Interview de :
- Malika Dati, Vice-présidente déléguée à la participation citoyenne, associative et territoriale, au conseil de développement durable, aux mobilités (Plan de déplacements urbains, piétons, vélos, nouvelles mobilités) Communauté urbaine du Grand Nancy (Métropole du Grand Nancy à partir du 1er juillet 2016)
- Frédéric Chastanier, Responsable de l’Ingénierie Ville Durable au sein du Pôle Territoire Communauté urbaine du Grand Nancy (Métropole du Grand Nancy à partir du 1er juillet 2016)
- Laurent Dupont, Responsable Scientifique Lorraine Fab Living Lab® (LF2L) et Coordinateur Scientifique du Lorraine Smart Cities Living Lab - Université de Lorraine - ENSGSI- ERPI
L’écoquartier Nancy Grand Cœur a été labellisé par l’État sur la question de la mobilité en 2011. Dans quel contexte ce projet a-t-il émergé ?
En frange de la ville historique, en plein centre d’agglomération, sur une friche ferroviaire proche de la gare centrale, le secteur de la Gare de Nancy constitue l’un des principaux pôles d’attractivité de l’Agglomération Nancéienne. Renforcé depuis 2007 par l’arrivée du TGV Est, il est considéré comme la première porte d’accès du territoire de l’agglomération avec neuf millions de voyageurs par an. Le projet Urbain Nancy Grand Cœur intègre notamment la ZAC 2 du même nom, qui répond à l’objectif de reconquête des espaces situés le long du faisceau ferroviaire, dans un périmètre de centre - ville d’environ 12 hectares. L’AREP (groupement pluridisciplinaire spécialisé dans les aménagements urbains des quartiers de gare), Jean-Marie Duthilleul (architecte / urbaniste) et Michel Desvigne (paysagiste) en sont les maîtres d’œuvre.
Le projet d’aménagement envisagé permet de conforter le positionnement et la fonction stratégique de ce quartier pour l’agglomération. Cette perspective s’accompagne de l’ambition de créer un projet d’aménagement durable qui intègre toutes les composantes urbaines d’un véritable écoquartier, dans une logique de mixité urbaine indispensable sur ce territoire à enjeux.
Dans cette perspective, le Grand Nancy a répondu à l’appel à projet « ÉcoQuartier » national organisé au printemps 2009 par le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de la Mer. Le projet Nancy Grand Cœur a été distingué, au titre de la mobilité. Le Grand Nancy avait construit sa candidature autour d’un projet d’aménagement urbain de centre - ville intégrant une gare. Le développement durable était affirmé comme une ambition forte du projet. Les objectifs et les actions engagées depuis mobilisent de manière transversale tous les services du Grand Nancy et de la Ville de Nancy en lien avec l’aménageur, le maître d’œuvre urbain avec le soutien de la Caisse des Dépôts.
Fort de sa distinction au concours « ÉcoQuartier » de 2009, les nouvelles mobilités urbaines constituent l’un des axes majeurs du projet avec le respect du patrimoine, la mutabilité du bâti existant, la mixité, la performance énergétique et la nature en ville. La maîtrise et la régulation des trafics ainsi que la mise en œuvre de nouvelles stations de mobilités rassemblant tous les modes de transports en commun et alternatifs (lignes 1, 2, 3 et 4 de TCSP, vélOstan’lib, bornes électriques, autopartage, covoiturage, bornes d’informations et de services) ainsi que la limitation et la mutualisation du stationnement favoriseront les modes de transport doux et collectifs.
Comment avez-vous favorisé les échanges autour de ce projet?
Dès l’origine, l’innovation en termes de nouvelle gouvernance et de participation des habitants et de tous les acteurs de la ville était une ambition politique majeure du projet.
Le Conseil de Gouvernance regroupe, outre Gare & Connexions, SNCF Réseau et le Grand Nancy, des représentants du Conseil de Développement Durable, les autorités organisatrices de transport, la Ville de Nancy, l’aménageur et l’ADUAN (Agence de Développement et d'Urbanisme de l'Aire urbaine Nancéienne), les opérateurs et maîtres d’œuvre, les propriétaires, les chambres consulaires, les transporteurs et prestataires, les usagers, commerçants, riverains et Ateliers de Vie de Quartiers.
