Cet article fait partie du dossier : Dossier : Marche en ville
Voir les 10 actualités liées à ce dossierCes premières assises de la marche s'inscrivent dans un contexte où les villes déploient des aménagements pour développer les modes actifs et faciliter la cohabitation des différents modes de déplacements: zones 30, zones de rencontres, piétonnisation des rues d'écoles se multiplient.
Elles étaient organisées à la fois en webinaire et sur place à Marseille par le collectif Place aux piétons (qui réunit la Fédération Française de Randonnée, Rue de l’Avenir et 60 Millions de Piétons), avec le soutien de l’ADEME, du Ministère chargé des sports, du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône et de Transdev, et ont notamment permis de présenter les résultats du baromètre des villes marchables.
Quelle place du piéton dans la ville ?
La journée a comporté trois séances plénières et 6 ateliers au cours desquels une trentaine d'intervenants issus d'horizons divers (représentants associatifs, agents de moyennes et grandes collectivités, chercheurs, bureaux d'études, agents de ministères et du Cerema) qui ont permis d'échanger sur les enjeux liés à la marche et la place des piétons.
Le Cerema s'est nettement impliqué dans la préparation de ce colloque : en tant que membre du comité de pilotage, du comité scientifique et animateurs de deux ateliers. Plusieurs agents du Cerema ont présenté des études sur les piétons à différents moments de la journée.
Le Cerema a également tenu un "stand virtuel" présentant une bibliographie des productions du Cerema prenant en compte les piétons, un quizz sur les recommandations du Cerema, un espace de discussion.
Cette implication du Cerema sur le sujet de la marche en ville a été rappelée par plusieurs intervenants, en particulier Thierry du Crest (Coordonnateur interministériel pour le développement de l'usage du vélo), qui a mis en avant des productions récentes : les fiches favoriser la marche et le guide aménagements piétons provisoires.
La marche : un mode de déplacement essentiel pour la mobilité et les villes de demain
La marche est un mode de déplacement à part entière ! C'est le deuxième mode de déplacement au niveau national (23.7% des déplacements en 2019), en progression de 1.4 pts depuis 2008. La marche est utilisée pour des déplacements jusqu'à 2 ou 3 kilomètres, elle est utilisée pour tous les motifs de déplacement, avec cependant un déficit pour se rendre au travail.
Qui sont les piétons ? Il s'agit plutôt de femmes, et les proportions de personnes se déplaçant à pied sont plus fortes chez les jeunes et les plus de 65 ans que chez les 18-64 ans. Ce sont les habitants des couronnes des pôles urbains qui marchent le moins ils marchent significativement moins que les habitants des communes rurales par exemple.
Il ne faut pas oublier que la marche est un maillon essentiel de l'intermodalité et l'alliée incontournable des transports collectifs ! 30 à 45 % des déplacements en TC nécessitent plus de 5 minutes de marche pour rejoindre le point de départ du trajet : arrêt de bus, gare, station de métro, etc. (Mathieu Rabaud, Cerema).
Anne Faure, de Rue de l'avenir, ajoute que c'est aussi un mode indispensable dès que l’on aborde les questions de climat, de lien social et de cadre de vie. C'est souvent la présence de piétons qui illustre la qualité, l'animation, et la convivialité d'un espace public. Ils participent aussi au dynamisme économique des centres-villes et centre-bourgs, avec des retombées économiques indirectes trop souvent sous-évaluées.
Or les piétons ont besoin de retrouver leur place dans les espaces publics et même sur le trottoir : c'est ce que rappelle Hervé Dupont, de 60 millions de Piétons, en utilisant la jungle comme métaphore. Il lui apparait nécessaire de protéger les piétons les plus vulnérables face aux autres usagers, motorisés ou non.
Un premier baromètre des villes marchables
Diffusés une semaine auparavant, les résultats du premier baromètre des villes marchables ont été régulièrement cités pendant ces assises. Ce questionnaire initié par le collectif Place aux piétons et la fédération de randonnée a recueilli 68510 contributions, permettant de mieux comprendre les ressentis, les points noirs et les envies des piétons.
Des cheminements piétons plus larges, des trottoirs réservés aux piétons, plus de verbalisation du stationnement sur trottoirs et passages piétons, plus de modération des vitesses sont les leviers plébiscités par les répondants.
Ces attentes varient selon l'âge des répondants et les tailles de communes : la modération des vitesses est une attente forte dans les communes de moins de 5000 habitants et le désencombrement des trottoirs une problématique plutôt liée aux villes de plus de 100000 habitants. A noter également que les petites communes obtiennent de meilleurs scores que les grandes villes.
