Dans un contexte fortement marqué par les crises de différentes natures, les territoires et les villes doivent répondre à de grands défis qui peuvent totalement bouleverser des façons de voir antérieures : faire avec la nature plutôt que contre elle, anticiper la défaillance des réseaux, faire des risques une opportunité, organiser une résilience d'ensemble.
La rencontre associait à guichet fermé des participants venus des quatre coins de l'Hexagone : scientifiques, représentants des collectivités locales, opérateurs de réseaux, ingénieurs du public et du privé, représentants des établissements publics. Une culture de la transversalité s’est imposée d’emblée : les participants sont venus pour dépasser les approches sectorielles. Les échanges en ateliers comme en plénières ont confirmé les possibilités offertes par les démarches collectives et transdisciplinaires pour affronter la complexité des situations.
Le séminaire a confirmé la nécessité de revisiter nos fondamentaux. Par exemple, l'arbre, habituellement ultime note au projet comme équipement urbain, a vocation à devenir l'élément vivant autour duquel l'aménagement peut se structurer autour des services qu'il rend. L'exploitation des apports des travaux est engagée pour une publication de synthèse à l'été 2019.
Quatre défis que les territoires ont à relever
Ce séminaire avait pour objectif d'établir des éléments de méthode pour relever les défis auxquels les territoires sont confrontés.
1. Sécuriser les territoires vis-à-vis des défaillances des systèmes techniques
Si les systèmes techniques sont un atout pour les territoires, ils sont aussi facteurs de vulnérabilité, contrepartie inévitable de leur performance et de leur usage grandissants.
L’omniprésence et la centralisation des systèmes techniques (eau, assainissement, énergie, fibres, approvisionnement dans la vie quotidienne des populations) figurent parmi les changements que les sociétés se doivent d’analyser sous l’angle des risques. Les gestionnaires doivent s'interroger sur la défaillance possible de ces systèmes.
Les territoires doivent prendre en compte le risque d'événements imprévus (rupture du pont Morandi à Gênes, incendie d'un poste électrique qui a bloqué la circulation des trains à la gare Montparnasse...), même s'ils sont exceptionnels.
Les réflexions menées sur les infrastructures vitales ou critiques se heurtent cependant aujourd’hui à la question de la multiplicité des réseaux jouant un rôle essentiel dans la vie et l’activité économique des territoires et de leurs interconnexions. Des "effets en cascade" peuvent survenir.
À différentes échelles de territoire, la place des systèmes techniques relatifs au cycle de l’eau, à l’énergie, aux transports et aux modes de
communication est rarement interrogée dans une analyse globale des risques. Cette analyse est cependant nécessaire sous l’angle de la viabilité des territoires et de leur sécurité globale, les différents sujets étant étroitement liés.
Pour réduire des fragilités environnementales, économiques ou sociales, recourir à des systèmes techniques est souvent nécessaire. Leur localisation doit aussi être ajustée afin de sécuriser le fonctionnement des territoires et améliorer leur viabilité.
2. La nature comme composante majeure de l’aménagement urbain résilient
La nature est un autre facteur d’attention dans le contexte d’une perturbation des écosystèmes à l’échelle planétaire. La réalité d’une crise écologique est corroborée par des atteintes structurelles à l’environnement : effondrement de la biodiversité, dérèglement climatique, épuisement de fleuves traversant de grands territoires, pollution de l’air à grande échelle, etc.
Comment éviter alors localement au moins une dégradation irréversible des conditions d’habitabilité des espaces de vie ? Anticiper les événements comme la sécheresse par exemple, pour en limiter les effets, représente un enjeu de résilience pour les territoires.
De façon récente, une prise de conscience s’est opérée, c'est ainsi que les métropoles et les villes ont investi dans la revalorisation des berges des fleuves et rivières. Parallèlement, une ingénierie écologique s’est développée pour gérer, préserver ou restaurer les écosystèmes, en s’appuyant sur l’utilisation de moyens et processus naturels, et en croisant les points de vue écologiques, économiques et sociaux.
