La peur de l’autre et de la contamination s’est aujourd’hui estompée et n’est plus un critère de choix de mobilité pour la population. Cette synthèse propose un état des lieux des changements de comportements de mobilité, et de la résilience des différents modes de déplacement.
La Covid-19 a causé des ruptures dans la mobilité des Français
La période de la crise sanitaire a provoqué une rupture dans certaines pratiques de mobilité. Un premier constat est que la mobilité des Français, mesurée en nombre déplacements par jour, a baissé. On observe, ainsi, dans les EMC2 qui ont eu lieu depuis 2021, qu’en moyenne, chaque jour, les personnes enquêtées déclarent moins de déplacements. Cette baisse de la demande (tous modes) est d’environ 12%. L’enquête en Ille-et-Vilaine montre ainsi que l’on passe de 4 déplacements en moyenne par jour à 3,55 déplacements.
Sur Angers Loire Métropole, le constat est encore plus flagrant, le nombre de déplacements journaliers passant de 4 à 3 ! Cette diminution de la mobilité est d’autant plus marquante que ces chiffres étaient très stables depuis 20 à 30 ans, voire même plutôt en progression. Impact du télétravail ? Hausse du carburant ? Volonté de moins se déplacer pour convenance personnelle ? Transition démographique ? Cette tendance à la démobilité et les raisons associées seront à analyser dans les années à venir.
Territoire enquêté | Enquête covid | Taux de mobilité | Enquête post-covid | Taux de mobilité |
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Ille-et-Vilaine | 2018 (EDGT) | 4,04 | 2023 (Fréquence Plus) | 3,55 |
Angers Loire Métropole | 2012 (EDGT) | 4,00 | 2022 (EMC2) | 3 |
Sables d'Olonne Agglomération | 2010 (Enquête CERTU) | 4,17 | 2021 (EMC2) | 3,3 - 3,5 (selon les secteurs) |
Nantes Métropole | 2015 (EDGT) | 4,20 | 2022 (enquêtes locales) | 3,4 |
Une des grandes évolutions de notre société ces quatre dernières années a été une montée très forte du télétravail. Pratique encouragée, voire imposée, durant les confinements de 2020 et 2021, elle a perduré dans les entreprises, le secteur public et associatif. D’après la base unifiée des EMC2 de 2022, chaque jour 5,6% des actifs sont en télétravail (contre seulement 1% durant la décennie 2010), et 23% d’entre eux déclarent le pratiquer, plus ou moins fréquemment. Ce phénomène est cependant plus fréquent dans les grandes agglomérations, et dans certaines professions : cadres, professions libérales ou professions intermédiaires. En seulement deux ans, cette pratique a pris toute sa place dans le monde professionnel.
Ce changement de paradigme a entrainé des évolutions dans les comportements : diminution des abonnements aux transports en commun, tendance à un éloignement vers le péri-urbain, diminution du trafic routier autour de certaines agglomérations. Le développement du télétravail pourrait faire apparaitre le concept de « jour de pointe » de demande de transport. Même si la mobilité au quotidien semble encore peu touchée par ce phénomène, la stabilisation de la pratique du télétravail permettra dans les prochaines années de cerner ses effets sur les trajets domicile-travail (fréquence, durée) mais également sur une diminution potentielle des émissions de polluants liés à la mobilité légère.
Le vélo a été le grand gagnant de l’année 2020. Sa pratique était déjà poussée depuis plusieurs années par les politiques publiques mais son usage va prendre un nouvel envol à la suite du 1er confinement. Fuyant les transports en commun et les risques de contamination, les Français se tournent vers le vélo pour leurs déplacements du quotidien, aidés par l’apparition des coronapistes. La tendance se confirme durant les années suivantes, avec une augmentation de la pratique, tant utilitaire que de loisir. L’objectif du plan vélo de 2018 n’est pas encore atteint (objectif de 9% de part modale en 2024) mais les EMC2 réalisées dans le Grand Ouest montre une part modale autour de 6% - avec parfois une multiplication par 3 de ce chiffre en dix ans !