Des expériences étrangères très instructives
Plusieurs pays européens ont développé une stratégie nationale ou un plan national sur la marche. Si les enjeux principaux sont les mêmes : la sécurité, la santé publique, le développement durable, la qualité de vie urbaine, les modalités de mise en place restent assez différents précise Violette Baccou, qui a écrit un rapport sur ce sujet.
Le plan directeur marche autrichien, un des premiers en Europe, comporte de nombreuses actions visant à la fois les infrastructures existantes et une meilleure sensibilisation des habitants et acteurs.
La future stratégie piétonne allemande s’inspire d’une démarche législative menée dans le land de Berlin, ainsi que d’un document cadre préalable non contraignant mais visant à inspirer d’autres démarches. Des subventions spécifiques sont mis en avant en Angleterre : elles visent à développer des quartiers à trafic limité ou des plans piétons locaux.
Un focus spécifique a été fait sur Sienne par Angelo Latorre, représentant pour l'Italie de la Fédération Européenne de Randonnée Pédestre et sur Bruxelles par Mathias de Meyer, de Bruxelles Mobilité. Avec un objectif de 50 % de part modale et 250km de zones de rencontre ou d’aires piétonnes, le nouveau plan régional de mobilités de Bruxelles capitale donne une place importante aux piétons. Surtout, il s’accompagne d’outils originaux : Good Network (une carte du futur maillage piéton), be.walking (une application sur les raccourcis piétons), fixmystreet.brussels (une plateforme participative de signalement de problèmes) ou la campagne de promotion sur "Les Pieds" !
Pour la France, Thierry du Crest, Coordinateur interministériel pour le développement de l’usage du vélo, a rappelé que la marche est "entrée dans le code des transports" avec la Loi d’Orientation des Mobilités (LOM). Des financements spécifiques peuvent être mobilisés pour des aménagements piétons, par exemple le fond mobilités actives ou la dotation de soutien à l’investissement local.
Une proposition de plan piéton national pour atteindre 30% de part modale en 2030
Ces assises ont aussi été l'occasion pour le collectif Place aux piétons de détailler une proposition de Plan piéton national. Ces grandes propositions ont ensuite été commentées à la table ronde finale par des représentants du ministère des Sports, de l'ADEME, du CVTC, du Cerema, ainsi que des représentants politiques : un député et un conseiller régional.
La conclusion de ces assises de la marche est revenue à Thierry Pacquot, philosophe de l’urbain, qui a rappelé la nécessaire sensibilité avec laquelle il convient de traiter les piétons : ménager plutôt qu’aménager.
"6 points pour atteindre l'objectif de 30% de part modale de la marche en 2030" :
- organiser une gouvernance nationale
- développer une ingénierie territoriale
- faire évoluer la réglementation
- développer la recherche
- encourager la pratique de la marche
- agir sur l'espace public pour une ville apaisée et accueillante aux piétons.
Retours sur Les ateliers : de nombreux retours d’expériences
Six ateliers ont complété ces enjeux en couvrant la grande diversité des enjeux liés à la marche en ville. Comment aménager une ville accueillante pour tous les piétons ? Comment inciter à marcher plus ? Quels sont les impacts sur la santé, le social et l’économie ? Comment concerter ? Comment agir sur les territoires péri-urbains ?
Atelier 1 : Aménager la ville accueillante : quels aménagements pour ménager le piéton ?
Comment prendre soin des piétons ? Comment protéger les plus fragiles ? La très grande diversité des piétons était mise en avant dans cet atelier :
- Pour une marche en ville accessible et inclusive (Pauline GAUTHIER / Cerema - Chef de projets accessibilité)
- L'utilisation de l'urbanisme tactique pour mener un projet de piétonisation d'une artère principale : la rue Clémenceau (Johan GARDON / La Roche sur Yon)
- La ville leur appartient : les quartiers fermés de Marseille. Cette privatisation entrave à la fois vie collective et mobilité à pied, notamment concernant le chemin de l’école (Julien DARIO / Région PACA)
En partant du vécu personnel des participants, Pauline Gauthier, du Cerema, a montré la nécessité de concevoir des aménagements inclusifs et universels, en illustrant son propos par des exemples à la fois conformes à la réglementation et qualitatifs. Visionnez ici son diaporama.
Atelier 2 : Pour une culture de la marche, changer nos comportements de manière durable ?
La marche est une compétence qui s'acquiert à l'école et tout au cours de la vie, et qui demande des actions d'encouragement. De nombreux exemples d'actions destinées à sensibiliser ou à inciter à marcher dans la ville ont été présentés lors de cet atelier animé par le Cerema (Cédric Boussuge) et le Club des Villes et Territoires Cyclables (Catherine Pilon et Romain Legros).
