La forêt française a un rôle clé à jouer dans l’atténuation du changement climatique. La forêt, puits de carbone, est au cœur de la stratégie nationale bas carbone pour respecter nos engagements de neutralité à horizon 2050. Cette ambition trouve sa traduction au niveau du Programme National Foret Bois (PNFB) et du Programme Régional Foret Bois 2020-2030 de Nouvelle Aquitaine.
Le Parc naturel régional Périgord-Limousin (PNRPL), couvert sur 37 % de son territoire par la forêt, est fortement concerné par cette question. Il a mené, avec le Cerema, une concertation engageant les acteurs de la gestion forestière et les usagers afin d’identifier les usages de la forêt et les modes de gestion. Une démarche proposée par le Cerema, s’appuyant sur un diagnostic partagé, a été élaborée et testée sur la commune de Saint-Jory-de-Chalais. Celle-ci, cofinancée par la DREAL et la Région Nouvelle Aquitaine, aura vocation à être déployée sur d’autres communes forestières du Parc.
quelle évolution des forêts face au changement climatique?
Le Parc naturel Régional Périgord-Limousin est un "territoire rural habité, reconnu au niveau national pour sa forte valeur patrimoniale et paysagère, qui s’organise autour d’un projet concerté de développement durable, fondé sur la protection et la valorisation de son patrimoine". Couvert à 37% par une majoritairement composée de taillis de châtaigniers, le Périgord-Limousin valorise depuis longtemps sa production en bois, à travers notamment des savoir-faire artisanaux.
Parmi ceux-ci, certaines filières incarnent l’identité du Périgord-Limousin. C’est le cas en particulier, des vanniers ou feuillardiers qui travaillent le châtaignier [1].
Cependant, ce couvert forestier se révèle être très sensible au changement climatique. Le dépérissement constaté, en particulier sur certains massifs de châtaigniers, pose la question cruciale du remplacement à terme, de certaines essences afin d’assurer la pérennité de la ressource forestière. À travers cette problématique, c’est la question de la gestion des massifs boisés emblématiques et de l’évolution probable des paysages qui doit être envisagée.
Le Programme Régional Foret Bois de Nouvelle Aquitaine 2020-2030 souligne cette problématique et appelle les collectivités à engager des démarches visant "à améliorer la gestion de la forêt française et à augmenter sa productivité pour répondre aux grands enjeux de l’économie verte, de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique, tout en garantissant la durabilité de la ressource et la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. De telles ambitions nécessitent de favoriser le dialogue au sein des territoires avec les décideurs et les citoyens afin de susciter le développement de politiques locales en faveur de la forêt et de la valorisation du bois, et d’améliorer la compréhension et l’acceptabilité des démarches. Il est essentiel de co-construire les stratégies de dialogue: à la fois sensibiliser le grand public, les élus, à la gestion durable des forêts, et sensibiliser les acteurs de la filière forêt-bois aux attentes des habitants des territoires et aux enjeux que la forêt porte pour la société" (§ 3.4.3 et fiches action N° 36 et 37).
Pour répondre à cet enjeu majeur, le Parc Naturel Régional (PNR) a souhaité mettre en place les conditions d’un dialogue constructif à travers un dispositif participatif ouvert aux différents acteurs de la forêt, associations et habitants de la commune.
Le Cerema est intervenu, en tant que prestataire d’une mission confiée par le Parc pour proposer une méthode innovante de concertation basée sur le diagnostic partagé et les services écosystémiques rendus par la forêt.
Une commune pilote, Saint-Jory-de-Chalais, a été choisie pour tester la démarche, avec pour ambition de dégager les pistes de consensus, de produire collectivement des orientations en termes de gestion forestière locale, qui prennent en compte le changement climatique. La méthode déployée a vocation à être reproduite ensuite par le PNR, sur d’autres massifs à enjeux. La réflexion menée et les éléments produits pourront utilement alimenter une démarche de co-construction d’un projet de territoire.
Des ateliers pour dessiner les orientations en matière de gestion des forêts
La réflexion a été menée à travers une série d'ateliers, en trois phases.
1ère Phase – La compréhension du territoire :
Cette étape s’est déroulée en plusieurs temps, alternant recueil de données et visites de terrain. L’objectif de cette première étape était de:
- recueillir les informations sur le territoire : historiques, photographiques, statistiques, géographiques, réglementaires…
- assembler la bibliographie, les retours d’expériences et les états de la recherche sur la notion d’évaluation de services écosystémiques rendus par la forêt,
- produire les éléments supports des ateliers :
- un fond cartographique centré sur les massifs forestiers de la commune,
- des fiches de synthèse sur différentes thématiques (biodiversité, paysage, évolution de la forêt, activités humaines…)
Cette phase a bénéficié d’un travail de réaménagement foncier mené en parallèle par le Département de la Dordogne qui a permis de diagnostiquer l’ensemble des éléments environnementaux et de démarrer une dynamique de projet avec les propriétaires de la zone d’étude.
