15 décembre 2021
Vue d'une rue de Dinan depuis les toits (maisons en pierre de granit)
Benh Lieu Song
Plusieurs programmes de revitalisation se sont succédé ces dernières années, d’abord à visée expérimentale pour les centres bourgs, puis à destination des villes moyennes et tout récemment en direction des petites villes. Il est possible d’en extraire des bonnes pratiques de gouvernance, d’ingénierie technique et financière, pour lancer et piloter une initiative de dynamisation locale.
Cet article du Cerema a été publié dans la revue TechniCités l'année dernière.

logo techni citésLes villes moyennes, petites villes et centres bourgs subissent les effets de la métropolisation du territoire depuis plusieurs décennies. La course à la croissance et au renforcement de l’attractivité des villes métropoles a laissé à l’écart les autres pôles urbains, ce qui a généré un sentiment fort de délaissement de ces territoires et de leurs habitants.

Souhaitant dynamiser leur centre, les collectivités territoriales font face à la complexité de l’articulation entre les échelles communale et intercommunale, illustrée notamment par la concurrence entre le centre de la ville principale et les autres communes, l’insuffisante mutualisation des équipements publics et le manque de coordination des politiques d’urbanisme, de planification et de foncier – quand elles sont encore gérées à l’échelle communale.

Les petites villes et centres bourgs sont aussi confrontés à un manque d’ingénierie interne. Ce besoin d’appui technique s’exprime moins dans la phase diagnostic que dans la phase de montage opérationnel des projets (financements, choix d’outils, acteurs mobilisables, etc.), et peut constituer un frein important pour faire appel aux subventions des autres collectivités (département, région, État, Europe). Enfin, les petites villes et villes moyennes souffrent aussi de la faible présence d’opérateurs et investisseurs privés.

 

Identifier les leviers de la revitalisation

Ces collectivités disposent cependant d’atouts incontestables pour redynamiser leur territoire : un cadre de vie de qualité, des territoires à taille humaine, proches de la nature, combinant solidarité sociale et bien-être individuel.

 

La crise liée au Covid-19 a accentué l’attractivité de ces territoires, notamment grâce au développement du télétravail. Ces communes disposent d’un réseau d’acteurs moteurs pour activer le projet de revitalisation : des élus locaux en début de mandat, motivés, souvent au fait des nouvelles aspirations et méthodes, l’implication des habitants, des entreprises et en particulier celles de l’économie sociale et solidaire. Elles peuvent aussi s’appuyer sur l’essor de nouveaux services liés au déploiement du numérique, notamment pour soutenir l’activité des commerces de proximité et encourager la mobilité partagée.

rue commerciale à Boulogne sur MerLes projets de territoires doivent être construits à la bonne échelle. Il s’agit de dépasser le périmètre de la commune pour porter un projet à l’échelle intercommunale, voire du bassin d’emploi, pour mutualiser les moyens et rationaliser les choix d’équipements publics (sportifs, culturels, économiques...). Ils doivent présenter une dimension globale et transversale entre les différents domaines d’intervention des politiques publiques (habitat, aménagement des espaces publics, développement économique, foncier, social, environnement).

La construction du projet repose sur une méthodologie comprenant :

  • une phase de diagnostic pré-opérationnel à la fois partagé et participatif,
  • une phase de définition de la stratégie et du plan d’action s’appuyant sur une gouvernance de projet associant la multitude des partenaires publics (État, région, département, EPCI, pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), bailleurs sociaux, chambres consulaires, etc.).

Permettant de structurer la mise en œuvre d’un projet d’ensemble cohérent, l’opération de revitalisation de territoire (ORT), mise en place par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan, de novembre 2018, constitue un bon outil. Ce dernier donne, par ailleurs, accès à la défiscalisation Denormandie pour les opérations de réhabilitation des logements en centre ancien et permet de mieux maîtriser les implantations commerciales en périphérie, tout en facilitant leurs autorisations en centre-ville.

