Cet article fait partie du dossier : Milieux humides et aménagement urbain : dix expériences innovantes
Voir les 6 actualités liées à ce dossierLa publication en janvier 2019 du rapport parlementaire "Terres d’eau, Terres d’avenir", de la députée Frédérique Tuffnell et du sénateur Jérôme Bignon réaffirme les enjeux de protection et de restauration des zones humides en France.
Rappelant la nécessité de protéger les zones humides (plus des deux-tiers des zones humides ont disparu en France au XXème siècle dont 50 % entre 1950 et 1990), les auteurs formulent diverses recommandations dans un objectif de préservation des zones humides à l’échelle du territoire français : mission d’appui à la coordination des inventaires des zones humides, identification dans les plans locaux d’urbanisme des zones humides à l’échelle parcellaire, augmentation des surfaces de zones humides protégées…
Le rapport innove en proposant la mise en responsabilité des territoires pour la préservation, la gestion et la restauration des zones humides. Il met l’accent sur la nécessité de définir des territoires de projets soit à l’échelle des intercommunalités, autorités compétentes en matière de GEMAPI soit à l'échelle des structures de bassin versant ou encore à l’échelle des territoires des Parcs Naturels Régionaux.
Depuis plusieurs années, certaines collectivités territoriales ont déjà mis en œuvre des politiques de protection et de préservation des zones humides sur leur territoire. Ainsi, souvent sous l'impulsion des SDAGE et des SAGE, des inventaires de zones humides ont été réalisés à l’échelle de la commune ou de l'intercommunalité et ont été le plus souvent intégrés dans les documents d’urbanisme. Ils ont ainsi permis de protéger certaines zones humides en les classant en zone N (naturelle) ou A (agricole) au sein des PLU(i) en mettant en œuvre la phase d’évitement de la séquence ERC.
Néanmoins, dans certains secteurs soumis à une forte pression foncière et à une urbanisation croissante, certaines zones humides sont menacées et potentiellement urbanisables (classement en zones AU "à urbaniser"). Par conséquent, tout en souhaitant réduire au maximum les impacts sur les zones humides lors de la mise en œuvre du projet, certaines collectivités anticipent leur besoin en mesures compensatoires en réfléchissant à une stratégie d’identification des zones humides menacées à l’échelle de leur territoire et en cherchant des moyens d’anticipation et d’optimisation des mesures compensatoires.
Dans ce contexte, une étude de cas des politiques et des projets de territoire en faveur des zones humides de différentes collectivités territoriales ou établissements publics a été réalisé. L’objectif est d’identifier les exemples favorables, les freins et les leviers rencontrés lors de la mise en œuvre d’une politique de préservation des zones humides.
La méthode, un retour expérience tiré de 13 entretiens
Le travail du Cerema a consisté à analyser les politiques publiques en faveur des zones humides mises en œuvre par 13 acteurs publics. Les interviewés ont des rôles différents et complémentaires dans la mise en œuvre de la politiques zones humides: les collectivités territoriales mettent d'abord en place la politique d'identification et préservation des zones humides (7 interviews), un parc naturel régional joue une rôle d'animation ou d’impulsion (2 interviews), et des opérateurs publics départementaux ( 2 interviews) ainsi qu'un syndicat mixte de gestion d'un lac ont également répondu.
Cette diversité d'acteurs permet de couvrir l'ensemble des situations concrètes de mise en application sur le terrain de la politique nationale d'identification, de protection et gestion des zones humides. Voici le détail des structures identifiées :
- Bordeaux Métropole (33) ;
- Métropole de Lyon (69) ;
- Nantes Métropole (44) ;
- Rouen Métropole (76) ;
- Grand Chambéry (73) ;
- Communauté d’Agglomération de Marne et Gondoire (77) ;
- Communauté de Communes de l’Estuaire et le Syndicat Mixte de Développement Durable de l’Estuaire de la Gironde (33) ;
- Le département des Yvelines et l’opérateur Biodif (78) ;
- Le département du Finistère et le Forum des Marais Atlantique (29) ;
- Syndicat Mixte du Lac d’Annecy (74) ;
- Parc Naturel Régional des Boucles de la Seine Normande (76 et 27) ;
- Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne (33 et 40).