En parallèle à ce Conseil, le Grand Nancy a mis en œuvre une large concertation avec les habitants au sein des Ateliers de la Fabrique, espace de concertation ouvert à tous.
Quelle a été la stratégie à l’origine des questions sur la mobilité? Comment avez-vous procédé ?
En termes de mobilités, le projet a pour ambition de composer un quartier autour du piéton en créant de nouvelle continuité piétonnes et de nouvelles places dans la poursuite de la trame du cœur historique de la ville. Cette ambition passe par la suppression du transit, par la limitation de la place de la voiture, (partage de l’espace public, suppression du stationnement de surface sauf pour l’autopartage), la réduction (-20%) et la mutualisation du stationnement automobile souterrain. Ce nouveau partage de l’espace permet d’offrir des espaces publics et verts qui favorisent les mobilités douces.
Cette ambition et les changements de comportements nécessaires pour l’atteindre, notamment en termes de mobilités douces, ont nécessité de convaincre et de concerter.
Comment avez-vous mené la concertation ? Qu’est-ce que « la Fabrique » ? Qui en a eu l’initiative ? Comment ça marche?
De nombreuses instances participatives contribuent à la constance et la qualité du dialogue : des instances thématiques, des instances permanentes de concertation comme le Conseil de développement durable, le Conseil de la vie étudiante ou encore la Commission consultative des services publics locaux, des Ateliers participatifs dédiés aux projets urbains, ou encore des comités d’usagers thématiques.
Ces instances visent à écouter la parole du citoyen pour reconnaître son expertise d’usage et le mettre en responsabilité au côté de l’élu, à fonder une intelligence collective, à passer de citoyens consommateurs à des citoyens contributeurs et co - acteurs en encourageant l’exercice d’une citoyenneté active qui alimente le processus de décision publique.
La gouvernance de projet et une concertation innovantes, réunissant l’ensemble des acteurs, notamment les habitants, est une ambition majeure de cet écoquartier, notamment sur un thème très sensible, celui de la place de la voiture et des mobilités alternatives.
Mis en place au titre de l’écoquartier Nancy Grand Cœur depuis 2011 et animés avec l’appui de l’Université de Lorraine, la Fabrique Nancy Grand Cœur est un démonstrateur d’une nouvelle approche de concertation, entre le Grand Nancy et l’Université de Lorraine (Laboratoire ERPI) pour accompagner la participation citoyenne et la conception collaborative de l’écoquartier. Depuis 2011, plus de 30 ateliers ont été organisés et près de 300 personnes ont été mobilisées. La mobilité a notamment fait l’objet d’un focus particulier.
Nous parlons maintenant d’un quartier « école » où tous les acteurs de la ville viennent se former à de nouvelles pratiques, des promoteurs aux citoyens.
Concrètement, quelles ont été les actions d’aménagement et d’offre de services mises en place ? Qu’est - ce qui marche ou ne marche pas?
Pour permettre la réduction de la voiture en ville et du stationnement, il faut multiplier les actions, convaincre encore et toujours et multiplier les offres de mobilités.
En parallèle à la réduction de la place de la voiture, nous développons les services et le stationnement vélo au travers d’aménagement avec 213 km de réseau cyclable et 217 km de voies en zone 20 ou 30, le service vélOstan’boutic créé en 2007 avec 1 000 vélos en location, le service vélOstan’lib créé en 2008 qui offre aujourd’hui 250 vélos et 29 stations et une subvention de 250 € pour l’achat d’un vélo électrique.
Les nouveaux services passent aussi par la simplicité d’accès à une information et à une tarification unique qui est le premier facilitateur de l’usage des transports, ainsi que par le soutien aux services de covoiturage et d’auto-partage et aux nouvelles formes de livraisons urbaines (dernier km, livraison électrique, consignes urbaines…).
Depuis août 2013, un outil d’aide à la mobilité a été créé : G - Ny, qui informe en temps réel sur les horaires, itinéraires, points d’intérêt…
Le Grand Nancy a mis en place l’abonnement Simpli’Cité regroupant les abonnements aux différents systèmes de transports en commun et au vélOstan’lib.