Les transports en commun urbains (bus, métro, tram) ont beaucoup souffert de cette crise sanitaire. Les Français les ont boudés en raison d’une peur de la contamination que pouvaient occasionner ces "lieux" fermés et potentiellement bondés… et fin 2023, force est de constater que les chiffres de la fréquentation ne sont toujours pas revenus à leur niveau de 2019. Après une belle décennie 2010 où les transports en commun urbains avaient vu leur popularité augmenter, avec notamment des réseaux incluant des Bus à Haut Niveau de Service, les voyageurs doivent être reconquis. Cette baisse de la fréquentation incite les Autorités Organisatrices de la Mobilité à se pencher sur le modèle économique actuel de leurs réseaux.
Les trois principaux réseaux de transport public urbain de la région Pays de la Loire (Nantes, Angers et Le Mans) enregistrent 212 millions de voyages en 2023. La croissance de +6,9 % par rapport à 2022 (et de +14 % dans la seule agglomération d’Angers, grâce à l’extension du réseau de tramway) est à relier au prix élevé des carburants automobiles. Par rapport à 2019, la fréquentation est, en revanche, toujours en recul de -3,5 %.
Un autre moyen de locomotion qui a souffert de la crise de la Covid-19, c’est l’avion. Moyen de transport privilégié pour les déplacements internationaux (45% de part modale en 2019), l’avion a connu une diminution spectaculaire de son usage. Le début de cette décennie a été chaotique pour le secteur : des frontières fermées pendant plus d’un an, des contraintes sanitaires fortes pour les voyages à l’étranger (tests, vaccins, …), des déplacements professionnels remplacés par des visio-conférences... Le trafic aérien intérieur n’est toujours pas revenu au niveau pré-Covid à la finalisation de ce rapport en septembre 2024. Le trafic international a retrouvé son niveau pré-Covid seulement en mars 2024, soit 4 ans après le déclenchement de la pandémie.
D’un autre côté, les trains régionaux et longue distance ont vu une amélioration de leur fréquentation dès la levée des restrictions de circulation. Au niveau national, on constate une reprise rapide, dès juin 2020, de l’offre (TGV, Intercités, TER), seuls les trains internationaux étant encore impacté par la fermeture des frontières. Après une décennie 2010 en dents de scie, la fréquentation des réseaux ferrés reprend plus rapidement que pour les autres modes. Deux ans après la crise sanitaire, le train retrouve une fréquentation égale à 2019. Fréquentation toujours en hausse en 2023, augurant une augmentation de la part modale de ce mode.
Conséquence des évolutions de la mobilité, la crise de la Covid-19 a créé une rupture dans les émissions de GES des transports. En 2020, les émissions du secteur ont diminué de -16%, et le budget carbone de la période 2019-2023 a été respecté. Certains changements de comportements de mobilité constatés pourraient contribuer à atteindre les prochains objectifs de diminution des émissions, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 25 ans. Le développement de la pratique de certains modes de transport moins carbonés est une opportunité pour les années et décennies à venir.
En effet, les habitudes développées suite à cette crise sanitaire par les jeunes générations (étudiants et actifs) pourraient perdurer et se répercuter dans 20 ou 30 ans pour ces tranches de population qui seront alors actifs ou jeunes seniors.
La Covid-19 a accéléré les mutations déjà en cours
Le trafic routier des véhicules particuliers a été impacté par les restrictions de circulation, mais moins fortement que les autres modes. En plein cœur de la crise sanitaire, la voiture individuelle est un refuge contre la contamination. Cependant, trois ans plus tard, le trafic routier n’a pas rattrapé le retard de croissance engrangé en 2020. Autour des pôles urbains du Grand Ouest, l’année 2022 marque un quasi-retour au trafic de 2019 (en nombre de véhicules comptabilisés), à l’exception notoire de Nantes Métropole. Dans la continuité des observations de la fin de la décennie précédente, la part modale de la voiture semble diminuer dans les premières EMC2 post-Covid.
Dans le sillage du vélo, les autres modes actifs semblent prendre plus de place dans les déplacements des Français depuis 2020. Plusieurs EMC2 ou enquêtes locales montrent une appétence accrue pour la marche (+ 6 points de part modale sur Angers Loire Métropole en 10 ans) et les Engins de Déplacements Personnels, telle que la trottinette, ont de plus en plus de visibilité. Cependant, les données restant encore peu fiables sur ces modes, les politiques publiques leur donnent encore peu de place.