2e phase : Spatialiser les caractéristiques et les dynamiques du territoire
Rassemblant les élus, les propriétaires forestiers de la commune, le conseil départemental de la Dordogne, les acteurs du monde forestier et les parties prenantes (habitants, associations, chasseurs, pêcheurs, promeneurs) trois ateliers ont été organisés.
Le Cerema a accompagné les deux chargées de mission du PNR dans l’animation de ces ateliers, avec l'ambition de partager l’analyse du territoire, répondre aux questions des participants, encourager le débat et recueillir les expériences des usagers, habitants ou professionnels…
Le travail d’animation avait pour vocation de proposer un espace de dialogue, engageant chacun à écouter le point de vue des autres et d’identifier les éléments partagés par tous.
La réflexion a été structurée autour de questions portant sur :
- les pratiques de loisirs
- les attentes sociétales
- l’évolution des paysages et des pratiques
- la perception du changement climatique et ses impacts.
Ces temps de travail collectif ont permis de produire un diagnostic partagé. Les enjeux identifiés (biodiversité, risques, patrimoine y compris paysager, usages et gestion forestière ...) ont été spatialisés. Ils ont permis de lever des points de blocage potentiels et d’aboutir à la production de cartes de synthèse collectives.
Les usages:
Les massifs forestiers et enjeux de gestion foncière :
Carte de synthèse des dynamiques d'évolution du territoire:
Carte croisant les enjeux d'usage et de gestion des massifs forestiers :
3e phase – Adaptation des pratiques de gestion forestière
Ces temps de concertation ont permis également de :
- définir des orientations de gestion sylvicole coordonnées, en accord avec les attentes sociétales qui avaient été exprimées tout en rendant possible l’optimisation de la gestion forestière.
- faire émerger et formaliser les éléments relatifs aux attentes sociales en termes d’usages (loisirs, activités professionnelles diverses), d’éléments de patrimoine à valoriser, de sentiers pédestres pour une desserte locale…
Ces éléments ont permis de dessiner des pistes d’orientations pour l’élaboration d’un projet de territoire partagé par tous. Sa définition pourra donner lieu à des traductions dans un cahier de recommandations, un guide des pratiques sylvicoles ou une charte locale.
Les massifs d'intérêt patrimonial :
Un massif, au sud du bourg de saint Jory de Chalais, d’une qualité environnementale très appréciée localement. Ce secteur au relief très encaissé bénéficie d’un environnement boisé en libre évolution, de points d’intérêt patrimonial : points de vue, cascades, arbres monumental, d’une richesse en termes de biodiversité, bâti ancien (château de la Rhue). Certaines activités y sont pratiquées : pêche, chasse, randonnée.
Ce massif présente peu d’intérêt du point de vue production forestière (cours d’eau très encaissé, fortes pentes rendant l’accès difficile).
Les orientations proposées sont de l’ordre de la valorisation du patrimoine par la création de sentiers de randonnée, la remise en état de chemins existants, la réalisation de liaisons douces, pédestres, entre Saint Jory de Chalais et les hameaux ou bourgs adjacents.
Les massifs d'intérêt écologique
Ces massifs présents à l’est le long de la Queue d’âne et au Sud de la commune le long de la Côle sont marqués par un relief important (cours d’eau la Queue d’âne et la Côle très encaissés), une qualité environnementale appréciée du point de vue de la biodiversité et du paysage.
Le cas particulier du massif situé au sud est de la commune a été noté, au niveau duquel sont présentes des zones humides abritant une flore protégée (Drosera). Peu d’activités y sont pratiquées (faible activité de pêche au niveau de la Côle au sud de la commune).
Les orientations proposées pour ces massifs sont relatives à la préservation et la mise en valeur de la biodiversité.
Les massifs à vocation forestière
Ces massifs, situés sur les zones de plateau au relief faible à modéré, présentent un intérêt en termes de production forestière. Leur gestion devra prendre en compte l’évolution climatique actuelle. Le remplacement de certaines essences pourra y être envisagé.
Les massifs à vocation mixte
Ces massifs, situés à l’est de la commune de saint Jory de Chalais, sur un secteur au relief peu accidenté, présentent des intérêts à la fois en termes de loisirs et en termes de production forestière. Les loisirs pratiqués sont diversifiés équitation, engins mécanisés, randonnée …
En termes d’orientation, il est préconisé de travailler assez finement pour chercher un consensus en termes de gestion forestière. Celle-ci doit être établie de manière concertée. En particulier, devront être envisagés, l’aménagement d’accès "sécurité défense incendie".
Un point essentiel concerne le caractère partagé du regard porté sur la forêt par l’ensemble des acteurs n’ayant a priori, pas d’objectifs communs. Les enjeux en termes de gestion forestière et de services écosystémiques ont fait l’objet d’échanges. Localisés et cartographiés, ils ont permis de faire émerger un consensus autour d’un projet de territoire.
L’outil proposé est aisément assimilable, adaptable et réalisable par les chargés de mission du parc. La démarche pourra ainsi facilement être reproduite sur d’autres communes du PNR.
[1] Le métier de feuillardier consiste à fabriquer des cercles en lattes de châtaigniers (les feuillards ) pour entourer les tonneaux de vin.