Deux actions particulièrement réussies ont été présentées :
- Un "challenge marche à pied" mené par Keolis Quimper et Quimper Bretagne Occidentale, présenté par Marie-France Vayssières (Keolis). Via une application mobile, les usagers du transport en commun étaient invités à participer en mai 2021 à ce challenge : 233 participants et 22 millions de pas réalisés, soit 19000 kilomètres parcourus :
- La démarche Rues aux enfants, rues pour tous, présentée par Marianne Duffet (Vivacités Ile-de-France). Ces fermetures temporaires de rues pour le jeu des enfants leur apprennent à se familiariser avec l’espace public que beaucoup ne connaissent qu’à travers les vitres des voitures de leurs parents.
Deux démarches visant à développer une culture de la marche ont été mise en avant :
- La plateforme "Place aux piétons" de l’agglomération stéphanoise, présentée par Anne de Beaumont (Place aux piétons Saint Etienne). Mise en place fin 2020, cette plateforme regroupe une dizaine d’associations locales et des personnes physiques dont les compétences constituent des ressources. Elle permet la mise en synergie de plusieurs actions visant à sensibiliser des enfants, des parents, des étudiants, et à proposer des aménagements en faveur de la marche.
- Un plan marche en action, présenté par Valérie Denis (Brest Métropole). A l’occasion de la rédaction de son premier Plan Marche, Brest Métropole a lancé un projet participatif auquel ont répondu des habitants, des conseils de quartiers et des étudiants. Des balades urbaines, des animations sur un pont routier, des balades augmentées ont été expérimentées.
La plupart de ces démarches sont reproductibles dans d’autres villes, centre-bourgs et territoires péri-urbains. Elles soulèvent l’importance du caractère ludique : la signalétique, le jeu, voire le détournement de mobilier urbain apportent un caractère réjouissant à ces démarches. Il s’agit de positiver la marche plutôt que de culpabiliser, de donner envie de parcourir les espaces publics plutôt que de contraindre.
Elles montrent aussi l’importance de mobiliser aux moments charnière de la vie : à l’école, à l’université, à l’entrée dans la vie active, ou au passage à la retraite.
Atelier 3 : Marcher c’est se déplacer !
Cet atelier a largement abordé les problématiques des déplacements de proximité : les bénéfices à supprimer du transit motorisé dans certains quartiers (Frederic Héran, université de Lille), ou à apaiser les vitesses (Audrey Gatian et Perrine Prigent, Ville de Marseille). La complémentarité de la marche avec les autres modes a aussi été mise en avant pour évoquer les déplacements longue distance : avec les transports en commun (Olivier Prentout et Bertrand Ayral, à propos du pôle multi-modal de La Rochelle) mais aussi avec les voitures. Sur ce dernier point, une intervention du Cerema (Jérôme Cassagnes) portait sur : Favoriser la marche en délocalisant le stationnement dans les petites villes et villages.
Le stationnement en ville occupe une place non négligeable de l'espace public que ce soit dans les centres des grandes villes et métropoles, ou des petites et moyennes villes.
Une politique de stationnement globale visant à réduire le stationnement dans les centres en délocalisant une partie du stationnement peut encourager la marche à l'échelle des quartiers ou des centres urbains.
L'aménagement de parcs relais de stationnement n'est pas réservé aux grandes métropoles. La délocalisation du stationnement peut avoir plusieurs effets bénéfiques pour la marche :
- Un report modal vers la marche (trajet parking délocalisé vers centre à pied mais aussi un report modal vers la marche plus généralisé)
- La diminution du trafic automobile traversant le centre ou le quartier,
- L'espace public ainsi libéré du stationnement deviendra potentiellement plus attractif par une requalification de ces espaces permettant à d'autres fonctions urbaines de s'installer au profit de tous les usagers
Atelier 4 : Les enjeux sociétaux de la marche : lien social, santé, économie
Cet atelier a mis en avant deux expériences montrant les bénéfices de la marche sur la santé et le lien social: la balade à Roulette (Frédéric Brouet, administrateur FFRandonnée) et le programme D-Marche (Olivier Dailly / ADAL, Président).
Pour compléter ces enjeux sociétaux, Aurélie Duboudin du Cerema a présenté une étude orientée sur les bénéfices économiques indirects générés par les piétons : Attractivité commerciale de centre-ville et marche, les apports d'une analyse bibliographique.