Au cours des entretiens réalisés, nous avons cherché à comprendre les méthodologies d'identification des zones humides qu'elles soient en bonne santé ou menacées, le processus d'intégration de ces zones humides dans les documents d'urbanisme qui garantissent leur préservation, et la mise en place de la séquence Eviter Réduire compenser dans les projets impactant les zones humides, notamment le dimensionnement du besoin de compensation.
Deux questions complémentaires viennent enrichir les questionnaires : la perception des zones humides et de leurs enjeux par les interviewés, ainsi que les jeux d'acteurs induits et leurs conséquences sur l'aménagement du territoire.
Les enseignements concrets révélés par les interviews
Les inventaires des zones humides initiaux :
En règle générale, les métropoles ont commencé la réalisation des inventaires des zones humides à partir de 2010. L’objectif est d’avoir une vision sur le long terme des zones à protéger, et non plus d’agir au coup par coup, lorsque de nouveaux projets émergent. Cela permet d’anticiper les projets en évitant ou en réduisant leurs impacts sur les zones humides.
Cette dynamique est souvent portée au niveau métropolitain mais pas au niveau communal. La prise en compte des zones humides est souvent intégrée dans une stratégie globale qui s’applique également à tous les milieux naturels, et a pour objectif de mettre en œuvre un évitement territorialisé des impacts en classant dans le PLUi tous les corridors écologiques et les zones humides (ex : la stratégie Biodiver’Cité pour Bordeaux Métropole).
Les inventaires des zones humides ne peuvent pas être exhaustifs sur un territoire grand de plusieurs dizaines de milliers d’hectares du fait de la contingence matérielle, il est alors particulièrement important de faire porter l’effort d’inventaire sur les zones sous pression de l’urbanisation. De cette manière, les enjeux ainsi connus peuvent être évités très en amont.
Concernant la qualité des inventaires de zones humides, il a été noté qu’ils sont souvent incomplets à l’échelle du territoire et ceci souvent en fonction des territoires de SAGE qui le préconise ou non. La qualité est parfois très variable d’une commune à l'autre au sein d’une même métropole. Certaines métropoles ont fait le choix d’une maîtrise d’ouvrage métropolitaine et d’autres communale. Des zones blanches existent du fait du refus de certaines propriétaires privés à accéder à leurs parcelles malgré les arrêtés de pénétration délivrés par les préfectures. Enfin, les inventaires sont en majorité réalisés sur les caractéristiques floristiques et très rarement sur les critères pédologiques.
Le besoin d’un cahier des charges précis et opérationnel pour cadrer la prestation des bureaux d’études a été régulièrement cité. Il faut aussi veiller à ce que le bureau d’étude retenu ait de réelles compétences en environnement, en particulier en pédologie et en géomorphologie.
Enfin, certains cas complexes comme les terrains remaniés ou remblayés posent de vraies difficultés d’analyse sur le terrain.
Il faut aussi veiller à ce que les résultats soient homogènes et cadrés afin de ne pas dépendre de l’appréciation de l’écologue ou du pédologue qui aura réalisé le terrain. En effet, dans ce cas, l’écueil est que chaque diagnostic terrain, qui aura fait l'objet d'une expertise scientifique, puisse être remis en cause par son propre groupe de suivi interne qui rassemble souvent des intérêts particuliers et divergents (agriculteurs, aménageurs,...). Dans ce cas, l'inventaire des zones humides est un révélateur de la tension entre protection et aménagement ou usage.
Aujourd’hui, sur certains territoires où les inventaires des zones humides sont recommandés par les SAGE mais non obligatoires, certaines communes ne veulent toujours pas les réaliser. Les raisons mises en exergue sont le manque de temps, le manque d’argent et le manque d’intérêt. Un autre frein d’ordre politique existe aussi, celui de générer à terme des contestations de la part des agriculteurs exploitant les parcelles sur lesquelles repose souvent la compensation.
Du fait de la non-exhaustivité des inventaires, des investigations complémentaires ont été réalisés sur les secteurs ouverts à l’urbanisation ou concernés par un projet d’aménagement, notamment lors des phases de révision de documents d’urbanisme ou lors de l’élaboration des PLUi [1].
Opposition commune/EPCI
La dynamique de protection des zones humides est souvent impulsée au niveau métropolitain ou intercommunal et n’est pas forcément suivie par le niveau communal. Les Métropoles, face aux velléités des communes, peuvent manquer de poids pour obtenir l’évitement des zones humides. La métropole ne peut pas imposer sa vision aux communes car les élus métropolitains sont avant tout des élus municipaux.