L’ingénierie écologique intervient sur différents types d’espaces : agricole, urbain, forestier, aquatique pour corriger des dysfonctionnements. C’est une ingénierie de la résilience des écosystèmes, définie comme la capacité des écosystèmes à anticiper des perturbations majeures, qu’elles soient naturelles ou anthropiques.
Par ailleurs, si l’ingénierie écologique peut contribuer à régénérer des écosystèmes naturels, les écosystèmes naturels peuvent eux-mêmes contribuer à requalifier des systèmes urbains éprouvés par le changement climatique ou la perte de biodiversité. Cela amorce une résilience des systèmes urbains par la nature elle-même.
Un défi posé à l’urbaniste et à l’ingénieur est par conséquent celui du déploiement effectif de processus de résilience visant à faire effectivement de la nature une composante essentielle de l’aménagement urbain. La course de vitesse engagée pour faire face aux effets des perturbations des éléments naturels agit aujourd’hui en défaveur des agglomérations dont le rythme de transformation est insuffisant.
3. Faire des risques une composante active de la résilience des territoires et des infrastructures
Concilier aménagement et risques est ce qui a permis de longue date le développement des territoires. Mais au fil des dernières décennies,
la prise en compte des risques dans les territoires est devenue complexe.
Considérée dans son ensemble, la gestion des risques recouvre des aspects composites de protection contre les aléas naturels ou anthropiques (protections hydrauliques, barrières techniques dans les établissements industriels dangereux, etc.), d’interdiction ou de réglementation de l’usage des sols, d’indemnisation des sinistres d’ampleur exceptionnelle, d’aménagement spatial et de gestion de crise.
Ces dispositions s’apparentent à un dispositif hybride mobilisant de nombreux acteurs dans une recherche permanente d’équilibre entre exigence en matière de sécurité et tempérance de la contrainte à faire peser sur les populations et activités, pour éviter la paralysie des territoires.
Outre les incertitudes inhérentes à cette hybridité, la gestion des risques est confrontée aux changements multiples, rapides et interactifs des contextes dans lesquels les territoires évoluent. Ainsi, le changement climatique modifie les aléas naturels en intensité ou fréquence mais aussi plus généralement dans leur localisation.
Dans une recherche de sécurité globale, il convient par conséquent d’intégrer les risques au sens large comme une composante à part entière de la gestion et de l’aménagement des territoires. Un enjeu consiste à identifier les initiatives prises dans les différents territoires, de les analyser et de les diffuser auprès des autres territoires.
4. Assurer une prise en charge coordonnée des grands défis
Si les mesures réglementaires ou techniques de niveau national, européen ou international sont indispensables pour agir sur les sociétés et éviter ainsi le développement et la propagation des phénomènes dommageables de grande ampleur, celles-ci ne suffisent pas à les enrayer. Les territoires doivent également s’impliquer pour contenir les effets des perturbations qu’ils connaissent, dans une préoccupation de sécurité globale. La priorité est de limiter les situations de crise qui révèlent une perte de contrôle momentanée par les gestionnaires des conditions de vie des populations.
Pour anticiper des crises qui traduisent l’acuité des problèmes à traiter, les politiques locales sont appelées à instaurer des stratégies de résilience destinées à piloter une intégration effective des risques dans l’ensemble des champs d’actions couvrant l’aménagement et la gestion des territoires, selon une approche transversale reliant les champs d’activité entre eux.
C’est par la mobilisation des parties prenantes que des réponses aux grands défis peuvent être apportées, et pas l’inverse. Par l’action collective, il est en effet possible à budget constant d’augmenter les bénéfices apportés par chaque projet.
Le plan d’actions qui matérialise la stratégie de résilience répond à une finalité d’anticipation des crises. Il traduit ce qu’il est apparu collectivement nécessaire pour faire face aux grands défis qui ont été identifiés. Les actions visent à relier les projets entre eux, à mobiliser des leviers, à mettre en place des mesures innovantes à l’interface de champs d’activités ou au sein même d’un champ d’activités, sans que cette mesure ne se justifie par cette activité elle-même.
Le défi soulevé ici consiste par conséquent à démultiplier en France les stratégies de résilience des territoires et des villes.