La priorité de l’action publique doit être donnée au renforcement du centre par la réduction de la vacance, le traitement des friches commerciales et industrielles, à l’inverse de l’extension urbaine actuelle. Ce type de politique a été mené à Aulnoye-Aymeries, ville du Nord de près de 10 000 habitants, ayant connu une forte restructuration de son tissu industriel. La commune a réussi depuis près de vingt ans à "reconstruire la ville sur elle-même" en concentrant tous les équipements publics dans le cœur de la ville (lycée, collège, moyennes surfaces commerciales, maison de santé, équipement culturel...). Les résultats sont très positifs en termes de "vivre ensemble" et d’attractivité du centre-ville et ce, sans avoir artificialisé de nouveaux espaces.

 

Équilibre et cohésion

Différents programmes et dispositifs visent à renforcer le maillage au sein d’un territoire en complémentarité des métropoles, en redynamisant des centres urbains et ruraux en vue d’améliorer leur attractivité et aussi d’accompagner la décroissance démographique et économique.

L’État a lancé plusieurs programmes nationaux ayant pour objectif la revitalisation des centres, différenciés en fonction de la taille des communes, pilotés aujourd’hui par l’Agence nationale de la cohésion des territoires :

  • Revitalisation des centres bourgs (en 2014) programme expérimental pour 53 communes inférieures à 10.000 habitants,
  • Action cœur de ville (en 2018) pour 222 villes moyennes (ou binômes de villes) de 20.000 à 100.000 habitants.
  • Petites villes de demain lancé en 2021 accompagne 1.600 communes et intercommunalités de moins de 20.000 habitants exerçant des fonctions de centralité.

Le Cerema, partenaire de ces programmes, apporte son expertise technique et méthodologique auprès des communes et EPCI souhaitant renforcer les compétences de leurs élus et techniciens et être appuyés dans la conception et la mise en œuvre de leurs projets.

choisir et expérimenter les bonnes pratiques

vue d'une place de village avec des gens
Saint-Martin-de-Londres - H. Moreau

L’agilité et la réactivité des petites et moyennes collectivités favorisent la mise en place de démarches d’expérimentation et d’innovation. Très variées, ces démarches peuvent concerner des méthodes, des projets, des outils, etc.

L’objectif est de lancer des actions visibles rapidement, comme la végétalisation des rues, l’occupation des vitrines, l’installation de mobiliers urbains, l’organisation d’événements, la mise en place de boutiques à l’essai, etc.

 

Ces actions favorisent la mobilisation des acteurs locaux porteurs d’initiatives dont le potentiel effet de levier est important.

 

Elles contribuent ainsi à changer l’image de ces territoires et enclenchent une dynamique positive. L’approche "artisanale" et le droit à l’erreur constituent des aspects cruciaux de l’innovation ou de l’expérimentation.

L’innovation peut porter sur la gouvernance, afin de diversifier les points de vue et les expertises notamment via la co-construction et la coopération. Certaines collectivités soutiennent ainsi les initiatives citoyennes, lancent des appels à idées pour mobiliser une ingénierie créative ou décloisonner les instances de travail et de décision par une gouvernance plus collégiale.

L’objectif est de se centrer sur les usages et les usagers afin de répondre au mieux à leurs besoins. Une veille locale sur les innovations accélère l’acculturation des acteurs.

S’adapter et expérimenter concerne aussi des montages juridiques et financiers. À travers le recours à du financement participatif, des projets peuvent se concrétiser plus rapidement. Employer des structures coopératives permet aussi de mutualiser les moyens et partager les risques.

L’utilisation du bail réel solidaire, qui offre la possibilité de dissocier la propriété et l’usage, est également une piste intéressante pour l’accession sociale à la propriété. Ces projets et actions servent de leviers pour mettre en mouvement les acteurs. Il s’agit de projets qui se matérialisent concrètement sur le territoire communal comme des aménagements temporaires dans l’espace public, le développement de tiers-lieux, des opérations d’habitats innovants (participatifs ou intergénérationnels), la promotion et la valorisation de l’économie locale tels que des circuits courts alimentaires...