Les zones humides sont encore vues comme une contrainte plutôt que comme une opportunité. Les élus ont souvent des réticences politiques l’à intégration les enjeux environnementaux qui pourront ultérieurement contraindre leurs politiques d’aménagement. Si les zones humides sont exclues des zones ouvertes à l’urbanisation pour de l’habitat ; leur exclusion des futures zones d’activités est plus difficile.
L’impulsion pour une meilleure prise en compte vient souvent à la suite de situations conflictuelles entre les projets envisagés et l’application de la réglementation.
La mise en œuvre de la séquence ERC :
Après avoir identifié les zones humides qui n’ont pas pu être évitées par des projets d’urbanisation, l’objectif de certaines intercommunalités est d’anticiper leur besoin de compensation (quantitatifs mais aussi qualitatifs) puis d’évaluer la capacité et l’opportunité de leur territoire de répondre à ces besoins.
La question d’une approche par l’offre ou par la demande reste posée et ne fait pas l’unanimité. La question de l’ouverture de l’offre de compensation à tous les porteurs de projets ou uniquement aux projets publics reste elle aussi posée. Certaines métropoles réfléchissent comme Bordeaux Métropole et Nantes Métropole à se positionner comme opérateur de compensation non seulement pour ses propres projets, mais également pour les projets privés, voire constituer une réserve d’actifs naturels pour ses propres projets et pour des aménageurs privés souhaitant s’installer au sein du territoire métropolitain. Les objectifs seraient de profiter des spécificités d’une collectivité (vocation non lucrative, ancrage local) et d’une démarche globale (anticipation foncière, mutualisation) pour contenir les coûts et maximiser les gains écologiques.
La question de positionner les zones de compensation au sein de la Trame verte et Bleue et des corridors écologiques dégradés et identifiés dans le PLU revient souvent avec comme objectif que les compensations contribuent réellement à la préservation de l’écosystème global.
D’autre part, la compensation est très difficile à mettre en œuvre sur des territoires foncièrement contraints et dont le prix au m² est très élevé. Face à un faible nombre d’opportunités foncières, le foncier est en priorité dévolu aux aménagements et non aux mesures compensatoires. Cette situation devrait à terme favoriser l’évitement.
Plusieurs réflexions sur la mise en œuvre de sites de compensation anticipée et mutualisée à l’échelle de la métropole (solidarité des communes), de "gisement de compensation" en lien avec la Trame verte et bleue existent comme à Nantes Métropole par exemple. La mise en place d’une démarche de mutualisation est comprise par les collectivités comme un processus d’entraide entre EPCI et communes pour mettre à disposition globalement du foncier dévolu aux mesures compensatoires. L’idée étant de ne plus laisser chaque collectivité se débrouiller avec son foncier, au risque d’opérer de mauvais choix. Cela permet aussi de donner de la cohérence écologique aux mesures réalisées.
Enfin, la question de la gestion du potentiel de restauration sur le long terme reste ouverte. En effet, ce potentiel de restauration ne doit pas devenir un droit à détruire mais une compensation in fine pour des projets indispensables après la mise en œuvre efficace des phases d’évitement et de réduction.
La sensibilisation des services "aménagement" des Métropoles a souvent été identifiée comme une nécessité au bon déroulement des phases précédentes.
Les Parcs Naturels Régionaux (PNR)
Les PNR peuvent choisir d'organiser la cohérence territoriale pour porter la politique de protection des zones humides. Ils sont aussi parfois structure porteuse d'un Schéma d'Améngement et de Gestions des Eaux, ce qui leur confère la légitimité pour jouer un rôle de facilitateur.
L'intérêt de l'implication d'un parc naturel régional est que dans ses missions premières figure l'équilibre entre préservation de l'environnement et développement du territoire, et qu'il peuvent faire le lien nécessaire entre les politiques d'identification et de préservation des milieux humides, et celles de l'urbanisme.
Du fait de leur compétence dans le domaine environnemental, les parcs naturels régionaux sont habilités à réaliser les inventaires zones humides et leur mise à jour, à collecter des données sur les sites en zones humides, à être gestionnaire de sites en zones humides. Ils sont en droit d'aller jusqu'à engager des actions de restauration de zones humides, de conseiller et d’appuyer la maîtrise d’ouvrage sur des projets impactant les zones humides, voire de réaliser l’appui technique sur les projets de restauration.