De manière générale, quelles actions de communication avez - vous mises en place pour provoquer un déclic dans les changements de comportements des usagers ou dans la création de nouveaux comportements ?
Dans toutes les actions de concertation et de communication initiées par le Grand Nancy, ce qui a émergé fortement, c’est de faire de ce nouveau quartier une destination zen et anti - stress. Le piéton y sera donc chez lui. L’espace public est pensé pour permettre le repos et le sport. La circulation des véhicules est limitée, le stationnement de surface est supprimé et le quartier est desservi par 4 lignes de tramway et de bus à haut niveau de service.
Par ailleurs Nancy Grand Cœur sera un quartier « basses calories » puisque les habitants et usagers pourront pratiquement tout faire à quelques minutes à pied. Il faut que la marche redevienne une notion de plaisir et l’espace public est conçu pour cela. Toutefois, il est nécessaire d’accompagner les personnes dans cette démarche, sans être moralisateur ; c’est pourquoi nous avons un projet de jeu pour 2016 : Les Mollets d’or. L’idée est de créer une application numérique pour favoriser la marche et le vélo. Les déplacements ainsi effectués donneraient des points, transformables en bons d’achat auprès des commerçants du quartier que nous comptons bien mettre dans la boucle.
Quelles sont les perspectives d’avenir (en lien avec la mobilité) pour cet écoquartier?
Pour encourager l’usage des transports en commun, du vélo ou de l’auto - partage, nous innovons dans nos approches. Par exemple, nous discutons avec les promoteurs immobiliers la possibilité d’inclure la mobilité comme un service intégré dans le prix du logement, à la vente ou à la location, avec une application pour réserver la voiture en partage ou louer une bicyclette.
Une équipe projet réunit le Grand Nancy, la SOLOREM, AREP et CITIZ, opérateur de service de voitures en libre - service, pour implanter 2 à 3 stations dans l’écoquartier et travailler sur le modèle économique. Aujourd’hui, six stations existent déjà.
Les facteurs de réussite : il faut qu’il soit plus simple de ne pas avoir de voiture que d’en avoir, que l’offre soit intégrée dès la commercialisation des logements et des programmes tertiaires avec un abonnement offert.
Ce travail est fait en lien avec la Poste pour intégrer dans les stations de mobilité des consignes urbaines ouvertes à d’autres (commerces, autres livraisons, etc.).
L’intégration de cette offre de services au logement pourrait également concerner les vélos.
Pour accompagner et accélérer les changements d’usages, des campagnes de sensibilisation sont nécessaires, la première utilisation étant la plus difficile à amorcer…
Cela vous sert - il comme moteur pour d’autres expériences ? Quel impact sur d’autres quartiers ? Sur l’urbanisme du quotidien ? Ces changements d’usages dans l’écoquartier se sont - ils développés ailleurs dans le grand Nancy?
Comme nous l’avons dit, le Grand Nancy entend la démarche écoquartier comme quartier « école », espace d’apprentissage pour tous et dont les actions ont vocations à s’étendre sur l’ensemble de l’agglomération. Au-delà des 2 autres écoquartiers du Grand Nancy, l’expérience acquise sur ce quartier stratégique permet d’aborder, de manière pédagogique, avec les autres communes et sur d’autres quartiers les problématiques du développement durables.
Les changements de comportement et de manière de faire la ville nécessitent une attention à l’évolution des usages et une adaptation permanente de nos actions. Sur le quartier Nancy Grand Cœur, les ambitions seront à mesurer au regard du retour des futurs habitants sur la qualité de vie et, au besoin, à adapter à de nouveaux besoins.
Par ailleurs, le partenariat avec l’Université de Lorraine sur la Fabrique Nancy Grand Cœur a notamment contribué à la création de la Chaire universitaire collaborative REVES (Renaissance Ecologique des Villes) et une plateforme de recherche dédiée.
En effet le monde de l’urbanisme évolue et la ville devient un véritable sujet de recherche nécessitant des concepts et dispositifs novateurs notamment en termes d’évolution numérique par l’approche dite « smart city » et en termes d’intégration des usages par l’approche « Living Lab ».
Il s’agit de développer une ingénierie collaborative permettant aux différentes parties prenantes de contribuer à la conception de la ville de demain.