Les commerçants des centres-villes manifestent régulièrement leur mécontentement lors d'aménagements visant à restreindre la place de la voiture dans l'espace public au profit d'aménagements en faveur des piétons et du vélo. Une analyse d'une douzaine d’études françaises et étrangères, réalisée pour le compte de Rennes Métropole pour objectiver ce ressenti, a permis d'apporter des éclairages sur les liens entre aménagement, vitalité commerciale des centres-villes et modes de déplacements.
- La piétonnisation est un facteur d'attractivité commerciale certain et répond également aux attentes des usagers du centre-ville (qui souhaitent un environnement urbain de qualité, agréable, loin du stress engendré par la circulation automobile et qui permet de lier l’acte d’achat à la demande de promenade urbaine et de convivialité).
- La piétonnisation engendre une évolution des établissements au sein du périmètre considéré et contribue à accentuer les tendances préexistantes (notamment la disparition des commerces fragiles). Si les retombées économiques sont importantes, elles sont inégales selon les types d'établissements et leur localisation au sein de la zone piétonne.
- Les commerçants et les clients ont des attentes et des visions le plus souvent opposées. Confronter les attentes des deux côtés permet d'objectiver et de confronter les besoins de chacun.
- Une part non négligeable (40 à 64%) des déplacements à destination des petits et moyens commerces sont effectués à pied et en vélo.
- Les piétons et les cyclistes sont de bons clients. Leur panier moyen d’achat par commerce est inférieur à celui d’un automobiliste mais leur fréquence de visite est plus importante, ce qui au global en fait des clients plus fidèles.
Atelier 5 : Comment associer les marcheurs aux décisions qui les concernent ?
Cet atelier animé par Elodie Barbier Trauchessec de l'ADEME, Cédric Boussuge et Sylvain Michelon du Cerema, a permis de mettre en avant une grande diversité de méthodes pour impliquer les piétons dans des projets à différentes échelles d'intervention (territoire, ville, grande avenue).
Solenne Darricades (AUDAP), Isabelle Smaghue et Laurence Pouillaude (Métropole Européenne de Lille), Julia Goula Mejon (EQUAL SAREE) ont montré de belles expériences recueillant les avis, les envies et les ressentis des piétons, de tous les piétons : habitants et usagers, commerçants, promeneurs, flâneurs, enfants, femmes, seniors …
La difficulté sémantique à définir les "marcheurs", se traduit par des difficultés à associer tous les profils de piétons concernés lors de la transformation d’un espace public. Cet enjeux pousse les collectivités et les concepteurs à adapter leurs méthodes : marches exploratoires, enquêteurs de rue ou en ligne, ateliers en langue étrangère, évènement festif ...
Ces balades à pied montrées à Anglet, Lille ou Barcelone se traduisent par des diagnostics à la fois plus précis et plus justes.
Cela suscite aussi de nombreuses questions : tous les usagers ont-ils été pris en compte ? Comment aller à la rencontre de celles et ceux qui sont oubliés de la concertation classique ou qui sont plus difficiles à toucher (lycéens ou personnes parlant d'autres langues par exemple) ? Y a-t-il des habitudes de participation qui se crééent parmi les habitants ? Les piétons se sentent-ils appartenir à une communauté ? Comment ces méthodes sont perçus et utilisés par les différents services des collectivités ?
Atelier 6 : La marche pour reconquérir les territoires urbains et péri-urbains
Comment changer radicalement notre manière de fabriquer la ville ? Comment passer d’une ville de l’automobile à une ville piétonne ? Evolution ou rupture ? Quelles stratégies mettre en œuvre pour que les évolutions soient comprises, attendues, souhaitées ?
3 interventions ont apporté des éléments et exemples sur ces problématiques :
- Les actions du Club des villes cyclables en faveur de la marche. Piétons et cyclistes : organiser la cohabitation : Certaines villes adhérentes au Club des villes et territoires cyclables mènent des actions en faveur de la marche depuis de longues années. La crise sanitaire a eu pour conséquence d’augmenter très significativement la fréquentation vélo (22 %) et, dans une moindre mesure, celle de la marche. Les villes adhérentes au Club souhaitent renforcer leurs efforts concernant la marche pour améliorer la cohabitation entre les deux modes (Romain Legros, Chargé d’études au Club des Villes et Territoires cyclables)
- GR 2013 : un sentier urbain pour reconquérir le territoire ? Retour sur 10 ans d'expérience. (FFRandonnée Bouches-du-Rhône)
- Les "Panamées" : En 2003, au sein de la FFRandonnée Paris, germait une idée : faire partager la passion de randonner par le plus grand nombre dans les rues de Paris et donc d’organiser pas seulement pour les adhérents des clubs de randonnée, des marches des randonnées des balades dans la capitale... (Daniel Ramey / Président FFRandonnée PARIS)
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