Les Parcs Naturels peuvent aussi rendre des avis sur des dossiers réglementaires (étude d’impact, document de planification, avis demandé par l’autorité environnementale...), apporter un appui pour la mise en œuvre de la séquence ERC si les projets intègrent dès l’amont les enjeux environnementaux.
Plus classiquement, ils oeuvrent à la sensibilisation et à l’éducation à l’environnement sur ces millieux si particuliers, entre terre et eau, que sont les zones humides.
Personnes publiques associées lors de l’élaboration des documents d’urbanisme, les PNR sont en mesure d'intervenir le plus en amont possible pour informer ou sensibiliser les élus et ainsi assurer le portage de la séquence Eviter Réduire Compenser. Ils donnent aussi un avis sur la compatibilité des documents d’urbanisme avec la charte du Parc.
Plus, les PNR peuvent être force de proposition pour l’évitement s‘ils sont associés en amont des projets. Ils accompagneront ainsi les porteurs de projets dans leur démarche ERC et interviendront en assistance à maîtrise d’ouvrage et aller jusqu’à la maîtrise d’œuvre directe.
De même, ils peuvent être force de proposition sur les mesures compensatoires de manière à ce qu’elles ne soient plus éparpillées en "patchwork" mais bien constitutives d'un tout cohérent, ambitieux en termes de fonctionnalités écologiques.
En ce qui concerne l’acquisition foncière, les PNR peuvent être missionnés pour acquérir des zones humides et maintenir l’activité agricole via la signature de baux ruraux à clause environnementale. La SAFER peut exercer son droit de préemption à titre environnemental sur sollicitation du président du Parc et de la DREAL. Sur la question foncière, les PNR se tournent actuellement vers les Obligations réelles environnementales (ORE) afin de maintenir un lien avec le propriétaire et le futur exploitant dans le but de préserver les zones humides.
A ces différents titres et au regard de leur positionnement, les PNR sont potentiellement en mesure d'être un acteur majeur de la prise en compte des zones humides au sein de leur territoire.
En conclusion
Au delà des territoires interviewés sélectionnés pour leur pratiques avancées ou innovantes, de trop nombreuses collectivités restent encore très éloignées de cette thématique des zones humides. Ainsi, aucun inventaire n’existe sur certaines communes.
Ces collectivités perçoivent les zones humides comme une "contrainte environnementale" empêchant l’émergence des zones d’activités et consommant du foncier pour la compensation. Cette perception partielle et partiale masque les enjeux réels et ignore les opportunités que nous offrent à l'évidence les zones humides. En effet, des services écosystémiques des zones humides sont particulièrement nécessaires au territoire à l'heure du changement climatique :
- régulation des eaux de pluies et des inondations avec leur rôle de stockage ou de tampon,
- régulation de la qualité des eaux infiltrées,
- rôle de stockage carbone ayant un impact non négligeable dans l'atténuation au changement climatique.
Certaines collectivités locales comme les Métropoles sont souvent plus avancées sur la prise en compte de la thématique des zones humides. Après un premier atlas des zones humides potentielles puis un inventaire plus précis des zones humides à l’échelle globale de leur territoire, des inventaires complémentaires sont réalisés sur les espaces voués à l’urbanisation de manière à les éviter au mieux, avant validation du PLUi.
S’il reste des zones humides impactés, les collectivités s’engagent dans la réflexion sur des sites naturels anticipés de compensation. Les zones humides ont des fonctionnalités complexes particulièrement difficiles à compenser, cela renforce la nécessité de faire le maximum pour préserver les zones humides et restaurer leurs fonctionnalités.
Aussi, l'évitement de la destruction de la zone humide doit primer sur la compensation à fonctionnalité équivalente, ou à hauteur de 200% suite à une destruction prévue dans le cadre d'un projet d'aménagement.
Auteurs des interviews : Cerema Ouest, Sébastien Gatelier ; Cerema Centre Est, Joris Biaunier, Cerema Est Thomas Schawb, Cerema Ile de France, Damien Carat, Cerema Normandie centre, François Chevaux et Léa Menuet, Cerema Sud-Ouest, Pierre Ouallet ;
Auteurs de l'articleweb : Cerema Ouest , Sébastien Gatelier et Christohoe Pineau ; Cerema Centre Est , Virginie Billon ; Cerema Territoire villes, Cécile vo Van
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