À la sortie du 1er confinement, la presse s’était fait l’écho d’un besoin d’espace et de verdure exprimé par les Français, et beaucoup d’analystes se demandaient si l’on assisterait à un nouvel exode urbain. Quatre ans après, force est de constater que cet exode n’a pas eu lieu. Cependant, on continue d’assister à une périurbanisation des ménages : l’éloignement des centres-villes permettant d’avoir accès à des propriétés plus grandes et potentiellement avec un extérieur. Certaines parties du Grand Ouest connaissent effectivement une variation positive de leur solde migratoire plus importante qu’avant Covid, marquant l’existence de flux locaux de périurbanisation. Les territoires attirant le plus d’habitants restent ceux qui étaient déjà attractifs auparavant : littoral, bonne connectivité avec les centres urbains…
Les habitudes d’achat des Français ont également été perturbées lors de la pandémie, avec la crainte de se rendre dans les supermarchés et surtout la fermeture administrative des commerces « non essentiels » pendant certaines périodes : magasins non alimentaires, restaurants, bars… La période de crise sanitaire a donc contribué à l’accélération des achats en ligne : courses en Drive, livraisons de repas à domicile, achats non alimentaires sur les sites de e-commerce… Ces évolutions contribuent également à faire évoluer la mobilité des Français, alors que les achats sont le 2e motif de déplacement (après le travail ou les études).
La Covid-19 a perturbé temporairement certaines activités
En raison à la fois des restrictions de circulation et de la crainte de la contamination, le covoiturage organisé a connu une forte baisse de la demande en 2020. Cependant, le nombre de covoiturages enregistrés dans le Registre de Preuve de Covoiturage a connu une croissance exponentielle entre 2021 et 2023, le covoiturage informel (en famille, entre collègues ou amis) étant difficilement quantifiable. La pratique du covoiturage a été encouragée par les politiques publiques mais également par l’augmentation du prix des carburants début 2022. L’effet négatif de la crise de la Covid-19 a donc très rapidement été estompé.
Les cars de longue et moyenne distance, qui étaient apparus sur le territoire en 2015, (dits "cars Macron") ont été ralentis dans leur développement. Les deux opérateurs nationaux ont quasiment stoppé leur offre lors du 1er confinement (pas de continuité de service comme pour les TCU) et, malgré une grande agilité de leur part pour adapter leurs réseaux aux contraintes, la fréquentation reste en 2023 encore inférieure à 2019.
Le trafic des poids-lourds a diminué lors du 1er confinement de 2020 pour atteindre -21% durant la dernière semaine. Cependant, les chaines logistiques se sont rapidement adaptées à la situation sanitaire, les flux étant portés par le développement du e-commerce et le besoin en approvisionnement des commerces alimentaires. Sur l’année 2020, le transport intérieur de marchandises par poids-lourds n’a diminué que de -3,7%. Dans le Grand Ouest, les comptages routiers démontrent un retour au trafic poids-lourds pré-Covid dès 2021.
Les modes ferrés et fluviaux de transport de fret ont moins bien résisté au contexte de crise, notamment de par la nature des produits transportés (diminution de l’activité des entreprises de BTP). Fait notable, le transport aérien de fret a été mis quasiment à l’arrêt, car les avions, qui transportent également des passagers, étaient cloués au sol. Le transport maritime a donc pris la relève et cette désorganisation des flux a entraîné une explosion des prix. Les grands groupes logisticiens ont bénéficié de cette augmentation des prix jusqu’en 2022, puis, l’évolution de leur chiffre d’affaires a retrouvé un niveau plus "conventionnel".
D’une crise à l’autre, une mobilité qui continue d’évoluer
Dans le cadre de cette méta-étude, peu d’éléments ont pu être récoltés sur l’impact de la crise sanitaire sur la mobilité des différents segments de population (par tranches d’âges, catégories socio-professionnelles ou types de territoire). Il serait intéressant que cet angle soit considéré dans les prochaines analyses des impacts qu’a pu avoir la Covid-19 sur la population française. Il faut également noter que les évolutions observées sont également dues en partie à d’autres facteurs qui sont apparus depuis 2020 : des politiques publiques incitatrices envers les modes de transport plus vertueux (à travers des aménagements de la voie publique, ou des incitations financières), des événements géopolitiques (augmentation du prix des carburants, inflation).
Les changements de comportement de mobilité s’observent sur le long terme et il sera donc important à la fin de cette décennie de faire la part des choses sur les événements qui auront effectivement contribué à ces changements.