environnemental, elle ferait son test de performance le même jour.

Une condition de réussite pour l’adaptation de cette mesure est qu’il aura été montré que l’outil apportait une plus-value (financière, sur le confort) sur plusieurs bâtiments. A noter que le prix de la mesure devra être en cohérence avec l’atteinte des objectifs d’économie d’énergie, comme pour le commissionnent, elle ne "doit pas coûter plus de x% des économies générées", ou des surconsommations évitées.


Comment le déployer, et à quel moment ?

Pour que les deux solutions de mesure soient déployables, il faut que chacune soit reconnue par l’ensemble de la filière (maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprise et exploitant), que le protocole de mesure (travaux) ou la méthode (suivi en exploitation) ai fait l’objet d’une certification, voire qu’elles soient reconnues juridiquement comme le DPE.

Plusieurs approches pour déployer ces solutions vont de la "démarche qualité" volontaire à la contrainte réglementaire, en passant par des incitations :

  • Démarche qualité :"Que cela reste dans une démarche de QUALITE avec valeur ajoutée" ou via des certifications/ labélisation ;
  • Les incitations, soit par la conditionnalité des aides : "Assortir l’outil aux subventions à la rénovation" ou comme "critère d’obtention de marchés (privés ou publics)" et comme "condition pour avoir des réductions de taxes pour le client final".
  • Contrainte réglementaire, par exemple : requis pour les attestations de fin de travaux, permis de construire …