Ils peuvent transformer ou infléchir le développement local à travers la création de couveuses ou pépinières ou le développement de nouveaux services numériques. Des exemples de ces actions transversales et co construites sont accessibles grâce aux Rendez-vous mensuels du Forum des solutions, qui sont des sessions de partage d’expérience entre  acteurs  locaux,  institutionnels  et  économiques  organisées dans le cadre du programme national Action cœur de ville.

C’est ainsi que La Rivière (Isère) a engagé une véritable transformation de son cadre de vie (bâti, espaces publics, environnement) à partir d’actions innovantes, parfois modestes mais souvent complémentaires et progressives.

La labellisation "Écoquartier étape 4" de cette petite commune en milieu rural témoigne d’un engagement régulier et d’une démarche constante d’amélioration continue. Par exemple, la nouvelle école, construite en 2013, résulte d’un projet pédagogique associant les élèves, depuis le marquage des arbres jusqu’au chantier. Une filière locale et courte a été privilégiée à travers l’utilisation du bois de la forêt communale pour la structure et le bardage du bâtiment.

Vue d'une réunion dans le cabanon Cuyes
Réunion avec les habitants dans le cabanon Cuyès- Crédit : Bruit du Frigo

Autre exemple : à Dax (Landes), inscrite dans le programme Action cœur de ville, un chantier ouvert et participatif a permis d’améliorer le cadre de vie d’un quartier prioritaire en s’appuyant sur la maîtrise d’usage des habitants.

À travers l’installation d’un équipement éphémère, le Cabanon Cuyès, par un groupement de maîtres d’œuvre et d’une association, les habitants ont participé à des ateliers pour définir des aménagements des  espaces  publics  de  proximité,  réalisés  lors  de  chantiers participatifs. Chacun a pu être sensibilisé à l’urbanisme et à l’architecture grâce à de nombreux temps d’échanges.

Cette méthode a permis de faire évoluer le plan d’aménagement global et de l’adapter au fil du temps et a également impulsé une pratique "hors les murs" (entre 2012 et 2018) qui favorise la reconnexion au centre-ville du quartier, ainsi moins stigmatisé, et encourage d’autres quartiers à mettre en place ce même type de processus.

 

Du bâtiment vide au lieu de vie

À Lavelanet, en Ariège, de nombreux bâtiments sont vacants suite à la disparition de l’industrie textile et restent sans projet. C’est à travers l’outil de l’urbanisme transitoire que Ouishare et La Capitainerie (collectif d’architectes, designers et urbanistes) ont animé un événement pour imaginer des futurs possibles pour l’ancien hôpital et la Maison Roaldès, du nom d’un ancien banquier.

Le 4 décembre 2019, après une visite des lieux, habitants et élus ont participé à une soirée organisée en trois temps : sensibilisation sur l’occupation temporaire et les tiers-lieux, retour d’expériences de lieux hybrides en Occitanie et atelier participatif pour définir de possibles usages pour les deux bâtiments. À cette occasion, des animateurs de tiers-lieux ont partagé leur expérience : le projet de l’Escalys à Saint-Lys (Haute-Garonne), le Pré Vert à Rabastens (Tarn) et le tiers-lieu de Limoux (Aude). La suite reste à écrire avec les acteurs du territoire.

Par Vincent Laurent, animateur de Ouishare en Occitanie

vue de panneaux lors d'un atelier
Atelier avec les habitants organisé par Oushare - Crédit : Vincent Laurent Ouishare

 

De la revitalisation à la résilience

La crise sanitaire actuelle engendre une vision négative de la densité urbaine qui peut nuire à l’image des centres, même de taille modeste. Mais ces considérations peuvent aussi entraîner une volonté de relocalisation d’habitants et d’activités vers des villes plus petites.

Dans tous les cas, ce contexte obligera à repenser l’aménagement urbain à l’échelle du quartier (renouvellement ou développement urbain) voire du territoire. De même, l’objectif de zéro artificialisation nette oblige à innover pour reconstruire la ville sur la ville, repérer, traiter et reconvertir les friches. Les villes petites et moyennes et leurs EPCI peuvent adopter une démarche d’aménagement durable, en s’inspirant des années d’expérience du Cerema sur le terrain, à travers :

  • vue de l'entrée d'un tiers lieux appelé Mains d'oeuvre
    Arnaud Bouissou TERRA
    La compréhension des problématiques bloquantes, en particulier celles liées à la programmation ;
  • L’identification de tous les acteurs locaux susceptibles de contribuer au projet;
  • La construction et l’animation des ateliers de travail pour identifier les différentes voies de résolution des problématiques
  • L’assurance de réunir les conditions favorables pour l’émergence du projet ;
  • La consultation des opérateurs, leur choix, le suivi du projet.

Ces collectivités peuvent pour cela s’entourer d’appuis extérieurs, notamment pour trois types d’interventions proposées par le Cerema et mobilisables successivement, conjointement, ou indépendamment les uns des autres :

  • Appui à l’émergence de projet (diagnostic, gouvernance, mise en mouvement des acteurs, stratégie intégrant transition et résilience) ;
  • Accompagnement du projet (expertises thématiques facilitant la mise en œuvre concrète d’actions, appui méthodologique) ;
  • Formations autour du projet d’aménagement ou de la démarche de revitalisation.

Adopter une démarche de résilience permet de définir une stratégie globale de réaction et d’anticipation accompagnée d’un plan d’action intégré. Il s’agit de prévoir les crises pour éviter qu’elles se produisent, et si elles surviennent, d’en atténuer l’effet et de s’en relever le plus rapidement possible.

Les centres-villes et centres bourgs sont exposés à divers types de risques qui pourraient compromettre le succès d’une politique de redynamisation s’ils n’étaient pas pris suffisamment en considération. C’est le cas de nombreux centres anciens implantés au bord de cours d’eaux ou sur des sites géologiquement exposés.

S’y ajoutent bien évidemment les risques sanitaires et climatiques. De même que pour l’aménagement durable, le Cerema a identifié un "mode d’emploi" de la résilience dans les territoires, à travers plusieurs principes d’action :

  • Adopter une vision stratégique, globale, multi-acteurs et inclusive, en travaillant à l’échelle adaptée à chaque sujet  ;
  • Apprendre, anticiper et s’adapter, en mobilisant la mémoire et la flexibilité d’adaptation ;
  • Réduire les vulnérabilités pour préserver et garantir l’essentiel (définir puis prioriser les conditions du bien-être actuelles et à terme, leur socle commun et leurs modulations) ;
  • Renouveler l’ingénierie territoriale (oser des solutions moins habituelles, diversifier les ressources locales, sécuriser des infrastructures ou services par la redon-dance, créer des liens) ;
  • Changer de regard, se mettre en mouvement.

Dans un contexte très difficile pour les budgets publics, il importe pour les décideurs locaux engagés dans une action de redynamisation de s’assurer de la pertinence de leurs choix, dans la triple perspective:

  • de maintien des capacités d’intervention de la collectivité à moyen terme ;
  • de l’adaptation des projets aux besoins locaux,
  • d’inscription dans le cadre plus large de politiques nationales et internationales pour atteindre les objectifs globaux de cohésion sociale, de préservation de la biodiversité et de lutte contre le dérèglement climatique.

 

Il est nécessaire de construire une ville et des territoires sobres, résilients et inclusifs: en raison du contexte environnemental global et les législations nationales, mais aussi parce que cette qualité constituera de plus en plus un élément essentiel de leur attractivité, donc du succès de la politique de revitalisation qu’elles entendent mener. 

 

Article rédigé par Raphaèle  Ratto, directrice de projets en aménagement opérationnel et petites villes de demain ; Anne Vial, directrice de projets quartiers durables et cœur de ville ;Patrice Morandas, responsable du Groupe planification, stratégies foncières et urbaines, Cerema territoires et ville.